Mon frère cadet et, mon seul frère par ailleurs, perdit son père à trois ans. Autant dire qu’il ne l’eut jamais. Et si moi, pour compenser le manque, je privilégiai hautement la compagnie des septuagénaires à, moins, de trente ans, lui, bourlingua très tôt, par ci et par là, à sa recherche. Mon frère était très beau, grand, bâti dans du roc, cheveux lisses au vent, il avait une allure de prince anglais et était en colère intérieurement : le père manquant.
Il haïssait mes oncles maternels qui avait trouvé dans la mort précoce de mon géniteur matière à commandement. J’étais plus indulgent. Ou alors mon statut d’aîné des mâles découragea leur autoritarisme d’époque. La première chose qu’ils firent, c’était de nous retirer de l’école et, là-dessus, la haine franche de mon frère trouvait sa légitimité.
Si quelques années après, je me réinscris de moi-même dans un établissement payant, lui, pendant plusieurs années dut subir le joug et l’exploitation d’un des deux commandants en chef, le plus ouvertement haï de lui et, ce, jusqu’à la fin : Khali Tahar, un notable aisé du XIXème siècle et qui devait penser que l’école pervertissait et qu’un homme se devait de veiller sur le patrimoine familial. Ah ! ces adeptes du patrimoine ! Patrimoines eux-mêmes d’une pensée conservatrice et inerte, sclérosée.
Je l’aimais bien personnellement et je crois qu’il était bon et que la tâche de veiller sur sa sœur lui revenait de droit à cette époque-là. Une belle veuve, mère de huit enfants dont une fille d’un an - dont la légendaire beauté est toujours dans les annales familiales : paix à toi Lé S. je t’aimais tant.
Mon frère était d’une intelligence exceptionnelle et il se forma seul, il avança seul. Nous étions très proches et les deux ans qui nous séparaient n’avaient jamais mis en doute mes droits d’aîné si intouchables alors et, encore aujourd’hui dans de nombreuses contrées.
Nous ne nous étions jamais appelés par nos prénoms. C’était Si H et Sid A et nos sœurs, des beautés de l’époque de blondeur, d’yeux clairs et de peaux immaculées Lé Jam., Lé Es., Lé Raf, Lé Bakh., Lé Sof et la splendeur partie il y a peu, Lé Say.
Le manque du géniteur eut du bon, il nous maintint debout, tendus, entrepreneurs et surtout solidaires et aimants. Et les conjoints-conjointes agirent peu en réalité ; bon, plus chez les uns que chez les autres, pour être tout à fait juste. Nos sœurs étaient virulentes, puissantes et nous aimèrent sans tâche, mon frère et moi.
Toutes héritèrent du patrimoine du géniteur défunt, toutes renforcèrent leurs maris, mais toutes sortirent leurs griffes pour défendre bec et ongles leur frère Si H. qui avait la mainmise sur les biens du père et, ce, pendant longtemps.
Même les moins farouches parce que sous autorité conjugale.
- Si H, notre frère, a tous les droits. Il sait ce qu’il fait.
Mon statut d’homme, de frère et d’aîné des garçons, c’était ainsi.
C’était un jour triste, je m’en souviens encore, ma sœur Lé Bakh était fatiguée. J’allais la voir régulièrement. Je l’aimais de toutes mes fibres et j’étais inquiet dans le fond. « Une petite grippe, sans, plus, ça passera Tattou. »
J’entrai jusqu’au fond de sa cuisine : « Tattou, tout va bien ? Ma sœur chérie ? Dis à ton frère qui t’aime. »
Et elle qui ne savait que sourire, sourire et encore sourire, pleura un jour. « Tu as deux lions à tes côtés, Princesse, » lui dis-je. Et c’était vrai. Tattou ne peut pas être en mauvaise santé. Tattou, la généreuse et la douce et la claire et la sincère. Mon frère allait la faire manger le matin, j’allais le soir. Nous ne relayions sans mots dire : notre sœur tant aimée, la donneuse.
Tattou garda le lit, sa santé se détériora. Nous allions la voir quasiment tous les jours. Tous les jours. Je pleurai en voiture sur le chemin du retour. Ma fille avait sept ans, plus ou moins, peu importe … « Papa, pauvre Tata ! » Et moi qui fus le seul amour de ma fille, lui dis sans détour : Ne dis plus jamais ça sur ta tante. Ta tante est une très grande Dame. »
Elle pleura au vu de la violence de mon ton, cela ne m’était pas coutumier.
Je crois, aujourd’hui, qu’aucun père ne fut comme moi avec sa fille. Aucun n’aima autant sa fille. Et aucun père ne narra autant l’histoire familiale à son enfant et toutes les autres histoires. C’est une des raisons qui firent d’elle un scribe, une chargée de la trace des siens, paternels, afin de corriger, d’éclairer, de dire, de témoigner, d’agiter le Livre à ceux qui ne savent pas lire.
Tattou mourut. Un drame. Encore un. Une partie de mon cœur coula dans la terre avec elle.
Parce que la vie, ce sont des morceaux du cœur qui partent un à un, jusqu’au jour où on perd le goût des choses.
J'aime il y a bcp de vécu dans ton roman et je découvre des révélations que j'ignorais continue caméra passionné.
RépondreSupprimerMerci Cher Si H, le prochain est pour vous.
RépondreSupprimerMerci de me lire.