Ma vie fut épouvantable. Je volai quelques instants de bonheur et je partis à la trentaine vite fait, bien fait. Je sais qu’ils étaient assez contents de me voir partir malgré le deuil. Tant mieux en quelque sorte, ils vécurent dans le déshonneur à cause de moi, parce que la différence n’était pas autorisée.
Je suis Alex, un nom d’emprunt, évidemment. Je vins au monde vers le milieu des années soixante. Je vins beau et ma mère joua beaucoup à la poupée avec moi. Ma beauté la fascinait et elle aimait passer du rimmel sur mes cils latins fournis. C’était l’innocence de ma mère qui nous mit au monde sans jamais quitter elle-même l’enfance. Elle aimait la beauté, la musique et le rire et dédaignait le quotidien et les responsabilités en tout genre.
Je levais les yeux vers elle pour trouver dans son regard admiration et approbation. Et je les trouvai durant trois décades ou un peu moins, car quand le mal fut visible, elle détourna les yeux. C’était très dur pour elle et elle pleurait sans cesse. Elle se mentait aussi pour durer et pour rester focalisée sur le Beau et la Vie.
A l’école primaire, quand le médecin scolaire me demanda de retirer mes chaussures, je refusai net. Mes chaussettes étaient trouées et j’en avais honte. Il insista et re insista. Niet, je me tins au non et tous me regardaient dans l’incompréhension. Si j’avais été plus aguerri, j’aurais vu que d’autres étaient dans la même situation et étaient, quand même, montés sur la balance sans mettre hors de lui le toubib. Ce n’était ni l’époque ni la place pour se trouver devant un praticien fin psychologue. C’était aussi ma résistance d’enfant devant les moqueries certaines et probablement l’ordre musclé.
A onze ans, je fus violé par un grand gaillard qui me tourna autour pendant plusieurs mois jusqu’à ce qu’il m’eût dans ses filets. Je savais qu’il voulait quelque chose d’interdit, de mal, de silencieux. Au début, je trouvai ça sale et grave, mais très vite les choses se mélangèrent dans mon esprit. C’était sale, moche, moite et emporteur.
Il me dessinait des sourires sur les lèvres avec ses doigts dans l’arrière-boutique ; quelquefois, il me caressait les flancs en douceur. Il y avait de la gentillesse chez ce monsieur, de la douceur aussi. De la fièvre dans ses yeux. Je savais que c’était mal, mais ses yeux disaient l’inverse et puis ils m’éveillaient à quelque chose de grisant. Je quittais son atelier les joues rouges, quelquefois précipitamment, pour retourner chez moi, réfléchir et retourner le voir sans trop saisir les choses. J’aimais ses mains, le secret de son toucher, la chaleur qu’il faisait monter en moi.
Un jour, il me caressa les fesses, les parties aussi. Il me posséda et ce fut fort. J’en pleurai chez moi, seul dans mon lit, dans le silence de mes draps, mais je retournai le voir. J’aimais ses mains et l'émoi qui montait progressivement en moi au point où il m’aveuglait.
Ce fut ainsi pendant quelques mois, jusqu’à ce qu’un jour, ma tante me trouva assis devant son atelier. Elle me demanda ce que je faisais en compagnie d’un adulte inconnu, le toisa et lui demanda des comptes, me prit par le bras et me déposa chez moi. Je crois qu’elle en parla à mon père parce que nos relations devinrent vite fait houleuses et puis le silence s’installa ; durablement, jusqu’à sa mort précoce.
Après l’épisode viol - si on peut appeler cela ainsi - je fus longtemps honteux de moi, de ce que j’avais subi ou de ce que j’avais voulu et mon père se tint derrière moi, vigilant et examinateur. Plusieurs jeunes gens m’abordèrent par les mêmes moyens détournés que ceux du grand gaillard et je fus agressif verbalement. Qu’avais-je au physique qui les attirait ? Mes sourires ? Ma gentillesse ?
Je ratai mes études et à près de dix-huit ans, je commençai à faire des petits boulots, à droite, à gauche et très souvent avec des femmes ou des hommes gentils. Dans la rue, j’avais toujours été raillé et souvent des gamins m’appelaient Alexia. J’encaissais et de rares fois, je me défendais, mais je n’avais pas toujours les moyens. J’étais un vrai gentil, un serviable, un prompt à soutenir, un rieur et un affectueux.
Et puis, je fis la connaissance de Ramsès et ce fut le coup de foudre, immédiatement. On s’aimait, on se regardait et on se cherchait. Nos peaux se désiraient. J’étais homosexuel. Je ne pouvais plus me cacher de moi-même au coeur de l'amour, pur et vrai. Ce que je ressentais pour Ramsès. Ce que Ramsès ressentait pour moi. C'était puissant et douloureux.
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