jeudi 25 janvier 2024

Femmes, 5

 








Quand cette femme esseulée et sa fille tapèrent à ma porte, je vis tout de suite leur égarement, leur asociabilité et leur confusion mentale. Je pris quand même le temps de m’assurer de leur inoffensivité et elles l’étaient. C’est que dans le contexte social, sous différents stimuli, elles pouvaient réagir avec outrance. Particulièrement la mère. 


 

Elle était coupée du monde, obéissait et servait ses proches en silence, ne jouissait d’aucune liberté financière et se soumettait pour vivre et faire vivre sa fille. 


 

Et elle se taisait, s’emplissait de toxicité et de négatif et quelquefois, quand les choses débordaient à l’intérieur de son être psychique, elle explosait pour un rien, dans une attitude incontrôlable. Cela prenait un moment, suivi de honte, d’arguments sans queue ni tête, concoctés en son for intérieur, de retrait aussi. Et elle refaisait surface, quand les choses, selon elle, s’étaient calmées. C’est que l’inconscience chez elle décapait tout. Un processus fort complexe pour minimiser, oublier et se protéger. 

 

-       Je ne suis pas folle et j’avais raison.

 

Une introvertie, au profil borderline, paranoïaque, bourrée de nœuds et de rancune. Pourtant, je pus dénicher en elle une belle sensibilité, un désir de se reprendre en main. Ce qui me poussa à la corriger, à la réparer et à la soutenir. Jusqu’à l’implication personnelle. 

 

Pourquoi ? Parce qu’il y avait l’héritage maternel, que j’étais assez ourdi en architecture psychique, que j’avais établi un transfert entre elle et ma sœur décédée et qu’à ce moment-là précisément, tendre la main vers l’autre, démuni, me faisait tenir debout et que j’étais un adepte de praxis humaine. 

 

Il y avait aussi ce quelque chose d’émouvant des personnes échouées qui, secouées par le fait du hasard, expriment un puissant mouvement, un élan vers une vie meilleure. 

 

C’était pourtant un vaste chantier psychologique et humain. Sur nombre d’années. Or, apprendre la liberté aux êtres enchaînés comporte des risques surtout dans le cas de compréhension inversée. 

 

Et ce fut le cas. Le renouveau fut de nature matérielle, l’être au monde resta farouche, même si cette femme se força à quelques percées sociales aux prix de grands efforts. Le retour humain fut malaisé, ingrat et oublieux. Le silence fut troqué par de l’incommodité voire de la franche incorrection. 

 

-       Je suis libre et je l’ai toujours été, semblait-elle vouloir me dire. 

 

Elle restait paranoïaque et en société, les rares fois où elle faisait une rapide percée, dès que derrière elle, des rires, ou des voix fortes se faisaient entendre, elle s’en croyait la cible. 

 

Là-dessus, elle ne changea pas. Mais contre toute attente, elle apprit à se comporter irrespectueusement se pensant forte et équilibrée. Tout cela dans l’abandon à elle-même, de sa fille - encore plus perdue qu’elle psychiquement - dont les gestes d’apaisement s’avèreront destructeurs et graves. 

La mère égarée dans une pseudo libération - qui s’apparentait en réalité à de la grossièreté - ne pouvait ne pas voir l’état de sa fille ou se complaisait dans le déni.

 

J’y avais mis du temps, de l’énergie, de l’attention et de l’affection. Était-ce un échec toute cette solidarité psychologique ? 

 

Je ne crois pas. C’était une considération un peu rapide de nœuds assez fort serrés, de strates vieilles et compactes, de lectures erronées d’évènements de sa part et d’attitudes diverses d’une adulte peu outillée humainement et mauvaise réceptrice.

 

J’avais eu trop d’espoirs, de la vraie détermination, mais mon transfert - quelque peu inconscient - n’était pas conforme parce que la nature profonde des deux êtres était dissemblante. 

Ma sœur et cette femme - qui m’était apparue désemparée de prime abord - possédaient des cœurs incomparables, avaient des principes de vie aux antipodes. Il y avait d’un côté un humanisme nourrissant combiné à un profond mal être et de l’autre, une sécheresse froide, inféconde doublée d’une méfiance pathologique tous azimuts. 


Et elle entama les ruptures, comme dans un long processus de vengeance ... Elle ne faisait plus le distinguo entre le thérapeute et les autres, d'autant que ce dernier glissa un peu. 

 

-       Des meutes, tous. Et j’ai toujours su marcher seule, me dit-elle. 

 

Alors qu’elle claudiquait fortement, qu’elle partait dans la direction opposée, se cacher de ses maux et de ses résonances. La paranoïa était totalement enracinée et indécrottable. 

 

 

Je crois bien, aujourd’hui, qu’il faille mesurer le don de soi aux autres, parce que quelquefois la nature humaine, revêche et froide, vous donne à voir une laideur dont vous vous passerez volontiers. Elle ne vous élève pas, elle vous étonne et vous écœure, même si cette évolution inversée de la personne en mal d’être, est la preuve que dans les abysses de l’être, des zones arides ne sont pas aisément curables. 

 

Et, convenons-en, la distanciation fut assez écornée. 

 

Quel passé fit de cette femme, la myope qu’elle était dans le fond ?

Qu’est-ce qui fait que des êtres en besoin d’aide soient si peu regardants, oublieux des efforts déployés bénévolement pour les remettre sur pieds ?

Comment pouvait-on être si pauvre humainement ? 

 

Une chose était certaine, c’est qu’au bout de quatre ans de soutien, je pus mesurer l’intense frigidité d’âme d’une femme qui ne voyait que son nombril, qui louvoya et dont le seul souci était le sou : l’avoir et le stocker, l’avoir et l’entasser. 


L'humain, quelle déception !













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