La plage était plutôt vide, le ciel hésitant entre nuages et soleil, la mer suivait, tantôt claire tantôt opaque, et juin ne savait plus sur quel pied danser, été ou automne.
Ils regardaient la mer ou peut-être pas. Chaussés de grosses lunettes solaires, ils étaient étendus sur les transats de l’hôtel, satisfaits du silence et du peu de monde.
Il se revoyait jeune, grand et vigoureux. Sans être franchement beau, il avait un charme vrai et beaucoup d’humour, des cheveux magnifiques et des traits imparfaits. Son atout majeur était son sourire et ses dents rieuses. D’ailleurs, elle tomba amoureuse de ses dents et de son humour.
Jusqu’à plus de cinquante ans, à la plage, il restait en bord de mer, dans cette place phare des séducteurs : l’eau, la fraicheur et le passage des plus belles créatures féminines en une-pièce, en deux-pièces, en shorts sexy, en paréos attirées par l’iode.
- Qui dit mieux ? disait-il à ses amis. Vous avez les mollets et un petit lever de tête vous donne une idée sur l’ensemble.
Il aimait la femme, sa compagnie, son rire et son intelligence et il en connut pas mal avant de se faire passer l’anneau au doigt.
« J’étais pas mal et j’ai encore soif de vie. Peut-être est-il trop tard, peut-être que je n’ai plus l’âge ? Je ne supporte plus le soleil et plus de trois heures de mer me mettent à plat. Cela fait longtemps que je dors devant la TV et je m’extirpe difficilement de ma voiture. Les deux indices de vieillesse martelés par mon père.
Mon père, ce héros du passé, de l’autre côté depuis un bon moment, m’attend-il ? Papa, papa laisse-moi encore s’il te plait ! J’aspire encore à une vingtaine d’étés ! »
Une jeune femme les salua de la tête et prit place non loin d’eux. Ils l’avaient déjà vue la veille avec son bébé et son jeune mari. Elle avait un léger embonpoint et c’était une toute jeune maman. Une trentenaire, une quadragénaire à peine ? Il ne pouvait deviner son âge, elle était juste très jeune et ce n’était pas du tout sa génération, plutôt celle de son fils. Il se revit au même âge et se dit que le problème de l’homme était de ne jamais savoir saisir l’instant. A trente, il regrette ses vingt ans et à quarante, il est effrayé par la cinquantaine ! Quelle bêtise !
La jeune femme s’allongea sur son transat en plein soleil. Elle avait des rondeurs magnifiques et il détourna ses yeux.
Sa femme souriait intérieurement. Elle savait son mari nostalgique de sa vigueur d’antan. Qu’il est enfantin ! pensa-t-elle. Il était en bonne santé, son élégance était belle à voir, il avait le même charme qu’il y a plus de quarante ans et il se rêvait de nouveau en jeune étalon.
« Mon ami, tu n’es pas une machine. Tu es un être de vie et de rires. La grande gym a eu son temps et puis, il y a la tendresse. Inestimable. »
C’était un homme qui s’aimait, difficile de le convaincre et puis c’était un sujet très glissant. Elle voyait son intérêt pour la toute jeune femme à côté d’eux. Peut-être qu’à un moment, il se ressaisirait, que la raison lui dirait de faire preuve de pudeur, qu’il avait eu son temps et qu’elle avait l’âge de son fils, voire moins. Elle laissait venir les choses d’elles-mêmes et ne réagissait plus, mais la conscience de certains hommes est moins prompte que celle de certaines femmes.
- Tu vas dans l’eau ? Je viens aussi.
Il regardait son épouse de côté. Elle avait toujours eu un beau grain de peau et le gardait. Son corps était resté mince et le tombé de peau n’était pas laid. Elle était surtout toujours coquette et ne se laissait pas aller et il lui savait gré de cela. En réalité, c’était dans sa nature d’être soucieuse de sa personne, elle aimait le beau, la vie et trouvait un intérêt quotidien à tout affronter, aussi bien les obligations domestiques de toutes sortes que l’âge qui faisait des sienne.
- Je contre tout ce qui veut s’encrasser, disait-elle, fréquemment. Non, pas avec moi.
Parmi les pensées secrètes, profondément enfouies – qu’elle finit par percer un jour d’hiver et de silence – son admiration pour sa meilleure amie. C’était il y a bien longtemps, avant qu’elle ne l’écartât. Une femme assez rare, plutôt énigmatique, dont il rêvait en silence. Il enviait son compagnon, un dieu lui aussi de charme et de signifiance.
- Pourquoi lui ? pensait-il.
C’était pourtant clair. Il était charismatique et avait de vraies valeurs. Avec tout le reste.
Et un jour qu’il voulut se faire plaisir, un jour qu’il voulut se prouver qu’il était bien encore de cette vie, l’idée germa, germa fort en lui et il se mit à élaborer un plan d’abordage.
( A suivre )
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire