jeudi 28 octobre 2021

Dieu fait-il ses mises à jour Coach ?

 

Carthage, 26 octobre 21

Cabinet de Coaching psychologique et PNL.





 

 Par temps brumeux et pluvieux.


 

-     Je viens vous entretenir de moi. Il était temps. Oui de moi. Je sais, ce n’est pas la première fois, mais j’ai besoin d’une énième récapitulation. Et puis, je vous paye. 

Bon, c’était juste pour vous taquiner.

 

              ( Regard vide et froid du coach )

 

-   Je me réjouis de ne pas être un juif hassidique. Déjà cela. Je viens de voir un documentaire sur leur vie communautaire, leurs interdits, leurs injonctions, l’impact du trauma de la Seconde Guerre mondiale sur eux, ce qu’ils font subir à leurs mômes en raison de cela, le statut de la femme, celui de ceux, excédés, qui quittent ce drôle de monde, les sanctions qui leur tombent sur la tête … Comment peut-on être si en-dedans sans la moindre distance, le moindre recul, le moindre esprit critique, la moindre remise en question ? Un esprit totalitaire et une absence totale de rationalisme, un ghetto dangereux pour  l’équilibre humain.

 

 

-    Très bien, vous n’êtes pas juif hassidique. C’est déjà cela d’acquis, dit le coach en souriant. 

-       Ne souriez pas beaucoup Coach, cela agit sur moi.

-   Vous savez très bien que ce n’est pas l’objectif. Ce sont juste les relations humaines ordinaires.

 

             ( Court silence )

 

-       J’ai vu récemment le témoignage d’un scientifique sur l’existence de Dieu. Évidemment, il faisait la promotion de son bouquin. C’était le but. Mais dans ce qu’il disait, il n’y avait aucun argument, aucun. Et il nous faisait croire que c’était pour ne pas spoiler le contenu - ceci dit le dictionnaire français propose, désormais, divulgâcher à la place de spoiler. Mais j’aime bien cet anglicisme.

 

( Il sourit en la regardant d’une façon appuyée )

 

( Aucune réaction de la part du coach )

 

-   Je vous disais que ce scientifique n’avançait rien. C’est quand même bizarre pour un scientifique. Il donne des statistiques sur le pourcentage des scientifiques croyants. L’utilité ? Il est notoire que bon nombre de scientifiques le soient par manque d’imprégnation philosophique ou par manque d’apnée personnelle ou par manque de temps réservé au cassage des dogmes ou par peur … allez savoir ! 

Mais qu’il sorte affirmer l’existence de Dieu sans rien démontrer est pour le moins peu rigoureux et peu scientifique comme démarche. Qu’en pensez-vous Coach ?

 

-       Je n’en pense rien, je vous écoute vous.

 

-     Oui, vous faites bien. Merci. Je ne suis pas croyant, vous le savez, je suis lucide. Je ne peux croire en ce que mes sens ne captent pas. Il y a des tas de phénomènes dans l’univers que je ne saisis pas ? Et bien soit ! Moi, je fonctionne avec mes moyens, mes sens, ce que mon esprit peut habiller. Cela, c’est pour ce que je possède, ce que je déploie, ce dont je maîtrise le mécanisme. Après, il y a le Dieu des hommes, une belle fabrication, tant qu’il y a de la souplesse. Sauf que les hommes fabriquent, tombent dans le piège et puis, dans l’addiction, partent en surenchères et à partir de là, deviennent difficilement maîtrisables. 

 

Or, si nous remontons aux prémisses, et bien, il n’y a rien de sensé, de rationnel, de logique. Il y a l’anxiété de l’être humain, évidemment. Quelles preuves concrètes avons-nous de l’existence de Dieu ? Pourquoi Dieu aurait-il choisi de communiquer avec nous via des livres ? Via le langage ? Et aujourd’hui avec les langues numériques, les langues classiques ne sont-elles pas menacées ? La médiologie a fort à faire ! 

Dieu fait-il ses mises à jour ? Va-t-il tout reprendre et communiquer avec nous autrement ? Les hommes vont-ils accepter ? Toute cette histoire ne vous semble-t-elle pas rocambolesque ?

