vendredi 30 juin 2023

N'oubliez pas de mettre des cerises sur ma tombe, 2



Quand le je est romancé






Sans hésiter, elle écrit sur son twitter : 

 

« Cherche pour femme exceptionnelle, amitié masculine correspondante. Indépendance, intelligence, beauté et art …  Le tout en hauteur. 50 et plus. Séniles s’abstenir. »

 

Elle en rit. Assez fort. 

 

-       Cela fera fuir toute personne sensée, lui dit-elle.

-       Pourquoi ?

-       Parce qu’on n’aime les dieux que par peur. Et ton annonce est déifiante.

-       Que devrais-je écrire alors ?

-       Jeune femme incertaine cherche protection masculine. Ou jeune femme par terre cherche sauveur. Ou encore …

-       Mais ce n’est pas toi !

-       Évidemment, dit-elle, amusée. 

-       Peut-être, pourrais-tu être plus humaine, non ?

-       Je le suis bien plus que d’autres. À ma manière.

-       Écoute, j’aimerais te voir plus dans la vraie vie et moins dans Colette.

-       Je n’aime pas beaucoup Colette. 

-     Peut-on avoir une conversation ordinaire ? J’ai peur que tu ne te perdes un jour entre bouquins et plume.

-       Parce que tu crois que je les braderai contre un homme ?

-     Non, évidemment ( elle haussa les sourcils moqueusement ), mais tu auras du temps pour autre chose aussi.

-       Mais j’ai du temps pour plein de choses, fit-elle, en riant. Ton annonce ne fera pas de vagues. Les personnes intéressantes sont toujours ailleurs. 

 

 

On vient au monde seul et on le quitte du même pied. Évidemment, le tronçon est capital entre réalisations, vie, procrastination, amour et désamour … L’intensité seule est capitale. Oui, l’intensité. Quand elle fit part à sa fille de son intention de mourir ailleurs que dans son pays où l’incinération n’était pas autorisée, cette dernière évoqua les formalités administratives.

 

-       Tu peux me mentir, tu sais. Une fois morte, je n'en saurai rien.

 

Elles en rirent toutes les deux. 

 

-        En réalité, je ne sais trop comment faire avec toi, Mam’s.

-     Juste, lis-moi. Et appelle-moi. Et rions. Et ne me range surtout pas dans le tiroir des objets ternes et poussiéreux. J’ai encore l’intention d’en embêter plus d’un.

 

C’était emmerder. Cela va de soi. Il n’y a pas de Colette qui vaille devant l’humour.






 

Elle vivait seule depuis quelques années, a quitté sa profession de toujours après avoir constaté la vacuité de la montée de quelques marches. Proposer des démarches cognitives nouvelles lui plaisait. Elle maîtrisait la chose, était fin psychologue et avait plus d’un tour dans son sac quand il s’agissait d’agir sur l’autre par le savoir, la connaissance ou même le remodelage de sa psyché. Son parcours lui apprit énormément de choses sur l’autre, le pousse, le jeune esprit frais en besoin de strates. Et puis, elle se concertait avec des spécialistes du monde entier, sur des projets multidisciplinaires, qu’il fallait mettre sur pied à des dates butoirs. Elle était fin prête au moins un mois avant l’échéance. C’était riche et chaque projet la mobilisait totalement. Elle travaillait en ligne, trois jours par semaine et s’arrangeait pour le faire – souvent – en extérieur, en combinant plaisir d’organiser, d’envisager, de faire, de construire et de se faire servir de petites choses délicieuses.

 

Rien de bien lourd, juste le goût des produits simples, citronnés et huilés finement montés avec leurs complices inattendus. Et c’était grandiose. Des crevettines roses avec des tomates de saison, de la burratta, quelques sésames, quelques pistaches et des quartiers de mangue … 


Elle adorait les mélanges inhabituels. 


Et sa fille lui parlait « d’amitié » masculine. 


Les sapios détestent les orifices, gèrent les choses d’une main de Pygmalion, les renomment et leur donnent la signifiance qui leur semble la meilleure, c’est-à-dire, pour son cas à elle, la plus ontologique. Quelque chose de sublimé. 

 

-       Il me faut une grosse loupe.

-       Pourquoi ?

-       Pour trouver l’amitié que tu me conseilles.

-       Il y a le temps Mam’s.

-       Ne t’en fais pas, je reste.

 

Elle regarda sa mère entre rires et exaspération.

 

-    Décidément, cette Mam’s n’est pas commode, dit-elle, à voix haute. Pourquoi tu n’es pas comme les mums de mes potos !?

-      Tu aimes Buckowsi, n’est-ce pas ? Et Goodis ? Et John Le Carré ? Et les écrivains anars ? Et les Studios Ghibli et Salvator Dali et sa structure en déjection ? Tu es dans ton monde ma Div, c’est tout. 

 

Elle la regarda avec ses grands yeux tout ronds, tout verts .

 

-       Mon Dieuuuu !












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jeudi 29 juin 2023

Rendez-moi mes années, je vous rendrai vos jours, 2

 












Beaucoup d’hommes sont bêtes et beaucoup de femmes aussi. C’est ainsi. Quand il la coinça entre deux portes et qu’il lui dit - l’air coupable - qu’elle avait une poitrine aussi belle que celle de son épouse, elle fut intérieurement choquée par son impertinence. 


