Je les regarde dans les yeux et je sais qu’ils savent. Je viens de les nourrir et ils sont pleins de reconnaissance. Ce que je les aime. Leur humilité, leur solidarité, leur silence.
- Viens là toi. Ce n’est pas bien grave. Pour ce que cela vaut. Ce sera tellement moins violent. Je t’aime moi aussi mon Zinou.
Ils étaient tout autour, les yeux interrogateurs. Grands, à me fixer. Je ne pourrai pas. Pas eux. Mais je suis plein d’inquiétude. Il m’a dit de ne pas m’en faire et qu’à mon retour, ils seront bien plus dodus. Je l’ai vu faire et il me semble qu’il a du cœur. Mais c’est un vendeur …
- Lulu, approche-toi, l’oreille, murmures à mon amie canine de toujours. Oui, oui, il le faut. Je t’aime aussi. Pas grand-chose. Le monde fourmille. C’est l’heure.
Elle me léchait les avant-bras, les mains. Des avant-bras pauvres et vides. Qui voudrait les ragaillardir ? Je suis une sous crotte. Non, pas vraiment. J’aime la littérature et le cinéma. Mon court métrage est bon. Les sites sont riches d’histoire et les enfants étaient si engagés, si répondants. Ça n’a pas été fatigant hier. Ils étaient heureux et moi aussi. C’était vers le soir que ça avait fait tilt. Il a fallu un mot ou une phrase. De cette naine de la tête et des manières.
Cinq semaines d’implication, de préparatifs, de location de matos, de revue du script, de distribution des micro rôles. Carthage sera le personnage principal. Elle n’a qu’à se faire voir et le Beau opère. Cinq comparses. Espiègles et tout en énergie.
« Je suis Brad Pitt ! » Hurlait-il. Ce môme ! Si attachant. Il me ressemble.
De l’eau glacée. Mais glacée, jusque dans mes veines. J’ai senti une déflagration terrible. Tout était à terre. Définitivement. Tragiquement. Le coup d’épée s’était fait à ce moment-là. Un naufrage.
Les Termes d’Antonin sont une splendeur. Si* M. le guide a été d’une élégance absolument incroyable. Il connait l’histoire de la Reine sur le bout de la langue. Un illettré d’une richesse intellectuelle impressionnante. A lui seul, il constitue une définition de l’amour de sa terre. Le dico est du coup superflu. Il m’a confié que sur sa carte d’identité, c’était marqué ouvrier mais qu’il n’en avait plus honte puisqu’il a eu des conversations avec des savants de tous les pays du monde.
- Comme vous M.
Cette phrase ! Merci, mille mercis ! Elle fit mon bonheur, toute la semaine, jusqu’au raz-de-marée. Là, tout avait été pulvérisé. Lui, ma pauvreté affective, le scénario, les petits, mon moi entier, mon travail, la sueur de ma plume. Absolument tout. Il y a eu un phénomène de précipitation absolument indescriptible et jamais 24 heures n’avaient été plus atrocement longues. Une après-midi vers le lendemain soir. Claquemuré.
Enfant, je caressais les arbres, je mettais mes bras autour et je leur disais mon amour. De leur force, de leur sève jusqu’à leur duvet. Ils m’écoutaient et nous étions amis. J’étais persuadé que nous nous comprendrions plus tard.
Déjà à cette époque, je savais que j’avais en moi un secret, si secret que je n’en savais même pas la contenance. Un secret à moi, en moi et que je partageais avec les arbres.
Avec les êtres de silence aussi qui lisaient ma psyché avant moi, qui siégeaient en haut de mon territoire intérieur et qui revenaient me regarder dans les yeux. Je traduisais mon être dans leurs regards enamourés, tristes, larmoyants ou joueurs. C’était selon.
- Que vais-je faire aujourd’hui de Zinou, Lulu et Rimbaud ? Vais-je pouvoir me contenter de ce qu’il me dit ? Est-il digne de respect et de confiance ? Parle-t-il droit ? Les mots ont-ils de la teneur pour lui ? Sait-il le langage du silence ?