 

Et pourquoi cette rivalité entre les croyants des religions dites révélées ? Ce « à qui      mieux mieux » ? En quoi est-ce que c’est moral ? Une rivalité qui a fait couler beaucoup de sang, qui est à l’origine des pires exactions, des discriminations les plus viles. A moins que la moralité ne soit devenue superflue et là, c’est la porte des dérives grande ouverte. 

 

Qu’en pensez-vous Coach ?

 

 

-       Je pense que vous devriez écrire encore et encore. Je pense aussi que la moralité doit être au-dessus de tout. J’ai pensé pour vous, pour votre cohérence. Sinon, c’est reposant de croire aussi.

 

-       Vous le dites Coach, c’est reposant de croire. C’est juste reposant. Merci. 

( En souriant ). A chacun son repos. Le mien est de secouer les certitudes, de déployer une réflexion rationnelle, de distinguer le réel du mythe, de dévoiler l’ampleur de l’angoisse existentielle. Je ne peux admettre le discours des Anciens ( Sourires ), je me dois d’y mettre mon cheminement ontologique, du moins pour moi. 

La morale doit toujours primer. Elle n’a pas de projet sociétal, elle, humain oui. À bientôt Coach. Vous avez bien mérité vos honoraires aujourd’hui.


( En souriant, pendant que le coach prenait note  )

 

 

 

 


 

 

 

 

 

samedi 23 octobre 2021

Et Œdipe tua sa mère

 







 

Quand Œdipe commença à tuer sa mère, elle se débattit violemment, longuement en usant de bon nombre de subterfuges, mais rien n’y fit, il voulait en finir avec elle. Elle finit par se dire qu’il avait probablement ses raisons. Ou alors qu’il était engoncé dans un orgueil démesuré qui l’empêchait de se poser et de réfléchir aux raisons profondes de son obstination. Elle le laissa tenter, tenter …, mais se dégagea vite fait.

 

Œdipe était un jeune homme virilement beau, vigoureux et fort intelligent. Mais tout chez lui trouvait son origine dans le cérébral au détriment du spontané. Il mesurait tout, ce qui le dotait d’une force mentale exceptionnelle. Émotionnellement, c’était assez chaotique. Partagé entre une grande sensibilité et un refus de celle-ci, il pataugeait un peu mettant un point d’honneur à tout uniformiser et, en réalité, à tout refouler. 

 

Pourquoi fait-on croire aux jeunes gens qu’être émotif ne sied pas aux hommes ? Qu’est-ce que cette profonde bêtise ? Pourquoi les acculer au silence de l’intelligence des émotions ? Vaste déroute, immense mensonge, façade d’emprunt et tumulte intérieur.

 

Œdipe vécut longtemps dans une relation de promiscuité avec sa mère. Jocaste l’adorait et Œdipe se sentait investi de la mission de veiller sur elle. Ils se ressemblaient aussi bien physiquement que sur tous les autres plans. Ce fut ainsi jusqu’au premier échec de cet enfant doué à la moelle. Un échec qui lui resta au travers de la gorge, qui lui pesa lourd et comme il ne prit pas la peine de le juguler, il en habilla Jocaste. Tant il est aisé de faire porter ses manquements à ceux que l’on aime le plus et dont on sait l’ampleur de l’amour. 

C’est qu’Œdipe est un personnage mythologique, un être de grandeur démesurée, d’invincibilité à toute épreuve et de justesse platonicienne. Du moins l’Œdipe de Grèce.

 

Était-ce Jocaste derrière ce poids ? Lui avait-elle enseigné les dimensions humaines sujettes aux turbulences ? A-t-elle favorisé chez lui la nécessité de rétropédaler ? De se poser au milieu de la clairière et de peser les tenants et les aboutissants ? De se considérer comme être humain, tout Œdipe qu’il était et de desserrer le joug autour de sa propre personne ? Ce fardeau du mythe, de l’Être exceptionnel n’allait-il pas l’encombrer lui-même et sa suite ? 

A-t-il au creux de l’esprit, la malléabilité indispensable pour doser les impératifs, tempérer les désirs, harmoniser les attentes, tolérer les rendez-vous manqués ?

