Voici une lettre inédite de Claire à Drus, Epilogue d'Eva.
Je suis tombée dessus. Je la trouve fortement ontologique.
Claire était dans son salon, un Martini rouge à la main. Elle ne savait comment s’y prendre pour faire parvenir à son époux son désir de lui parler, de lui dire les choses, de lui poser des questions, d’écouter attentivement ses réponses. Elle voulait tout mettre à plat une bonne fois pour toute et ne plus revenir là-dessus. Les redites n’étaient pas trop dans sa façon de faire, d’agir. Elle avait en détestation l’obsessionnel.
Ernest était en dehors du monde palpable, bien loin, au beau milieu du pré de l’inconscience.
Elle se mit à son bureau et écrivit une longue lettre à l’ami de tous les instants, Drus.
« Cher Drus,
Les mots se bousculent, les interrogations aussi, dans un silence difficile, en ce moment. Je hais ce qui m’échappe et vous le savez. Et, ce qui n’est pas en ma possession pour l’heure, est bien la clarté des choses. J’ai, quelquefois, l’impression qu’Ernest m’envoie des messages codés et je n’ai ni l’oreille ni le temps pour cela. J’ai épuisé mon lot de patience et je ne suis pas bigame comme lui.
Ah, l’horreur de ne pas savoir ce que l’on veut ! Comme si j’allais me prêter au jeu de ses allers-retours entre sa sulfureuse Eva et ce que fut notre vie, il y a des siècles, me semble-t-il.
Vous le savez, vous Drus, que jouer n’est pas dans mes cordes, ni dans mes désirs, encore moins dans ma volonté. Je serai prête, demain, à tout réparer, à lui remettre sa lettre que je n’ai même pas ouverte, à ne plus humer le musc noir qu’il dit tant aimer.
D’où vient-il ce musc d’ailleurs ? A quelle intimité est-il lié ? Qu’est-ce que ces confusions de genres ? Qu’ai-je à voir avec des fragrances de lui ou d’elle ou de je ne sais qui ? Mon monde de senteurs est marin moi et libre, totalement. Il ne saurait être capiteux.
Ernest est dans l’obsessionnel à répéter les mêmes rengaines depuis la rue Mogador et la péripatéticienne du réverbère. Je ne lui répondrai plus. Pourtant, j’ai dit, redit, expliqué, signifié, conclu mille et une fois.
L’absence est signifiante, c’est tout. J’aurais trois ou quatre questions à lui poser. Je lui prêterais l’oreille attentivement, patiemment. A défaut de le secouer dans tous les sens, de remettre en place tous les fusibles sautés et par là même, la maîtrise de soi.
L’amitié est belle, voilà pourquoi je vous écris. Le reste est compliqué. Très. S’il s’avère que pour Ernest, cet entre-deux est possible, parce qu’il pense y avoir droit, pour n’avoir pas assez vécu, parce qu’il a soif de ce qu’il ne connut pas, je serai violente.
Non, je ne jouerai pas et je n’attendrai pas et je ne compatis point. J’ai œuvré dans le solide, le reste est fortuit.
Vous voyez Drus, vous qui pensiez que notre amitié aurait pu évoluer différemment, je n’en crois rien. Cela aurait été forcé. Je n’ai pas quitté mon monde encore avec ce partenaire à l’ouest … Je serai signifiante cher Drus.
Qu’attend-il de moi ?
Que je le comprenne dans ses tergiversations ontologiques ?
Que je m’accommode de ses pérégrinations ?
Que j’intègre Eva dans mon équation ?
Que je fasse preuve d’indulgence vis-à-vis de ses pertes existentielles ?
Non. Tout est réparable à l’heure où je vous écris, absolument tout. Afin que je quitte vite fait ce traquenard. Je n’aurais jamais dû m’en accommoder. Par patience. Je m’appelle Claire.
Cher Drus, merci de votre présence épistolaire, si précieuse. Je remettrai très vite la main sur les commandes fermes de ma psyché directrice.
Amitiés intelligentes,
Claire. »
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