Deux boss et de surcroît mari et femme, voilà de quoi nourrir les imaginaires malsains. Naturellement, tous n’étaient pas des complotistes. Il y avait même parmi nous, des deux côtés, de très belles personnes, des dignes et des rigoureux. Mais beaucoup aimaient fomenter des coups, beaucoup voulaient se rapprocher des dirigeants, alimentaient des pensées secrètes, colportaient des propos, enfonçaient leurs collègues … Pour semer la zizanie, pour créer de la tension et ensuite se prêter pour la faire baisser, pour espérer un retour heureux, pour plaire …
Avec Sonia, de retour chez nous, nous nous reprenions et nous analysions vite fait les situations. Nous nous comprenions à demi-mots, mais nous avions besoin de nous concerter, un petit moment, pour faire des recoupements et nous prémunir. Peu de mots, mais de l’efficacité et des réajustements prompts pour le bon fonctionnement de notre travail.
Nous avions compris que certaines personnes étaient ainsi et que l’important était de prévoir leurs manigances et d’y parer. Que le but premier était de ne pas tomber dans leurs pièges et de savoir les décourager. Nos comités de pilotage étaient composés des collègues les plus solides professionnellement et les plus sûrs et, là aussi, on savait prendre le temps de traiter de ce genre de soucis sans trop nous y attarder, faisant prévaloir les manières d’y faire face.
Nous avions recruté, il y a près de trois ans un jeune concepteur fraîchement diplômé, Jed. Nous avions misé sur sa jeunesse et son répondant. Sonia l’avait trouvé plein de vitalité lors de l’entretien d’embauche et elle m’avait dit qu’il renforcerait l’équipe des designers composée de trois spécialistes dont Ali., un talentueux autodidacte, créatif, travailleur et humble. Son avis comptait beaucoup au sein de l’équipe et il avait une intelligence intuitive qui lui faisait faire des maquettes fort intéressantes. Il adopta la nouvelle recrue et se chargea de sa formation.
A. n’avait aucun mal à parler de son parcours, de son expérience professionnelle, de l’absence de sa formation académique. Il connaissait la valeur de ses propositions et n’en tirait pas une gloire bavarde. C’était le mieux payé de son équipe, pour son ancienneté, son travail et son sérieux. Nous n’avons jamais su si Jed tenta de diminuer Ali directement, mais nous vîmes, aussitôt qu’il fut fixé dans son poste, tous les moyens utilisés mielleusement, pour dénigrer le travail de son formateur. Un jeune pourtant, tout frais, et bien sous tous les rapports, extérieurement.
- Mme, Ali est travailleur, mais le professionnalisme devrait être le seul critère de votre entreprise. C’est vrai que ses maquettes sont quelquefois intéressantes, mais peut-on le présenter comme concepteur dans notre trombinoscope ? Non.
- On en discutera en comité de pilotage. Merci de regagner votre bureau, lui dit Sophie. Et continuez à consulter Ali avant présentation de votre travail.
Une semaine plus tard, au cours de la réunion du CP présidé par Sonia, Ali fut promu au mérite, Responsable Conception et design. Désormais, tous les travaux passeront, obligatoirement, par lui avant adoption.
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