Lettre à la rangeuse de mon être intérieur
"Aujourd’hui ma mère est morte ou peut-être hier je ne sais plus … Ma mère est morte de ses maux, des maux qu’elle ne méritait pas, qu’elle a laissé s’installer ou qu’elle a refusé de voir, qu’elle a tus ou qu’elle n’a pas endigués d’une manière ou d’une autre.
Je ne lui reproche pas de s’être laissé emporter, non, je lui reproche de n’avoir pas su regarder le mal en face. Même pas à vrai dire, je ne le peux pas. J’en n’ai pas le droit. J’ai simplement besoin de m’en prendre à quelqu’un ou à quelque chose. Bête que je suis, tragédien que je suis, personnage mythologique que je prétends être, dans la force de la vie. Bête mais bête de mes certitudes écornées et éphémères, de mes certitudes affaiblies d’aujourd’hui, de ma stature de vivant.
J’ai besoin de dire ce matin. Je sais que c’est repos pour vous. Alors lisez-moi demain.
Besoin de dire le mensonge des hommes, leur malhonnêteté. Les calculs et les supputations. De cet ami, faux comme un jeton, qui vit dans le travestissement. Qui ignore l’amitié et qui campe sur son moi. À exécuter les diktats des autres, engoncé dans l’enfance. Tant est élevé le prix d’être un adulte, d’être un être libre.
Besoin de dire l’orgueil de cet être, si frère, si pendant, à soigner la bâtisse sans renouveler l’air intérieur. Belle bâtisse et air irrespirable sous peu. Pourquoi ?
Nous ne sommes que des êtres humains si puissants et si démunis. La puissance est belle, certes. Il faut la revendiquer, la sculpter, s’en armer, s’en enorgueillir. Mais penser aux jours de fraicheur aussi, aux jours indépassables, aux jours lents, aux lents-demains, belle erreur, point faute, si on considère que ce mot est moins pardonnable que le premier – et me voilà linguiste dans mes pérégrinations.
J’ai besoin de dire, encore aujourd’hui, combien le manque empiète. Les doigts de velours, les mots rares mais si forts en teneur affective et existentielle. Rien ne vaut la mer, un océan de don de soi, une enveloppe iodée, l’œil de Dieu sur votre Ontos.
Je voudrais dire la petitesse de ceux qui veulent vous ramener à leurs inscriptions sclérosées, qui vous veulent dans le Même, qui ne saisissent rien de votre œuvre, qui l’envient et par défaut, par incompréhension, sont saisis par l’aiguillon de lacérer et ne le pouvant pas s’extériorisent en méchanceté. De petits bruits, vite écartés, mais quelle bassesse et surtout quelle ignorance, quelle pauvreté spirituelle !
Non, je ne m’attarderai pas là-dessus. Pourtant saisi par l’ampleur du mensonge, des artifices sur décades. Mentir, faire semblant, jouer … les oripeaux des relations humaines. Des nains d’esprit.
Je voudrais dire combien est grande l’Existence dans l’esprit des Créateurs, des rêveurs-faiseurs, des dynamiques de l’imaginaire, des bâtisseurs. Faire et faire et de nouveau faire et continuer à faire et ne pas cesser de faire. Modeler les murs de sa forge, attiser le feu du foyer, garder sa main levée et secouer sa grise. Tout Ontos est dans cette énergie vivifiante, renouvelée, alerte et prompte. Agir et agir et ne cesser d’agir afin de mériter de l’Être. Parce que sans traces, il n’y a pas d’Ontos et sans Ontos, il n’y a que vers de terre.
Je voudrais dire la peine terrible de cette toute jeune fleur devant le mal rongeant la mer. Cette difficulté à cerner, à se préparer, à être acculé au passif, sans capacité d’action. J’ai vu aussi dépérir et c’est marquant. Cette toute jeune fleur seule au monde et dans le refus.
Je voudrais dire le regard polysémique des démunis de la rue entre honte, misère, envie et maux divers, maux multiples. Non, l’être humain n’est pas venu au monde ainsi loti. Non, l’être humain n’est pas si nu à l’aurore. Que vaut une société aveugle, un coin de terre non agissant, une politique défaillante ?
Tragédie de l’homme et drame du groupe.
Aujourd’hui, comme il y a trois décades, ma mère est morte et j’ai froid de l’oubli."
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