vendredi 21 avril 2023

Pour un regard de toi, 2













 I.

 

 

Tout est pouvoir. Dans l’absolu. 

 

Les fameux et détestables droits d’aînesse - comme s’il ne fallait respecter que les plus âgés que soi - une recommandation ferme exigeant application obligée, des diplômes supérieurs aux tiens qu’on fait valoir comme on agiterait un argument d’autorité, une voix plus forte que celle de tous, un rouleur de mécaniques provocateur et agressif, les cloches des églises avant la laïcité, le terrorisme et les sectes qui veulent gagner du terrain … et j’en passe. 

 

Le pouvoir. Haïssable. 

 

Il est pourtant aisé de placer au cœur des relations humaines le respect et la tolérance. Un monde sans sexisme n’est pas impossible, sans discrimination de l’autre, noir ou malade ou vieux ou nécessiteux … Les rapports de force gèrent le monde ouvertement ou hypocritement. L’homme et la femme, l’aisé et le démuni, le fort et le frêle … Évidemment, cela saute aux yeux dans certaines contrées alors que c’est subreptice ailleurs. Mais ailleurs, il y a des lois et des lois souvent fortes, même si cette loi de la jungle peut exister, aux-ras-les-pâquerettes et partout, chez les moins nantis intellectuellement et civiquement. Comme une mauvaise satisfaction, comme une revanche sur ses carences, comme un des plus laids héritages éducationnels. 

 

Le sens du juste, le rationalisme, la pensée construite, la liberté neutralisent le pouvoir des autres sur vous en situation de non-violence, d’écoute tolérante et d’intelligence. 

 

Autrement, l’Histoire est riche de pierres frappées de sang, de bûchers, d’inquisitions, de pogroms et de goulags. 

 

-    Ma religion est l’humanisme, dit-elle. Un humanisme qui accepte le kaléidoscope humain, avec toutes ses variantes. 











 

 

 

 

II.



 

Et puis, il y a ceux qui vieillissent rapidement ou mal, qui laissent le doute s’installer, qui ne réagissent pas à la première lampée ingurgitée de travers et malgré soi, qui ne maîtrisent pas les garde-fous conscients. La vieillesse est un mal nécessaire à la durée, un mal dont on doit pouvoir se délecter, parce qu’en son absence, on n’est plus. Concrètement.

Et la vieillesse a besoin d’être secouée. En permanence.

 

-       Sais-tu quel est ton pire ennemi ? me dit-elle, un jour. Et bien, c’est ton corps. Malmène-le, choque-le, laisse-le venir, contre ses exigences subtilement, tiens-le en haleine, ne le gâte pas de ce qui gâte et mets-le dans l’iode à chaque fois que l’opportunité se présente. Suis-le aussi, de près. Les fluides, surtout.


Vieillir, la belle affaire ! Du beau donc. 

 

-       Je n’ai pas l’intention de vieillir, dit-elle.

 

Mais c’est sans compter le mal gratuit. Et c’est exactement là que l’existence paraît dans toute sa fortuité. Soit, mais ne tombons pas dans l’obsessionnel, parce que vieillir est aussi un art. L’art de se tenir debout avec fermeté, l’art de se nourrir de céleste et de terrestre, nourriture de l’esprit et fruits de la terre. Les deux appétits s’affirmant dans la qualité. 

 

Vieillir est aussi l’art de s’aimer en aimant les autres méritants. L’art de la douceur et du beau. Le Beau au millimètre près, pour défier le temps. Sans Beau, on est déjà éteint. Par détestation de la passivité, du léthargique. Voire de l'inertie dans les cas d'abondan de soi. 

 

Vieillir n’est pas seulement subir, pour les moins entreprenants, les moins dans la réactivité, les plus dans le fatalisme, il y a aussi, et c’est le moins heureux, les eaux profondes et troubles qui remontent à la surface : aigreur, envie, méchanceté … 

Le tombé du masque et la laideur du mensonge et des faux-semblants. C’est précisément, le visage laid de la vieillesse, la face abominable, une heure de vérité, sa vérité : une vie durant d’instincts primaires, somme toute humains, mais non rationalisés. Parce que la réflexion consciente équilibre les choses, apaise l’esprit, clarifie la vue et rétablit le juste milieu. 

 

Ce n’est pas encore tout à fait démocratisé, la réflexion consciente ou la conscience réfléchie. Ni ici ; ni même là-bas. Ça reste des piaillements et des jacasseries. 









 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

jeudi 20 avril 2023

Pour un regard de toi, 1

 Parce qu'il me reste de toi des images vivaces défiant tous les temps. 








