Réflexions à la première personne*
6h du matin, j’ouvre un œil et je pense à Eva. La sulfureuse. L’éhontée. L’obscène. Voilà un personnage de ma fabrication onirique - ou presque - aux antipodes de mon être.
Eva m’a été ôté des mains. J’avais douze ans ? Un bouquin incompréhensible qui bousculait mon monde de gamine. Le monde transmis principalement par Sobel, de vertus, de dignité, de pudeur, de sagesse, de sérieux et de rigueur. Le monde de mon géniteur, fait de poigne et de méfiance, d’hommes-loups à détecter et à pulvériser. Un père-Œdipe fou de sa fille.
- Attention !
Maître-mot, fondement de mon être, même au fort de la connaissance de l’autre, et de l’amour aussi, convenons-en. Mais même l’amour n’écorna pas cette méfiance. Les hommes, des êtres à écouter, à regarder et à tester.
Très peu d’exercices, pour dire les choses ; et sa superbe toujours debout et toujours intacte.
- Mythologie, papa, pourquoi ?
( Sourires )
Éva est femme dans le sens des trois-quarts des hommes, un être de chair, de jeu, de déroute, de séduction, de corps à corps, d’oubli, de rires infondés, de tête renversée, de bouche pleine et charnue et faisant toutes les moues …
L’autre versant de la terre.
Pourquoi Éva est-elle toujours intrigante pour l’adulte que je suis aujourd’hui ? La pleine adulte prompte et détectrice de haute volée ? Éva la lascive si éloignée de ce que je suis foncièrement. Pourquoi une péripatéticienne est-elle si captivante, même pour le moine tibétain que je suis ?
Est-ce la différence complète ?
La compréhension et le saisissement de l’autre ?
Les mobiles de l’être profond d’Éva ?
La psyché d’Éva ?
Éva, l’allumeuse ? Celle qui rit de l’effondrement de l’autre ? Qui s’amuse à mesurer son degré de nuisance ? Pour qui la mort n’est en rien une peur ?
Quelles conditions ontologiques ont fait d’Éva ce qu’elle était ?
Se mesure-t-elle aux dieux dans sa condition de vamp revendiquée ?
Comment comprendre les procédés de séduction sans peine d’Éva ?
Perversion complète ?
Bonheur d’être sans humanisme aucun, sans scrupules aucun ?
Voilà un personnage à peine croisé, aussitôt dérobé, parti à jamais avec cette chapardeuse des miens. Un personnage que je dus ressusciter, habiller, inventer, parer d’insalubrité et de rires insupportables, une pute avec tout ce que le mot possède comme signifiés. Oui, une pute. C’est-à-dire une destructrice qui joue de ses moyens charnels, uniquement. Qui s’amuse de l’autre sans une once d’humanisme ou d’empathie et qui rit à gorge déployée. Qui tire un bonheur démon de l’avilissement de l’autre et de ses dépendances. Il n’y a pas d’autres mots pour Éva. Ou alors c’est moi. Mais je ne le crois pas.
Pourquoi suis-je dans le jugement de cette créature ? Après tout c’est un personnage fictif, tout droit sorti de mon imaginaire…
Et puis même, c’est un personnage parfaitement existant dans l’échantillonnage humain, un anti-héros comme tant d’autres … Et puis qu’écrit-on ?
Nos lectures, nos films, nos ouï-dire, notre imaginaire, la réalité, la surréalité, les autres, notre environnement, le leur … Rien qui ne soit pas de la terre, qui vienne du dehors de l’homme.
Oui, pourquoi suis-je dans le jugement d’Éva ? A cause de son obscénité, de sa perversion, de son multi-récidivisme, de son inhumanité, de son indifférence à l’autre.
Je juge Éva parce qu’elle est destructrice, qu’elle en tire une joie, qu’elle s’en enorgueillit. Qu’elle fait de ses parties un atout, dans la laborieuse et sadique déflagration de l’autre.
Éva est une des mille et une déclinaisons du diable. Elle vient dans votre vie et vous êtes fini. A genou. A terre. Rampant.
Pourtant, elle fut une enfant, une page blanche, à l’aube de sa vie. Quels terribles traumas ont-ils fait d’elle le monstre qu’elle devint ? Quels impacts existentiels ? Quelles misères humaines ? Quelles gravures ontologiques ?
Aïe, aïe, aïe ! Que c’est complexe de devenir ignoble, monstrueux, assassin … !
Quelle ignominie !
Qu’Éva puisse ne jamais se frayer un chemin vers nous ! Que les vicissitudes de l’existence nous en éloignent à jamais ! Autrement, c’en est fini de notre valeur intrinsèque.
*Je c’est moi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire