II.
Ma femme était un ange. Un jour que nous étions sur mon lieu de travail et qu’elle était à mes côtés, on reçut la visite d’un immense peintre proche des siens. Je ne le connaissais pas et, au début, j’étais un peu distant. Quand j’appris que c’était un artiste, il m’intéressa. Il rappelait à mon épouse les soirées du passé chez son grand-père où femmes et hommes étaient dans deux salles contiguës mais séparées et où ses tantes jouaient des morceaux inoubliables. Oud, piano et tar et la voix sublime de mon épouse. Elle fut gênée de ses évocations et eut peur de ma réaction. Je souriais.
- La lin la lin, la lin, la lin, fredonnait-il, en jouant virtuellement du piano, en pliant et dépliant ses doigts de vieux fin.
Elle rougissait à mesure qu’il narrait et lui continua en remarquant mon attention.
- Votre épouse était une jeune fille sensible et timide. Sa voix avait un timbre particulier et beaucoup de pureté mais quelque chose lui manquait, de l’ordre de l’art qui s’assume. C’est son éducation rigoriste. Ce n’est pas vraiment une artiste.
Quand il quitta les lieux, elle bafoua qu’il était fou et qu’elle n’avait dû le croiser qu’une fois. C’était que mon épouse pensait que je pouvais la condamner ou mal penser d’elle. En réalité, elle était habitée par la peur de tout et voulait couper court à tout ce qu’elle croyait dérangeant pour la pensée sévère : celle des miens conservateurs mais aussi celle de son père. La musique, c’était chez l’autre grand-père, l’époux de sa grand-mère divorcée à seize ans. Deux mondes. Un, d’obscurité à 17h, un autre, de notes et de mer.
J’aimais ma femme et j’aimais les femmes. Un jour, je lui dis :
- Je crois que mon amour des femmes vient du fait que j’ai été orphelin du père à 6 ans.
Elle me regarda impitoyablement et dit :
- Tu as passé la soirée la bouche pleine. Fruits secs, fruits, salés … Mais que t’arrive-t-il ? Tu ne sais plus te commander ? Femmes et père décédé ? Tu vas arrêter de faire du théâtre, oui ?
Elle fulminait, je riais. Nous avions plus de 25 ans de vie commune.
Un jour d’été torride, alors que nous montions vers notre résidence d’été, et qu’elle avait été chez son dentiste en raison de rages dentaires répétées, elle décida de monter à l’arrière de ma voiture afin de s’y allonger. Elle disait être un peu dans le vague à cause de l’anesthésie et de toute façon, elle avait une peur bleue – encore une – du dentiste.
Un peu avant le début de la petite route de la mer, longeant la gare, une toute jeune femme faisait du stop. Blonde, colorée, en Jean. J’y vis une matière à s’amuser.
- Sobel, il y a une pauvre femme qui fait du stop. Allez on la prend, mesquina*, faisons une bonne action. Elle n’a probablement pas le prix du ticket.
Je me retournai vers mon épouse en riant. Son visage était défait mais ses yeux lançaient des flammes.
- Montez Madame, montez !
- Merci. J’espère que ça ne va pas déranger votre mère, Monsieur !
Votre mère ! Je jubilais. Jamais auto-stoppeuse ne fut autant traitée d’idiote après le rétablissement de ma femme. Blonde rouge, dixit mon épouse, qui fut larguée aux trois-quarts de l’autoroute quand Sobel prit le peu de forme qu’elle avait pour exiger que je la fasse descendre.
Elle avait assisté confortablement allongée à l’arrière de la voiture à un quart d’heure de drague libre des natifs de 26-30.
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