Était-il en train de devenir fou ? pensa-t-elle. Ce n’était pas dans leurs habitudes, ils étaient amis dans la pudeur et le respect des limites consenties tacitement. En plus, il était fébrile et c’était comme s’il lui demandait de le comprendre et de le protéger. Un instant de nudité et d’impudeur. Elle en parla à son amie avec délicatesse et elles convinrent que leur amitié ne méritait pas d’être ternie. Elles surent faire en parfait accord. 

 

Dans l’eau, un coup claire, un coup sombre, elle y repensa et se dit que les hommes étaient décidément tous enclins aux faiblesses pulsionnelles plus que les femmes peut-être, en tout cas bien plus que les femmes cérébrales. Du jeu, une baisse de son assurance, des doutes sur la mécanique physique, un moment d’égarement, de l’oubli de la situation, de l’amour de son petit moi, un petit cadeau secret qu’il se consentit, ou encore cette vieille croyance machiste, disons-le, de l’homme qui pense que tout peut lui être accordé ? 


Éducation de mère du fils-roi ou des relents ou le social, le patriarcat et/ou l’absence de recul vis à vis des choses présentées comme évidences.


 

Il a vu une belle poitrine ferme et remontée, la bête se réveilla d’un trait, du sommeil le plus profond à la surface la plus plate. Or, les petits poissons nagent en surface et sont vite engloutis, mais allez dire ça au ça freudien dans toute son énergie sauvage. 

Elles décidèrent de se voir deux fois par semaine pour parler philosophiquement de tout et de rien et de préserver leur amitié.


 

La jeune maman vint dans l’eau. Elle avait ce je-ne-sais-quoi des très jeunes femmes qui viennent d’accoucher de la vie, un corps désirable, des mouvements amples, une chair généreuse et un sourire au soleil. Elle remuait l’eau de ses bras, des étincelles fluides brillaient de mille feux au soleil et il détourna les yeux. La pudeur s’invita in extremis. 

 

-       Aïe ! fit-il.

 

Il venait de se cogner le gros orteil contre un rocher invisible. Il maugréa quelque chose contre l’hôtelier et les profondeurs marines. Elle riait intérieurement, plongea dans l’eau et se délecta de sa fraîcheur. Il était face à sa nudité vieillissante et il l’avait assez mauvaise d’autant que le sur-moi perdait fréquemment de sa vigueur. Un menteur que cette homme qu’elle aima.

 

-       On mange à quelle heure mon chéri ? lui demanda-t-elle.















                                                                                                               
Photo Sophie Garnier, juin 2023, Exposition.
@SophieGranier



( A suivre )

mercredi 28 juin 2023

N’oubliez pas de mettre des cerises sur ma tombe, 1

 







 



Il prit le nourrisson en pleurs dans ses bras et lui murmura quelque chose à l’oreille. Il venait de quitter son nid amniotique, était tout émoustillé par la traversée, par la nouvelle respiration, par l’air inondant ses alvéoles pulmonaires. Un état de panique générale, celui des premières fois ; mais le vieux Monsieur n’en avait cure. Il était dans un rôle pluriséculaire qui lui donnait de l’allure, croyait-il, et les femmes derrière, en chauffeuses cultuelles, donnaient au moment la théâtralité solennelle qu’il fallait, par leur agitation silencieuse, leur assistance et enfin leurs youyous. 

 

Je pensais à Buckowski, à ses railleries mordantes, à son monde glauque, mais si humain, aux incertitudes, à la fragilité humaine, à sa force aussi …

 

Dire les choses est incontournable, mais à qui ?

 

J’assiste tous les jours à un monde nouveau, c’est dans l’ordre de l’existence et c’est très bien. Cela veut dire que la dynamique ne grince pas et qu’elle continue de tourner. Mais où sont les êtres libres ? Où sont les esprits toujours frais et neufs ? Où sont les percepteurs du monde, ses traducteurs, ses analystes et ses correcteurs ?

 

Pourquoi un être tout frais atterri au monde, doit-il subir l’ineptie, l’irréflexion, la vie longue de la bêtise, les représentations de la plus profonde ignorance ? A peine sorti que le marquage s’invite de lui-même, avec son concert de grand n’importe quoi, sous les sourires des fausses soumises, promoteuses de l’éternel recommencement irréfléchi du non-sens donné en vérité …

 

Et tout le monde était content. " Les choses avaient bien été menées comme par le passé. C’était bien, c’était émouvant. Voilà. " Sourires. 

 

- Pourtant, m’avait-elle écrit, je respecte tes idées, ta liberté d’être et de dire.

 

Et je lui répondis que ma tolérance était assez limite dès l’instant où on pose les choses comme vraies, avérées et incontournables. 


 

-    L’homme ordinaire peut s’y prêter, mais les hommes et les femmes d’esprit ont un rôle à jouer.


N’est pas investi qui prétend l’être. N’est pas tourmenté ontologiquement qui l’ânonne. Lever le voile est un devoir. Les démarches peuvent être multiples. De la simple interrogation au constat rationnel. Or, ça piaille, ça gonfle son moi, ça flatte son sur-moi. Et ce qu’ils ne savent pas, c’est que leur ça apparait dans son entière nudité première.

 

Pourquoi, oui pourquoi, est-ce si important de mentir au berceau ?  









( A suivre )