Je me souviens encore d’elle sur son lit de mort au milieu des sœurs si humaines mais non moins férues de silences, de mains levées, de prières muettes, d’yeux levés vers le ciel, de Dieu et d’extrême onction … 

 

La mort donne raison à leur dévotion, c’est du moins ce qu’elles croient. Elles viennent, partent et reviennent. Pourtant, elles n’étaient pas dans leurs rituels, mais qu’importe, il y a mort et monothéisme. Je vois tout leur remue-ménage extérieur et intérieur, leur candeur, mais l’heure n’était ni au rire, ni aux explications philosophiques. 

 

Et puis, je les aimais bien, je les ai toujours aimées par respect pour leur discours de paix, du moins là-bas, à ce moment-là et dans le contexte d’alors ; dans un pays qui n’était pas le leur et dans une culture différente, parce qu’elles étaient restées pour continuer à servir, à aider et à soutenir. Et puis, la clinique était la propriété du Vatican.

 

Je sais qu’elle aussi les aimait et leur faisait confiance surtout. Elle a été leur élève en col Claudine et en jupette à pois. Elle avait appris à écrire penché avec elles, ces si belles lettres entrelacées ...


Je me souviens que sœur Myriam vint pour la énième fois demander si j’avais besoin de parler, si m’extérioriser un peu me ferait du bien, qu’elle était là pour Mama et moi …

 

-       Êtes-vous croyante, ma fille ? me demanda-t-elle. 

-   Non, je ne le suis pas, mais merci de votre sollicitude, dis-je, assez fermement.

 

J’avais vingt ans et comme aujourd’hui, je ne mâchais pas mes mots. Je disais les choses directement en regardant l’autre dans les yeux. Et d’ailleurs, je continue à le faire. D’abord, parce que j’aime la clarté sans équivoque du propos, ensuite parce que je hais le mensonge. 

Il y a aussi le fait que la foi est tellement consécutive de notre être profond, de notre parcours, des incidences de la vie sur nous, de notre courbe de savoirs, de nos lectures, de nos décryptages, de notre saisissement des choses et je m’étonne toujours qu’on ne l’envisage pas.  

 

Je me souviens encore d’elle dans cette chambre d’un autre temps, cette chambre vaste et ensoleillée. Je me souviens du petit balcon qui donnait sur l’immense jardin aux arbres gigantesques. Je m’y installais souvent pour lire. Avant que les choses ne s’aggravassent. 


Elle dormait profondément, les joues rouges et la peau diaphane. Elle avait des sourcils fins et courbés, magnifiquement auburn sur sa très belle peau. Je la vois encore avec toutes les précisions que j’en fais. A l’identique, véritablement. Et elle était une vraie splendeur.

 

Je savais que quand elle allait ouvrir un œil, elle allait s’inquiéter pour moi. Elle savait qu’elle allait partir et avait dépassé la phase du déni et ensuite du marchandage. Elle portait une chemise de nuit blanche dont le haut et le col étaient en broderie anglaise. 

Sa couette était entièrement fleurie, de grosses roses fuchsia sur un fond vert jade. J’avais refusé de lui rapporter ses affaires de chez elle, parce que j’avais soutenu qu’elle entamait une nouvelle vie et que ça ne sera que du rose, que du neuf, qu’on allait donner tout le reste, même les choses auxquelles elle tenait. Et je claquais l’argent en achetant, du chocolat, des douceurs, des roses, du parfum, des crèmes, des draps, des mules … Tout ce qu’elle avait déjà chez elle. 

 

J’étais dans une frénésie du geste, de l’achat, des mots, des couleurs … Du regard, quand elle dormait. Mais je crois que je me défendais à ma manière de l’abominable chose, de l’atroce coup de la vie, de l’irréparable perte de sa mère. J’avais vingt ans et nous étions fusionnelles. 

 

J’étais sa mère et sa fille. Elle était ma mère, ma sœur et mon point d’ancrage le plus puissant, le plus généreux et le plus humaniste. Ce que j'ai de profondément bon vient d'elle et même si je m'en défends en lui substituant le rationnel pur, afin d'évaluer les autres et les choses, il avait la vie dure. 





mardi 18 avril 2023

Par les portes dérobées, 4

 





J’ai passé ma vie à étudier. J’ai monté ma petite entreprise aussitôt mes stages finis. Ma chance a été de tomber sur Sonia qui a rejoint l’équipe et qui a aussi injecté son petit capital pour son département. Des économies pour elle comme pour moi, mais notre détermination, notre travail acharné, notre constance ont fini par payer : une réputation d’entreprise sérieuse et ponctuelle dans le domaine. 


Sonia et moi avons bon nombre de points communs professionnellement, dont l’exigence du travail bien fait, le respect de nos partenaires et des deadline. 

Au plus près de nous-mêmes, nous étions plutôt complémentaires. Quand je montais d’un ton, elle mettait sa mesure et quand l’impatience et le stress me prenaient, elle savait mettre le holà.

 

Il est bon d’énoncer clairement que les femmes sont bien plus fortes que les hommes dans l’absolu. Dans mon pays, c’est une réalité, mal vécue et niée, évidemment. Pourtant c’est un fait. Il n’y qu’à remonter 814 avant J.-C. pour s’en rendre compte. Elyssa-Didon et son exceptionnelle intelligence. 

 

Mon tempérament impétueux trouvait son équilibre dans la manière de faire de Sonia, dans sa pondération et sa mesure. Elle prenait le temps d’écouter l’autre, longuement, réagissait toujours en tout dernier lieu et posément. J’étais le contraire exact et je tournais vite fait les talons. 


Dans mon pays, ce qui me mettait hors de moi, c’est la propension des gens à être double, à nourrir des pensées secrètes fréquemment négatives, à être égotistes. Leurs analyses se faisaient souvent en fonction de leurs petites personnes. Comment cela rejaillirait-il sur moi ? Que pourrait-je en tirer ? Comment faire pour qu’on ne voie que moi ? Et si j’en sors amoindri ? Moi, moi et encore moi … Cela m'insupporte, surtout quand ils ne se voient pas. Les trois-quarts du temps.

 

Jed n’était qu’un parmi d’autres à s’aimer sur le dos de l’autre. La pire des choses dans une entreprise est la responsable de la réception et des appels. Elle maintient dans le creux de sa main tous les potins de la boîte et les distille comme des vérités d’opportunités et d’avenir. Celle-là précisément avait très régulièrement besoin du remontage de bretelles labellisé Sonia. 

Mme Sonia, comme ils disent et ils n’avaient jamais compris. 

 

Nous étions trente personnes, quinze de chaque côté. Sur les trente collègues, une dizaine étaient sûres, investies, compétentes et promptes au travail et à la réactivité en situation problématique. Sinon, des charmeuses, des jaloux et des médisants - des hommes en priorité - un collègue gestionnaire entreprenant et désireux de monter en grade par tous les moyens …

 

Sonia, sachant la nature humaine sûrement mieux que moi, décida très vite de s’occuper de cette énergie négative de la vingtaine "dans-tous-les-sens". Elle mit en place une réunion collégiale mensuelle qui avait pour tâche de proposer, aux deux équipes des deux départements, un faire professionnel innovant où le travail le disputait au mérite vrai et au plaisir. Des prix qui couronnent l’excellence au travail, des activités sportives d’une heure au sein de l’entreprise, de la natation en piscine - nous dûmes louer un espace plus grand, doté d’un sous-sol avec piscine et géré par un coach – des enveloppes-cadeaux pour les événements heureux, un magasine de fin d’année avec les réalisations de chacun …

 

Je me souviens qu’un jour l’équipe de Sonia travailla pieds nus parce qu’elle avait pris connaissance d’une étude récente, affirmant que cela mettait le personnel plus à l’aise et que cela se répercutait positivement sur l’entreprise.

 

Évidemment, nous travaillons pour gagner notre vie, pour assurer notre avenir. Nous travaillons pour capitaliser nos années d’études, pour vivre et faire vivre. Nous faisons tout conformément aux lois régissant notre corporatisme. Nous nos alignons sur les lois et le code du travail. Notre réussite et notre réputation toujours grandissante sont conséquentes de l’effort de tous, du travail acharné et de la réactivité, particulièrement de mon épouse, en situation de problème ou de conflit.

 

Avions-nous une vie ? Oui et non. Pas d’enfant. Le soir, après le moment d’échange professionnel, et les week-ends. Sonia tenait la route bien mieux que moi. La nature humaine et ses travers agissaient mal sur moi. 


J’ai très souvent envie d’un atelier au fond d’un jardin de verdure où je pourrais ne faire que de la créa, et puis manger des produits simples et non transformés, boire de la limonade à la menthe et au miel, quitter notre domicile pour aller dans l’océan faire des brasses sur 80 longueurs - mon rythme - aimer ma femme et deux fois par an découvrir une contrée nouvelle. 

