I.
Peut-être suis-je en train d’écrire deux fois la même histoire ? Peut-être que de dire et de redire ce qui fit de moi ce que je fus est marquant et essentiel à rappeler afin d’ajouter de la signifiance aux sens multiples ? Peut-être ne fus-je pas assez clair ? Peut-être que ma douleur, mes douleurs silencieuses, continuent à s’exprimer par besoin de s’épancher encore et toujours ? Peut-être même malgré moi ?
Je ne sais pas à vrai dire.
Je vins au monde dans la fange, la bouse, l’eau noirâtre des rues abandonnées. Comme tant d’autres à cette époque de Grande disette. Ce n’était pas exceptionnel et ce n’était pas extraordinaire. Nous naissions tous dans le silence glacé, les pieds dans la souillure, la crotte des bêtes encore transporteuses. Ma mère me trouva tétant la mamelle de notre chienne dans notre jardin. Un bien grand mot jardin, une cour plutôt. Toute ma vie, je sentis en profondeur le silence des chiens, mes parents d’adoption.
Nous sommes en 1947, la Guerre venait de prendre fin, un oncle paternel que je ne connus jamais mourut sur le champ de bataille. Son histoire sera toujours comme une sorte de mythe familial. Nous avions besoin de grandeur pour pallier au minimalisme. Le silence de cette contrée qui n’était pas véritablement la mienne, son froid glacial, ses murs délabrés, sa rugosité me marquèrent intérieurement. Je me défis de bon nombre de ces puces piqueuses-suceuses, d’autres s’avérèrent tenaces, hibernèrent longtemps et remontèrent à la surface. Plus tard. J’étais en manque de vigueur et elles occupèrent le terrain et, ce fut, une lutte quotidienne.
Mais j’étais un rebelle, un libre et un moderne par franche détestation du fondamentalement tribal et je vécus seul toute ma vie. Mes parents eurent-ils le temps de me concevoir que je pris déjà mon envol ! Loin, mais toujours présent. Évidemment.
Vers le milieu XXème, le temps était maussade, l’odeur putride de la mort enveloppait tout. Pourtant nous étions à des milliers de lieux du théâtre des opérations macabres et des surenchères poudreuses. Mes aînés avaient, eux, assisté au passage des Allemands chez nous et beaucoup les trouvèrent plus humains que les Français. C’était probablement des souvenirs d’ouïe. Une époque dure, de dénûment, de silences et d’abattement planétaire, même si nous n’avions pas véritablement conscience de l’extérieur lointain.
Très jeune, j’avais conscience de notre dépendance et même plus tard, au lycée, quand M. Rieux nous parla du Grenier de Rome, je m’étais demandé si le mythe ne prenait pas le pas sur la réalité ou si on vivait d’âge d’or ou si le passé nous gonflait la poitrine de fierté. La pauvreté était visible même pour l’œil d’un enfant bien que quelquefois un coupé de sport rouge passât par l’avenue. J’ai toujours pensé que le monde appartient à la poignée de riches qui tirent les ficelles et là-dessus, j’ai vu juste. Toute mon existence.
J’oublie toujours d’écrire que je suis le fier descendant d’une famille de patriotes et que ma grande tante, une turque de poigne, s’enveloppa d’une cape, se noircit la lèvre supérieure et, munie d’un fusil, fit face à l’ennemi comme ses frères et son père, sans une once d’hésitation.
Un oubli qui s’explique par le fait qu’un jeune ramène le monde à sa personne solitaire et, les complexes se faisant, on ne voit que ce qui a trait directement à soi.
Les souvenirs de l’enfant, puis de l’adolescent que j’étais, focalisaient sur les eaux troubles, le froid sec, les immondices, les difficultés de l’existence, les silences sociaux … sans me douter que c’était le lot de tous, globalement. Voilà les matériaux qui sculptèrent ma psyché profonde.
Et puis, je haïssais cette région où, pour des raisons liées à la profession de mon père, je vécus quelques années, jusqu’à mes 16 ans et mon départ vers l’Europe - que je fis, entière, en stop par ailleurs. Une région qui vous imposait le silence, parce que c’était moral et de bon ton. Pour un réfractaire à toute autorité, c’était horriblement tenaillant. Se taire devant les aînés, devant les proches, devant l’autorité officielle, devant les enseignants injustes quelquefois, les représentants de la loi et leurs abus de pouvoir, les représentants de la loi et les cercles autour d’eux, père, frère, fils, cousin … Il fallait, dans cette région des silences et des tabous, prendre l’apparat de rigueur, à peine la ligne d’arrivée franchie : bouche bâillonnée et oui hypocrite à tout-va. J’y avais passé une dizaine d’année dans le dégoût le plus enseveli. Pour faire bonne figure.
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