Quand le je est romancé
Sans hésiter, elle écrit sur son twitter :
« Cherche pour femme exceptionnelle, amitié masculine correspondante. Indépendance, intelligence, beauté et art … Le tout en hauteur. 50 et plus. Séniles s’abstenir. »
Elle en rit. Assez fort.
- Cela fera fuir toute personne sensée, lui dit-elle.
- Pourquoi ?
- Parce qu’on n’aime les dieux que par peur. Et ton annonce est déifiante.
- Que devrais-je écrire alors ?
- Jeune femme incertaine cherche protection masculine. Ou jeune femme par terre cherche sauveur. Ou encore …
- Mais ce n’est pas toi !
- Évidemment, dit-elle, amusée.
- Peut-être, pourrais-tu être plus humaine, non ?
- Je le suis bien plus que d’autres. À ma manière.
- Écoute, j’aimerais te voir plus dans la vraie vie et moins dans Colette.
- Je n’aime pas beaucoup Colette.
- Peut-on avoir une conversation ordinaire ? J’ai peur que tu ne te perdes un jour entre bouquins et plume.
- Parce que tu crois que je les braderai contre un homme ?
- Non, évidemment ( elle haussa les sourcils moqueusement ), mais tu auras du temps pour autre chose aussi.
- Mais j’ai du temps pour plein de choses, fit-elle, en riant. Ton annonce ne fera pas de vagues. Les personnes intéressantes sont toujours ailleurs.
On vient au monde seul et on le quitte du même pied. Évidemment, le tronçon est capital entre réalisations, vie, procrastination, amour et désamour … L’intensité seule est capitale. Oui, l’intensité. Quand elle fit part à sa fille de son intention de mourir ailleurs que dans son pays où l’incinération n’était pas autorisée, cette dernière évoqua les formalités administratives.
- Tu peux me mentir, tu sais. Une fois morte, je n'en saurai rien.
Elles en rirent toutes les deux.
- En réalité, je ne sais trop comment faire avec toi, Mam’s.
- Juste, lis-moi. Et appelle-moi. Et rions. Et ne me range surtout pas dans le tiroir des objets ternes et poussiéreux. J’ai encore l’intention d’en embêter plus d’un.
C’était emmerder. Cela va de soi. Il n’y a pas de Colette qui vaille devant l’humour.
Elle vivait seule depuis quelques années, a quitté sa profession de toujours après avoir constaté la vacuité de la montée de quelques marches. Proposer des démarches cognitives nouvelles lui plaisait. Elle maîtrisait la chose, était fin psychologue et avait plus d’un tour dans son sac quand il s’agissait d’agir sur l’autre par le savoir, la connaissance ou même le remodelage de sa psyché. Son parcours lui apprit énormément de choses sur l’autre, le pousse, le jeune esprit frais en besoin de strates. Et puis, elle se concertait avec des spécialistes du monde entier, sur des projets multidisciplinaires, qu’il fallait mettre sur pied à des dates butoirs. Elle était fin prête au moins un mois avant l’échéance. C’était riche et chaque projet la mobilisait totalement. Elle travaillait en ligne, trois jours par semaine et s’arrangeait pour le faire – souvent – en extérieur, en combinant plaisir d’organiser, d’envisager, de faire, de construire et de se faire servir de petites choses délicieuses.
Rien de bien lourd, juste le goût des produits simples, citronnés et huilés finement montés avec leurs complices inattendus. Et c’était grandiose. Des crevettines roses avec des tomates de saison, de la burratta, quelques sésames, quelques pistaches et des quartiers de mangue …
Elle adorait les mélanges inhabituels.
Et sa fille lui parlait « d’amitié » masculine.
Les sapios détestent les orifices, gèrent les choses d’une main de Pygmalion, les renomment et leur donnent la signifiance qui leur semble la meilleure, c’est-à-dire, pour son cas à elle, la plus ontologique. Quelque chose de sublimé.
- Il me faut une grosse loupe.
- Pourquoi ?
- Pour trouver l’amitié que tu me conseilles.
- Il y a le temps Mam’s.
- Ne t’en fais pas, je reste.
Elle regarda sa mère entre rires et exaspération.
- Décidément, cette Mam’s n’est pas commode, dit-elle, à voix haute. Pourquoi tu n’es pas comme les mums de mes potos !?
- Tu aimes Buckowsi, n’est-ce pas ? Et Goodis ? Et John Le Carré ? Et les écrivains anars ? Et les Studios Ghibli et Salvator Dali et sa structure en déjection ? Tu es dans ton monde ma Div, c’est tout.
Elle la regarda avec ses grands yeux tout ronds, tout verts .
- Mon Dieuuuu !
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