I.
Un matin de décembre. Je tremble de m’exprimer. Elle ne sera pas là. C’est un jour décrété congé de fin de semaine. Le suivra, le jour du Seigneur des adeptes du Christ. Une fin de semaine qui a eu son partage. Vendredi saint. Shabbat shalom. Et le tour est joué.
C’est comme l’autre, la tête aux quatre vents à partager du sol.
Part-on d’ici tout plein de biens terrestres ? De terres, de parterres, de joaillières, de cuillères lors de la mise en bière ?
Des errements que nos gestes de vie, mais il faut y croire. Il le faut. La vie est tout ce que nous possédons et la parfaire ou du moins la rendre moins difficile est notre tâche tout au long du parcours. Sans relâche. Je m’y emploierai. Enfin, j'essayerai.
Hier, je fus fort contrarié par un échange épistolaire que j’eus avec une amie. Les amis proches, j’en ai très peu en réalité et je suis foncièrement méfiant. Nous évoquâmes ma seule vraie amie de toujours décédée depuis plus de quinze ans, Emma.
Elle fut, à mon goût, peu respectueuse ; et puis, pour moi, on n’évoque les morts que rapidement en veillant à la dignité de leur absence. J’ai trouvé dans ses deux malheureuses phrases, envie et désir de réduire. Je vis rouge.
Comment peut-on vouloir ternir la réputation d’une disparue ?
Comment peut-on jalouser une personne qui loge six pieds sous terre ?
De quelles valeurs, parle-t-on quand les morts ne sont pas laissés en paix ?
De quel droit, juge-t-on une personne à partir de rien ?
Comment peut-on ne pas arrondir les angles de sa pensée ?
Quelle dignité y a-t-il à regarder par le trou de la serrure la tombe d’une échappée de la vie ?
Une Dame qui méritait respect de son vivant et plus encore à son départ. Une Dame qui fut toute sa vie jalousée pour son aura et sa liberté d’être. Les hommes reconnaissaient de suite sa valeur fondée. Beaucoup en tombaient amoureux. Les femmes la considéraient comme chanceuse au-delà du mérite et leur vie durant, elles essayèrent de l’écorner, surtout derrière son dos. Ce n’était pas possible en sa présence : elle se défendait âprement avec un argumentaire solide.
Un samedi de désolation. Je n’ai pas celle que je paye afin qu’elle m’écoute et je suis au-dedans à ras-bord avec mon anxiété. Je n’avais même pas l’envie de marcher droit et vite afin de calmer mon tremblement intérieur tous azimuts et à tout-va.
Je pris mon propre bouquin et je commençai à le lire. Ce n’était plus le mien et il y avait la distance du temps passé. Comment ai-je pu mettre en scène tous ses personnages ? Pourquoi ceux-là et pas d’autres ? Pourquoi ai-je fait de Mme Récamier, un être aussi positif ? Ai-je oublié son mépris des élèves moyens ?
Et pourquoi tout se passe dans un univers scolaire ? Est-ce ma détestation de l’école ? Mon tempérament de caractériel ? Mon esprit obtus ? Ai-je vraiment l’esprit obtus ? N’ai-je pas levé tous mes examens malgré tout ? Pourquoi tous me voient comme l’enfant récalcitrant qui donna du fil à retordre à ses parents ?
J’ai plus de cinquante ans et je continue à ruminer l’école. Mme Dumarsais, M. Marcel, les autres … Mme Julienne eut, elle, le mérite de m’approcher dans une démarche humaine de compréhension psychologique. Je lui sais gré même si tout mon parcours d’apprenant chaotique noya l’ensemble de la population éducative dans une franche détestation.
J’étais un élève butté et je suis, aujourd’hui samedi, un grand adulte, toujours en peine avec son passé, avec la notion du temps. Les décades ont filé et je déteste autant M. Bouadess, mon professeur de math de 3ème.
Je suis un élève TSA. Enfin, j’étais un élève qui avait des troubles cognitifs que la plupart, à cette époque-là, prirent pour de la fainéantise et de l’obstination et, plus ils me mirent à mal, plus je me braquai tant et si bien que je haï tout le monde et, d’abord, moi-même.
Mon histoire a été pénible et elle l’est encore ce matin, en l’absence d’une oreille bienveillante. Enfin que je crois bienveillante.
Pavel Pilin