J’ai passé ma vie à étudier. J’ai monté ma petite entreprise aussitôt mes stages finis. Ma chance a été de tomber sur Sonia qui a rejoint l’équipe et qui a aussi injecté son petit capital pour son département. Des économies pour elle comme pour moi, mais notre détermination, notre travail acharné, notre constance ont fini par payer : une réputation d’entreprise sérieuse et ponctuelle dans le domaine.
Sonia et moi avons bon nombre de points communs professionnellement, dont l’exigence du travail bien fait, le respect de nos partenaires et des deadline.
Au plus près de nous-mêmes, nous étions plutôt complémentaires. Quand je montais d’un ton, elle mettait sa mesure et quand l’impatience et le stress me prenaient, elle savait mettre le holà.
Il est bon d’énoncer clairement que les femmes sont bien plus fortes que les hommes dans l’absolu. Dans mon pays, c’est une réalité, mal vécue et niée, évidemment. Pourtant c’est un fait. Il n’y qu’à remonter 814 avant J.-C. pour s’en rendre compte. Elyssa-Didon et son exceptionnelle intelligence.
Mon tempérament impétueux trouvait son équilibre dans la manière de faire de Sonia, dans sa pondération et sa mesure. Elle prenait le temps d’écouter l’autre, longuement, réagissait toujours en tout dernier lieu et posément. J’étais le contraire exact et je tournais vite fait les talons.
Dans mon pays, ce qui me mettait hors de moi, c’est la propension des gens à être double, à nourrir des pensées secrètes fréquemment négatives, à être égotistes. Leurs analyses se faisaient souvent en fonction de leurs petites personnes. Comment cela rejaillirait-il sur moi ? Que pourrait-je en tirer ? Comment faire pour qu’on ne voie que moi ? Et si j’en sors amoindri ? Moi, moi et encore moi … Cela m'insupporte, surtout quand ils ne se voient pas. Les trois-quarts du temps.
Jed n’était qu’un parmi d’autres à s’aimer sur le dos de l’autre. La pire des choses dans une entreprise est la responsable de la réception et des appels. Elle maintient dans le creux de sa main tous les potins de la boîte et les distille comme des vérités d’opportunités et d’avenir. Celle-là précisément avait très régulièrement besoin du remontage de bretelles labellisé Sonia.
Mme Sonia, comme ils disent et ils n’avaient jamais compris.
Nous étions trente personnes, quinze de chaque côté. Sur les trente collègues, une dizaine étaient sûres, investies, compétentes et promptes au travail et à la réactivité en situation problématique. Sinon, des charmeuses, des jaloux et des médisants - des hommes en priorité - un collègue gestionnaire entreprenant et désireux de monter en grade par tous les moyens …
Sonia, sachant la nature humaine sûrement mieux que moi, décida très vite de s’occuper de cette énergie négative de la vingtaine "dans-tous-les-sens". Elle mit en place une réunion collégiale mensuelle qui avait pour tâche de proposer, aux deux équipes des deux départements, un faire professionnel innovant où le travail le disputait au mérite vrai et au plaisir. Des prix qui couronnent l’excellence au travail, des activités sportives d’une heure au sein de l’entreprise, de la natation en piscine - nous dûmes louer un espace plus grand, doté d’un sous-sol avec piscine et géré par un coach – des enveloppes-cadeaux pour les événements heureux, un magasine de fin d’année avec les réalisations de chacun …
Je me souviens qu’un jour l’équipe de Sonia travailla pieds nus parce qu’elle avait pris connaissance d’une étude récente, affirmant que cela mettait le personnel plus à l’aise et que cela se répercutait positivement sur l’entreprise.
Évidemment, nous travaillons pour gagner notre vie, pour assurer notre avenir. Nous travaillons pour capitaliser nos années d’études, pour vivre et faire vivre. Nous faisons tout conformément aux lois régissant notre corporatisme. Nous nos alignons sur les lois et le code du travail. Notre réussite et notre réputation toujours grandissante sont conséquentes de l’effort de tous, du travail acharné et de la réactivité, particulièrement de mon épouse, en situation de problème ou de conflit.
Avions-nous une vie ? Oui et non. Pas d’enfant. Le soir, après le moment d’échange professionnel, et les week-ends. Sonia tenait la route bien mieux que moi. La nature humaine et ses travers agissaient mal sur moi.
J’ai très souvent envie d’un atelier au fond d’un jardin de verdure où je pourrais ne faire que de la créa, et puis manger des produits simples et non transformés, boire de la limonade à la menthe et au miel, quitter notre domicile pour aller dans l’océan faire des brasses sur 80 longueurs - mon rythme - aimer ma femme et deux fois par an découvrir une contrée nouvelle.
En attendant, lundi, à 8 heures, je verrai le sourire de circonstance de la jeune femme de l’accueil, ses ongles longs et recourbés, sa queue de cheval sautillante … Mais, j’irai prendre mon café avec Ali, dont le rythme pesé, les mots pesés et la loyauté dénouaient ipso facto les neurones en boule de mon estomac.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire