Que peut-on faire quand une épée de Damoclès a fixé l’heure de sa chute ?
Quels lambeaux de vie s’offrir quand on se sait sur le chemin de l’implosion ?
De quelles manières appréhender les jours restants ?
Jours restants ? Cela veut dire qu’elle n’existerait plus ?
Comment ne plus exister ? Est-ce seulement appréhendable par l’esprit ? Par son esprit ?
De quelles façons procéder ? Vivre ? Vivre pour les siens ? Structurer sa vie comme d’ordinaire ? Concevoir l’avenir ? Quel à-venir ?
Obéir au protocole arrêté par le thérapeute pour finir dans la douleur et la décomposition ? D’autant que le pronostic était sans appel et que la tache faisait tache d’huile.
« Je prendrai le large en beauté, décida-t-elle, en elle-même. J’irai au creux de la terre, là où se trouve la Connaissance et je la boirai. Je sais que Shamballa est la cité des Immortels, je vivrai donc et je ne mourrai point.
Là-bas, il y aura, aussi, toutes les réponses aux questions que se posèrent les Illustres et auxquelles, ils apportèrent des esquisses d’approches, à des années-lumière de la Vérité.
Ils ont eu le mérite de s’interroger et la démarche vaut bien plus que l’aboutissement.
Je ne suis pas une Illustre, je ne sais pas grand-chose du monde, je n’ai pas été, je ne suis pas une tourmentée de la vie ; je suis juste une humaine en besoin de vivre, d’encore vivre et de ne point mourir de sitôt. Voire de ne pas mourir du tout. Il a fallu que j’aille voir un praticien pour apprendre que je meure et je refuse. J’ai encore droit à la vie.
Ou alors Shamballa. Shamballa de mes rêves, parce que j’aime la lecture des mythes. Je vais m’apprêter pour y aller, je vais me faire belle, déployer ma chevelure, hâler ma peau et me noircir le regard. J’ai la peau belle et limpide et diaphane et à mes heures de gloire physique, mon mari me disait sa folie de ma peau. Il y mourait chaque soir, dans des halètements de plaisir intense.
- Je suis fou de toi ma perle rare, de désir et de beauté. Je suis fou de toi, vraiment. Penses-y à chaque instant du lever au coucher.
Cela veut dire que j’étais pourvoyeuse de ce qui fait l’acmé de la vie : le désir. Et malgré cela, j’étais destinée à mourir et assez tôt. À cinquante ans.
Agartha et Shamballa m’appellent. J’y peaufinerai mon savoir du monde, des trous noirs et des trous bleus et de toutes les autres grottes inaccessibles. Et cerise sur le gâteau, je me débarrasserai de la peur collante de mes huit ans et après de mes trente ans et celle suffocante de mes quarante-huit ans. Peut-être est-ce déjà un soulagement ? Oui, en regard de mon royaume au creux de la terre. Je m’y dirigerai en Valkyrie, forte et sûre, combative et dominante et j’y vivrai. Je distribuerai, moi, la mort et je mettrai à ma droite les héros. »
Elle s’apprêta, se fit belle et elle l’était. Belle jusqu’à l’eau au-dessus de sa tête. Sa dernière pensée fut pour Virginia Woolf dont sa fille lui parla.
- Un être de sensibilité extrême.
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