C’était en 6ème, je crois. J’avais onze ans. Ils durent saisir mon hypra-sensibilité. Ils m’enfermèrent aux lieux d’aisance, me firent d’abord les poches, me dénudèrent, jouèrent longuement avec mon corps et ensuite me scalpèrent la croix gammée sur le crâne. J’aurais pu mourir mais je me tus. Je finis de me raser la tête et dis à ma mère que c’était à cause de l’épidémie des poux. Je ne sais toujours pas décrire ce que je ressentis à ce moment-là. Je sais qu’au milieu de cette heure ou demi-heure atroce, j’eus une peur épouvantable mais aussi un petit plaisir malsain. Ce fut un moment marquant de différentes manières.
Je ne sais pas pourquoi Iba refuse l’affection. L’amour. Nous avons bien quarante ans tous les deux et il y avait une alchimie. Une véritable alchimie. Quoi qu’il dise. Ce n’était pas que les livres, la littérature, la poésie et le cinéma d’auteur. C’était aussi nous. Mais il n’en convint jamais. Pourtant, le soir du baiser furtif qui me porta vers lui, il faillit perdre l’équilibre, me poussa rudement et sortit précipitamment. Ce que je fis était plus fort que moi. Je fus porté par un désir intense, un désir de l’autre, de sa lumière et de sa peau aussi. Il y avait quelque chose qui venait du plus loin de moi-même, sans le déshonneur ni les salissures ni l’opprobre ni l’humiliation ni la cruauté.
Je me retiens de fixer l’origine de cet élan parce que même s’il y eut un trait jouissif, ce n’était en rien comparable. Il partit mais il revint. Et mon cœur, mon être, mes émotions vécurent au rythme de ces rencontres furtives, silencieuses émotionnellement mais riches en intelligence lumineuse.
C’était un transport qui était à la pulsion de ce baiser que je lui donnai éperdument, sans conscience aucune du geste. C’était comme si j’avais serré contre mon cœur qui naissait à l’émoi, les arbres de mon enfance. Iba de ce moment si fort et si profondément humain. Ce n’était pas l’avis des hommes; pour eux, c’était la dépravation.
Je suis seul avec mes chiens que j’aime tant. Je suis nourri de livres et de scénarii, de peinture et de Rodin et de bien d’autres … Mais je n’ai pas le droit d’être l’homme que je suis, la nature qui est mienne, ma sensibilité aux arbres, aux êtres muets et à Iba. Je dois porter une croix gammée en braise là-même où nait le désir afin qu’à chaque fois qu’il lève la tête fièrement, je l’enferme aux latrines, dans la puanteur.
Pourtant aimer est tout ce que nous possédons.
Je tourne en rond à l’intérieur de moi-même. La 6ème et sa cruauté sauvage, mon monde de passionné des narrations, des mythes et de l’imaginaire. Mon monde de nature d’abord et d’esthétisme quasi simultané. Quarante années de déroute entre ce que je suis et le modèle social moralement convenable, la puanteur du bloc sanitaire du collège et cette énergie puissante et heureuse qui me porta vers Iba.
Iba le cultivé, le beau et l’humaniste, réponse rêvée à ma définition de l’amour de l’humain.
Mes chiens, je vous aime. Je vais prêter l’oreille aux promesses du vendeur et je prends mon bâton. Là-bas se fera mon tronçon sans le souci des sens et de la bien-pensance. Là-bas se fera le jugulement de mon chaos intérieur ou peut-être la possible harmonie entre les arbres, la croix, les belles lettres, la musique et Iba.
Je ne suis pas laid. Non, il n’y a pas de quoi rire dans mon dos. Je suis bien plus fin que la courte-sur-pattes qui mit mon court-métrage à la corbeille de son bureau d’exécutante agitée. Je ne suis pas miséreux, on ne peut l’être quand on s’emplit d’histoires humaines ordinaires ou extraordinaires.
Je me suis réellement impliqué avec les petits, nous avons écrit et beaucoup ri. Si M. m’a répertorié savant parmi les savants, merci Monsieur, votre grandeur m’émeut encore. Merci ! Nous avons tous besoin d’un peu de reconnaissance, la vôtre fut immense, bien plus que tous les papiers avec en-tête.
Je ferme les yeux et j’enfouis ma tête dans le creux du cou d’Iba. Ce n’était que cela, rien d’autre. Tant que ton bras malmenait. Je ne savais pas plus que toi Iba, non, je ne savais pas.
C’est quand même heureux de monter sur les livres pour se passer la corde au cou. Très heureux.
*Si M. : Monsieur M.
S.SBZ*
*Fiction en hommage à un ami humain à peine connu et vite éclipsé. Je n’oublie pas.
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