mercredi 12 avril 2023

Zorba

 










Elle marchait sur le rivage, humait l’air marin, s’arrêtait quelquefois aux cris stridents des mouettes, toujours affairées, semblait-il. La lumière dans cette région côtière, qu’elle aimait tant, était éclatante et sans lunettes sombres, c’était assez difficile pour elle. 


Ses jambes avançaient d’elles-mêmes sur ce sable humide qu’elles connaissaient depuis un demi-siècle. Elle était sur son territoire, aux pieds de sa mer, à quelques mètres de ces vieux murs antiques qui arrivaient à se tenir debout malgré l’eau iodée et les siècles. Un lieu authentique, c’est-à-dire, chargé d’histoire ancienne, qui exigeait silence et respect, ce qui n’était le cas que le matin très tôt ou le soir tard, hors saison estivale. 


Un rien pouvait l’irriter, des mégots jetés ou du plastic sur le rivage et elle fulminait contre des autorités peu rigoureuses, des lois municipales inexistantes ou peu respectées, une inconscience fréquemment juvénile de ces lieux mythiques qui se doivent d’être regardés dans le silence et l’admiration.

 

A chaque âge, des soucis premiers, pensa-t-elle. 

 

Des couples solitaires venaient souvent dans le coin, attirés par la mer, le paysage, à la recherche d’intimité et d’amour et dans la fièvre des gestes, dans le corps intempestif, ils n’avaient d’yeux que pour leur découverte réciproque d’eux-mêmes sans se soucier de l’historicité des lieux ou l’ignorant. 


Sociétés de l’interdit, du tabou, de l’amour qui se cache, de la liberté bridée … Du poids et des chaînes qui empiètent sur le terrain du savoir, de la connaissance à côté de tous les autres problèmes moraux, éducatifs, culturels, sociaux et politiques. 

 

Quel dommage ! se dit-elle, autant d’inconscience. Quelle bêtise de faire vivre les hommes dans la crainte du regard des autres et de limiter ainsi une liberté indispensable pour découvrir, édifier, bâtir et faire preuve d’ingéniosité !

 

Tabous, silences, frustrations et leurs corollaires, mensonges, hypocrisie et fausseté. 

 

Ses pensées focalisèrent sur une personne dont elle eut à s’occuper qui voulut mener une double vie sans se soucier de ses répercussions sur les autres, qui disait la chose et son contraire selon ce qui lui convenait. Elle semblait fonctionner selon les retombées des choses, des gestes, des mots et des entreprises sur sa personne propre. 


En cabinet, elle comprit que dans son esprit, c’était légitime autant de pirouettes et lui conseilla de consulter ailleurs. Ce n’était pas aisé de reformater un mental qui s’inspirait de mythes infondés et elle était à des milliers de lieux de cette manière de voir les choses. Car même, professionnellement, aujourd’hui, elle choisissait son travail, prenait ce qui pouvait enrichir la société, asseoir la différence, promouvoir la clarté comme ligne de vie. 

Ce n’était pas très déontologique en vérité de refuser d’aider à mieux être des personnes assujetties à une culture différente de la sienne - personnelle - qui ne tablait que sur la liberté de penser et d’être selon ses désirs profonds. Mais elle avait l’excuse des années, du travail fourni pendant trois décades, à écouter, à s’imprégner de l’autre, à lui apprendre la nécessité de mettre de l’ordre dans son esprit, de penser sa vie d’abord et de la vivre ensuite, intelligemment et sciemment.

 

Pourquoi voulait-elle de cette duplicité ? Pourquoi un tel amour de soi sans se soucier du cours de l’eau ? Elle était où la cohérence ? La générosité du cœur dite, redite et claironnée et directement prise selon elle de ses convictions spirituelles ?

 

Elle vit un nombre incalculable de personnes à la psyché complexe, à la démarche confuse, au faire consécutif … L’être humain est un assortiment d'un tas de choses, il est fait de mailles diverses, impacté de mille et une manières par son vécu, par les incidences fortuites sur le cours de sa vie, par ses déambulations personnelles, par sa situation à chaque fois, à différents paliers de son existence …

 

Durant des années, elle suivit et orienta selon les conditions des personnes qui l’avaient sollicitée, selon leur tissu culturel au sens philosophique du terme. Aujourd’hui, elle trouvait difficile de s’adapter à l’autre, parce qu’elle avait en tête toute cette société qui était la sienne mais qui se perdait beaucoup en conjectures, en idoles et en moralités insensées pour peu qu'on pose les vraies questions  …

 

-       C’est une nouvelle époque, se dit-elle. L’image prime, le faux, la mise en scène. Le livre n’existe plus ou très peu. Le Savoir n’est plus un idéal et un objectif premier. Les TV serinent de l’éphémère, si ce n’est pas du mort-né, la valeur se perd …

 

L’eau lui chatouilla les orteils, ce qui la ramena au paysage et à la Scalla. Admirable crique ! L’eau scintillait sous les rayons solaires. Quelques gamins entraient dans la mer, pressés de vivre un été au beau milieu du printemps. Ils étaient calmes et elle les en remercia, intérieurement. Elle avança sur le ponton espérant trouver sur la gauche la barque de Zorba. 





 






-       Bonjour, lui dit-il. Paix à ton père. J’ai ce qu’il te faut. Allez, faisons, un tour d’abord. 

 

Deux octopus aux magnifiques tentacules et de belles crevettes roses !

 

Il lui tendit la main et elle mit un pied dans la barque, ensuite l’autre. Elle lui sourit. C’est l’un des derniers dinosaures de Carthage. Il connut de près son père, sa mère et avait durant longtemps gardé leur embarcation. Évidemment, il ne prendra pas un rond et elle sait comment lui faire plaisir. Il avait plus de soixante-quinze ans et était toujours vigoureux. Naturellement, le moteur remplaça les rames. Il n’était pas bruyant, parce que Zorba était soucieux du calme de la mer. 

 

Ils prirent le large et s’arrêtèrent au milieu de l’iode, silencieux. Trente minutes au milieu de la mer sans autre bruit que celui des mouettes. Quelques poissons téméraires faisaient des acrobaties, des clapotements de temps en temps … C’était magique.

 

-       Que tu vives, Zorba ! Merci. Je passerai après-demain.

-     Que tu vives ma grande fille, nous sommes les derniers sur les traces de Didon la libre.

 

 

Sourires.

 

-       Merci Tontonet !

 

Rires. 





 

 







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