Et je partis faire mon cinéma. Parce que je voulais raconter les silences en images et en mots. J’en avais plein les yeux et l’esprit. Seize ans à tout relever et à observer le silence. Les images mentales avaient besoin de s’extérioriser et le trop-plein devenait menaçant.
Je partis loin, une petite bourse d’études en poche et des scénarii à en revendre. Quatre années de cours et autant en stages à droite et à gauche, histoire de se familiariser avec le milieu. J’étais l’étranger prompt à réagir à tout, à toucher à tout. Pourtant j’avais mes diplômes, mais de côtoyer les pontes du cinéma valait bien plus.
Quand on pensait me circonscrire au seul grade de commis - et ça venait le plus souvent des moins lotis - je faisais valoir mes études sans agressivité et, l’esprit de justice, la simplicité de mon ton, me portaient secours et rétablissaient les choses. J’étais là pour me mouiller la chemise sur le terrain afin de saisir tous les arcanes de la profession et nous étions encore à l’époque des dignes et des justes.
J’ai couru chercher le café bon nombre de fois à mes dieux et quelques-uns me virent. C’était l’adrénaline, le cœur battant, une énergie qui montait du plus profond de moi-même, le ravissement extrême.
Pendant de longs mois, je touchai à tous les domaines de la profession. Je fus Jeune-Homme-Café, aide-perchman, aide-réalisateur, aide-script, aide-monteur, aide-machiniste, aide-photographe, aide-technicien … Et rapidement, la créativité, la logistique, la technicité, l’information, la réalisation s’ouvrirent à moi comme autant de portes de la connaissance pratique et mon appétit était glouton.
Mes enseignements académiques me paraissaient très loin de la réalité de la profession et j’appris bien plus lors de ces stages. La créativité était certes un don, mais aussi une affaire de côtoiement de professionnels sur les plateaux de tournage, une affaire d’observations répétées, de frottement à tous les domaines du métier. Et notre école connut en ces temps-là - mai-juin 1968 – une période pédagogique difficile, tant elle était loin de l'esprit pratique de la jeunesse qui la fréquentait.
Ces années de course comme je les appelais - parce qu’en effet, je courais les trois-quarts du temps – m’enseignèrent à mi-voix l’art de filmer les silences signifiants. Précisément, ce que je désirais le plus au monde : casser le faire classique, contourner l’attendu, pervertir les démarches habituelles pour montrer au grand écran l’indicible en images parlantes.
Lever le voile, les voiles, me soulagea la poitrine et mit un terme aux représentations absorbées, malgré moi, dans ces contrées du silence et des yeux baissés. Ma colère tomba. A chaque film.
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