Parce qu'il me reste de toi des images vivaces défiant tous les temps.
Je me souviens encore d’elle sur son lit de mort au milieu des sœurs si humaines mais non moins férues de silences, de mains levées, de prières muettes, d’yeux levés vers le ciel, de Dieu et d’extrême onction …
La mort donne raison à leur dévotion, c’est du moins ce qu’elles croient. Elles viennent, partent et reviennent. Pourtant, elles n’étaient pas dans leurs rituels, mais qu’importe, il y a mort et monothéisme. Je vois tout leur remue-ménage extérieur et intérieur, leur candeur, mais l’heure n’était ni au rire, ni aux explications philosophiques.
Et puis, je les aimais bien, je les ai toujours aimées par respect pour leur discours de paix, du moins là-bas, à ce moment-là et dans le contexte d’alors ; dans un pays qui n’était pas le leur et dans une culture différente, parce qu’elles étaient restées pour continuer à servir, à aider et à soutenir. Et puis, la clinique était la propriété du Vatican.
Je sais qu’elle aussi les aimait et leur faisait confiance surtout. Elle a été leur élève en col Claudine et en jupette à pois. Elle avait appris à écrire penché avec elles, ces si belles lettres entrelacées ...
Je me souviens que sœur Myriam vint pour la énième fois demander si j’avais besoin de parler, si m’extérioriser un peu me ferait du bien, qu’elle était là pour Mama et moi …
- Êtes-vous croyante, ma fille ? me demanda-t-elle.
- Non, je ne le suis pas, mais merci de votre sollicitude, dis-je, assez fermement.
J’avais vingt ans et comme aujourd’hui, je ne mâchais pas mes mots. Je disais les choses directement en regardant l’autre dans les yeux. Et d’ailleurs, je continue à le faire. D’abord, parce que j’aime la clarté sans équivoque du propos, ensuite parce que je hais le mensonge.
Il y a aussi le fait que la foi est tellement consécutive de notre être profond, de notre parcours, des incidences de la vie sur nous, de notre courbe de savoirs, de nos lectures, de nos décryptages, de notre saisissement des choses et je m’étonne toujours qu’on ne l’envisage pas.
Je me souviens encore d’elle dans cette chambre d’un autre temps, cette chambre vaste et ensoleillée. Je me souviens du petit balcon qui donnait sur l’immense jardin aux arbres gigantesques. Je m’y installais souvent pour lire. Avant que les choses ne s’aggravassent.
Elle dormait profondément, les joues rouges et la peau diaphane. Elle avait des sourcils fins et courbés, magnifiquement auburn sur sa très belle peau. Je la vois encore avec toutes les précisions que j’en fais. A l’identique, véritablement. Et elle était une vraie splendeur.
Je savais que quand elle allait ouvrir un œil, elle allait s’inquiéter pour moi. Elle savait qu’elle allait partir et avait dépassé la phase du déni et ensuite du marchandage. Elle portait une chemise de nuit blanche dont le haut et le col étaient en broderie anglaise.
Sa couette était entièrement fleurie, de grosses roses fuchsia sur un fond vert jade. J’avais refusé de lui rapporter ses affaires de chez elle, parce que j’avais soutenu qu’elle entamait une nouvelle vie et que ça ne sera que du rose, que du neuf, qu’on allait donner tout le reste, même les choses auxquelles elle tenait. Et je claquais l’argent en achetant, du chocolat, des douceurs, des roses, du parfum, des crèmes, des draps, des mules … Tout ce qu’elle avait déjà chez elle.
J’étais dans une frénésie du geste, de l’achat, des mots, des couleurs … Du regard, quand elle dormait. Mais je crois que je me défendais à ma manière de l’abominable chose, de l’atroce coup de la vie, de l’irréparable perte de sa mère. J’avais vingt ans et nous étions fusionnelles.
J’étais sa mère et sa fille. Elle était ma mère, ma sœur et mon point d’ancrage le plus puissant, le plus généreux et le plus humaniste. Ce que j'ai de profondément bon vient d'elle et même si je m'en défends en lui substituant le rationnel pur, afin d'évaluer les autres et les choses, il avait la vie dure.
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