 

À sa naissance, Œdipe étonna, détonna, déchirant les flancs de sa mère pour une expulsion notable. Abandonné à quatre mois, quatre jours par sa mère partie ausculter les étoiles, il devint tout cramoisie de manque d’elle. Et pour la punir de cet oubli de crise que jamais il n’effaça de son inconscient, il la tint éveillée 36 mois durant. Dure punition qu’elle paya dûment. 

 

Œdipe adorait son père et Laïos l’adorait mais quand il fit son rebelle, il le fit contre Jocaste parce que la solidarité homme/homme existe et que les femmes pouvaient attendre. Il tourna le dos à Jocaste pour éviter parricide et inceste et, en cela, il eut raison afin que les prédictions de l’oracle s’avèrent évidemment fausses et que si le mythe autorise l’excès, cet Œdipe-là est d’abord humain mais attiré par la perfection - qu’il tourne en dérision chez sa génitrice.

 

Si Œdipe de Grèce est un personnage mythico-tragique, Œdipe de Carthagène, la Portuaire,  s’inscrit dans le réel. Un réel certes hypertrophié mais dont les bases ne font pas de doute. Un réel de labeur, d’ambitions et de réalisations louables, un réel de mémoire compréhensible et de souffrances difficilement jugulables mais tôt ou tard jugulées, le prix de la maturité et de la désagrégation des murs épais d’orgueil.

 

Jocaste décida un soir de janvier parce que l’heure avait sonné, de gagner ses appartements et de laisser Œdipe défaire les nœuds existentiels dont le secret réside en lui, loin en lui mais en lui. Elle avait assez fait et le temps pressait. Laïos était parti depuis un moment empêtré dans ses vieux démons. Il n’avait pas réussi à mettre la main sur l’équation de la longévité. Il n’aimait ni Thèbes ni Corinthe alourdi par des impératifs dont on le chargea malgré lui dès l’aurore. Il sut faire mais ne sut pas faire, aima et désaima, se plut et se déplut, protégea et lâcha, fut présent et déserta, exista et n’exista pas. Des troubles antérieurs, un chien gâleux et têtu qui refusait de changer de route et qui lui emboîtait le pas. Parce qu’on lui apprit à se taire et que le silence n’est que pathologies diverses. 

 

Dans ces eaux sombres, Jocaste n’avait pas sa place. Elle monta sa jument et prit la direction de l’Est, vers le soleil - qui en réalité ne bougea jamais.

 

-       Je bouge, dit-elle. Il bougera aussi, quand les rayons le chaufferont assez.

 

Elle souriait, confiante, sachant qu’à chacun son fuseau et son fil et qu’elle dota tous ceux qu’elle fabriqua d’un esprit vif et d’une main ouvrière.

 

-       Avançons Praxis, dit-elle à sa jument adorée, avançons ma Praxis !

 

Tel est le mythe moderne de Laïos, de Jocaste, d’Œdipe et des deux Vénus. Sans tragique mais humainement assez dramatique. Sans malédiction mais avec des tristesses somme toute humaines. Sans diktats mais avec un écoulement métaphysique logique – ou pas d’ailleurs – et existentiel ordinaire. Parce que tout retourne aux flancs de la mère, de la terre et qu’il n’y a de vrai que la Main de l’homme.

 

 

 





vendredi 22 octobre 2021

Les Filandières, 3, Fatum

 




Fatum

 

Nona était à son poste comme à chaque instant. Elle filait au fuseau. Une infinité de fuseaux. Elle ne semblait pas trouver de difficultés à le faire. C’est qu’elle présidait à l’aurore de l’Existence de tous. 

En une sorte de fondu-enchaîné, Decima récupérait les fils et les distribuait. Un peu, beaucoup, excessivement. Toujours rattrapée par Morta, il lui arrivait quelquefois de trop peu en faire bénéficier, d’en répartir moyennement ou, quand le fil lui glissait des mains, il y avait des chances que certains en soient assez généreusement lotis. Mais c’était assez rare.

 

Les Parques œuvraient dans un bien funeste donjon et, ce, en dépit du rôle fondamental de la répartitrice qu’était Decima. 

 

Morta achevait tout sur un coup de cisailles sec et claquant.

 

 

Le fuseau de Meryem

 

Qu’est-ce qui la caractérisait le plus : la grande gentillesse ou la lâcheté ?

 

Difficile d’être au plus près de la vérité. Entre les deux, la cloison étant très mince. 

D’un autre côté, souvent, de l’excès résulte l’excès. 

La première fois qu’elle se laissa faire remontait à l’enfance. Un adulte lui sourit, elle sourit. Il s’approcha d’elle, elle sourit. Il la toucha, elle sourit. 

La classe eut vite fait de remarquer la chose, devenue habitude du maître. L’instituteur commençait son cours, notait au tableau et demandait aux mômes de recopier, avec G’raand soin, le tout, sur le cahier de cours. Il allait ensuite se mettre tout près de Meryem en intimant l’ordre à tous de ne pas se retourner.

 

-       Je vous ai tous à l’œil, disait-il.

 

Elle prenait note et souriait. Le maître collé au banc d’écolier, collé aux bras de Meryem, collé à la poitrine de Meryem.

 

-       Monsieur est toujours derrière. Nous n’avons pas le droit de nous retourner. Il aime tellement Meryem qu’il est toujours scotché à elle. A la fin de l’heure, il est tout rouge.

 

Il disparut en milieu d’année, du jour au lendemain. Personne ne sut ce qu’il était advenu de lui. On mit du temps à l’oublier.

 

Au collège, Meryem qui était grassouillette et très mignonne de visage, fut un jour admonestée par l’enseignant d’EPS. 

 

-       Tu rates ton enchainement. Va au vestiaire.

 

Ray fut chargé de faire des démonstrations d’exercices pendant que Monsieur partit punir Meryem. Il revint quelque temps après, rouge et essoufflé. Un enseignant de sport, après tout. 

 

A 18 ans, Meryem se maria à un monsieur de 25 ans son aîné. Elle arrêta le lycée l’année même du baccalauréat et fit sa vie. Tout en sourires. 

 

-       Viens, lui disait-il, et elle y allait.

 

Il lui fit deux enfants, se fatigua à attendre d’elle des initiatives de vie intime qui ne vinrent jamais et commença à trouver ses sourires insupportables. Il mourut et laissa derrière lui une jeune veuve de 25 ans qui ne savait qu’opiner.

 

Meryem depuis grande enfant était en jolies rondeurs, en poitrine généreuse, en peau laiteuse et pleine, en décolletés innocents, en sourires enfantins et engageants. Femme, c’était à l’identique plus le brillant de la vingtaine. Mère, ses proportions s’épanouirent et s’affichèrent avec un total dédain de toute pudeur primaire. Elle souriait à tout-va.

 

Après le décès de son mari, qu’elle pleura comme un père, un frère et un camarade, beaucoup se proposèrent de l’aider. Son beau-frère, deux des plus proches amis de son mari, son associé et même quelques-uns de ses cousins. Elle n’y vit aucun mal et sourit de leur aide. C’est qu’elle ne savait rien faire des démarches nécessaires consécutives à un décès. Rapidement pas mal devinrent d’une aide assidue, elle laissa faire comme à son accoutumée. 

 

Meryem n’avait probablement jamais dit non à personne. Le non lui paraissait être une impolitesse et de toute façon, il ne lui était jamais venu à l’esprit d’envisager autre chose qu’un oui de bienveillance. Si bien que tous ces proches pleins de sollicitude eurent pleinement droit à l’exploration de ses charmes féminins empreints d’innocence.

 

Decima fut généreuse avec Meryem et cette dot servit longtemps. Meryem fut prodigue avec tous, certains tombèrent en cours de traversée, d’autres se tinrent la dragée haute et purent profiter longtemps de cette belle et souriante abondance féminine.

Grande gentillesse ? Lâcheté ? Innocence pathologique ? Sourires plats et excessifs ? Corps preneur ? Viol d’enfant ? Inceste ?

 

Que dire de cette femme qui passa sa vie à se donner à tour de bras sans retour ? Qui fit de son corps un réceptacle de semences gourmandes et calculatrices.

 

Morta, à près de 85 ans, coupa un fil encore résistant, celui de Meryem, femme de corps philanthropique. Femme énigme, femme de coeur, toute en offrandes, en sourires. Ni gentillesse, encore moins lâcheté. Dire oui à l’autre, une vocation nommée Meryem.

 

Elle se réjouit de ce qui fut mais n’aima jamais personne. Une nymphe, souriante.