mardi 12 avril 2022

Était-ce Kundera ?





Mes parents étaient vieux et fatigués et avec mon jeune frère, nous nous partagions la responsabilité de les veiller et de passer la nuit chez eux, chacun son tour. C’était ma semaine. 

Pas grand-chose à faire à part diner avec eux, regarder vaguement la TV et, aussitôt, au lit. A dix-huit heures, leur journée touchait à sa fin.


Mes parents étaient tous les deux maîtres d’application, c’était au milieu du siècle dernier. Une vie de don de soi, d’apprentissages divers, d’accompagnement des autres. Et de nous. 


Nous reçûmes une éducation rigoureuse où l’essentiel tournait autour de la responsabilité et du mérite personnel, de la volonté et de la détermination. L’éducation tranquille dispensée par deux maîtres d’application du siècle dernier était de taille : calme, écoute, sérieux, assimilation et application


Mon père, un Monsieur longiligne, bien sur ses pieds, bien dans son esprit, parlait peu mais sur les questions d’existence, il savait nous réunir et nous parler droit dans les yeux :

 

-       Réussir vous demandera de la pondération, du travail à plein temps et une bonne conception du temps. Ne le gaspillez pas. Vous êtes les maîtres d’œuvre de vos vies. N’attendez de moi que des conseils et de l’écoute. Réussir est un devoir et un droit.

 

Ma mère, elle, était sévère, ouvertement, et ne lésinait pas sur les mots :

 

-       Ou vous réussissez ou vous ratez votre vie. C’est simple.

 

Tous les soirs, après le dîner que nous prenions assez tôt, elle nous appelait chacun son tour, s’enquérait de la journée, des devoirs de chaque matière.

 

-       Qu’as-tu à faire pour ce soir ? Et pour la fin de semaine ? Vas-y sans plus tarder. 

 

Nous vécûmes dans le respect de nos parents, des autres et de nous-mêmes. Nous apprîmes à nous débrouiller et à réussir sans lésiner sur la détermination, l’implication et l’application.


 

18h30. Mes ruminations m’emmenèrent très loin, pourtant cela ne faisait même pas dix minutes que chacun se glissa dans son lit. Mon père ferma vite l’œil, ma mère me dit le plaisir de m’avoir proche d’elle. J’attendais qu’ils s’assoupissent pour aller au petit salon contigu, lire un peu et rester proche d’oreille. Je ne pouvais pas dormir à 18h30. C’était impossible. 


Un Kundera en main, je sortis sur la pointe des pieds. J’étais à moins de cinq mètres d’eux, mais j’avais besoin de lumière et de tuer le temps.

 

Était-ce Kundera ? Les odeurs de nuit ? La potée de légumes ? Le 18h ? Le silence d’une grande maison vide ? ( Une maison bâtie à la sueur des leçons dispensées à des enfants, aujourd’hui, pour le moins, sexagénaires. )

Était-ce moi qui avance dans l’âge même si j'avance assez bien - mais, surtout, qui avance quand même – moi, qui suis en charge de mes géniteurs vieillissants ?

 

J’eus un serrement à la gorge, puis au thorax, une rougeur montante au visage et au front. Je me levai d’un bond, ouvris la fenêtre en besoin d’air et de fraîcheur … Je haletais. 

Une sensation d’étouffement, une nausée … La chose montait, montait … Une crise au sens psychique du terme.

 

Vivre pour en arriver là ? Pour décrépir ? Finir à petits feux ? Tomber dans la dépendance de ceux que nous avons bâtis ? Une peur. Une drôle de peur. 

A vingt ans, on oublie vite les choses. L’apesanteur. 

A soixante-ans, c’est une autre approche. L’oubli de la mort est vital. Mais elle est tellement garce qu’elle vous attrape à la gorge à huit ans. Après, à trente. Elle vous bouleverse à cinquante. Et à soixante, vous capitulez et vous laissez faire, mais pas tant que ça, en vérité. Vous faites semblant d'abdiquer. Une supplication muette et non revendiquée.

 

Je ne parlai à personne de cette sangsue d’une minute ou de quinze. De cette attrape-énergie collante et suffocante. De cette chose, qui me fit peur et stoppa mon assurance un laps de temps, se grava dans mon esprit jusqu’au lendemain et au surlendemain.

 

-       La vie ne vaut pas la peine d’être vécue, lui confiai-je.

-      Mais bien sûr que si, me dit-elle. C’est une angoisse existentielle. Mais nous sommes en vie. Je vivrai jusqu'à'à la mort. Et après, j'apprendrai, encore.

-       Je ne l’ai dit à personne.

-      Appréhende par l’esprit, si ça revient. J’ai eu des épisodes de panique. Il n’y a que le rationnel qui en vient à bout.

-       C’était fort.

-   La vie est une force, dit-elle, en souriant. Oui, j'ai réponse à tout. ( Sourires )






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