 








En attendant, lundi, à 8 heures, je verrai le sourire de circonstance de la jeune femme de l’accueil, ses ongles longs et recourbés, sa queue de cheval sautillante … Mais, j’irai prendre mon café avec Ali, dont le rythme pesé, les mots pesés et la loyauté dénouaient ipso facto les neurones en boule de mon estomac. 










lundi 17 avril 2023

Par les portes dérobées, 3

 





Deux boss et de surcroît mari et femme, voilà de quoi nourrir les imaginaires malsains. Naturellement, tous n’étaient pas des complotistes. Il y avait même parmi nous, des deux côtés, de très belles personnes, des dignes et des rigoureux. Mais beaucoup aimaient fomenter des coups, beaucoup voulaient se rapprocher des dirigeants, alimentaient des pensées secrètes, colportaient des propos, enfonçaient leurs collègues … Pour semer la zizanie, pour créer de la tension et ensuite se prêter pour la faire baisser, pour espérer un retour heureux, pour plaire … 


Avec Sonia, de retour chez nous, nous nous reprenions et nous analysions vite fait les situations. Nous nous comprenions à demi-mots, mais nous avions besoin de nous concerter, un petit moment, pour faire des recoupements et nous prémunir. Peu de mots, mais de l’efficacité et des réajustements prompts pour le bon fonctionnement de notre travail.

 

Nous avions compris que certaines personnes étaient ainsi et que l’important était de prévoir leurs manigances et d’y parer. Que le but premier était de ne pas tomber dans leurs pièges et de savoir les décourager. Nos comités de pilotage étaient composés des collègues les plus solides professionnellement et les plus sûrs et, là aussi, on savait prendre le temps de traiter de ce genre de soucis sans trop nous y attarder, faisant prévaloir les manières d’y faire face.

 

Nous avions recruté, il y a près de trois ans un jeune concepteur fraîchement diplômé, Jed. Nous avions misé sur sa jeunesse et son répondant. Sonia l’avait trouvé plein de vitalité lors de l’entretien d’embauche et elle m’avait dit qu’il renforcerait l’équipe des designers composée de trois spécialistes dont Ali., un talentueux autodidacte, créatif, travailleur et humble. Son avis comptait beaucoup au sein de l’équipe et il avait une intelligence intuitive qui lui faisait faire des maquettes fort intéressantes. Il adopta la nouvelle recrue et se chargea de sa formation. 


A. n’avait aucun mal à parler de son parcours, de son expérience professionnelle, de l’absence de sa formation académique. Il connaissait la valeur de ses propositions et n’en tirait pas une gloire bavarde. C’était le mieux payé de son équipe, pour son ancienneté, son travail et son sérieux. Nous n’avons jamais su si Jed tenta de diminuer Ali directement, mais nous vîmes, aussitôt qu’il fut fixé dans son poste, tous les moyens utilisés mielleusement, pour dénigrer le travail de son formateur. Un jeune pourtant, tout frais, et bien sous tous les rapports, extérieurement. 


 

-    Mme, Ali est travailleur, mais le professionnalisme devrait être le seul critère de votre entreprise. C’est vrai que ses maquettes sont quelquefois intéressantes, mais peut-on le présenter comme concepteur dans notre trombinoscope ? Non. 


-      On en discutera en comité de pilotage. Merci de regagner votre bureau, lui dit Sophie. Et continuez à consulter Ali avant présentation de votre travail.

 

Une semaine plus tard, au cours de la réunion du CP présidé par Sonia, Ali fut promu au mérite, Responsable Conception et design. Désormais, tous les travaux passeront, obligatoirement, par lui avant adoption. 








dimanche 16 avril 2023

Par les portes dérobées, 2

 






A vingt ans, mon travail me porta à coopérer avec des personnes plus âgées et bien que je fusse le boss, je subis quelquefois le snobisme et la suffisance des séniors. En réalité, ils tâtaient le terrain et pour peu que vous soyez trop polis ou que vous baissiez la garde, on tente de vous engloutir et de vous enfermer dans votre courtoisie qui, en réalité, n'a pas lieu d'être dans ce genre de contexte ; ou vite fait et très ponctuellement. Le professionnalisme doit toujours avoir le dessus. 

- Évidemment, votre jeunesse vous fait croire que les démarches ne sont pas si longues que cela et qu'elles ne devraient pas être décourageantes. 

- Il n'y a pas d'âge dans notre travail, mais de la compétence et de la détermination, répondis-je, en fixant  ma collaboratrice avec un sourire froid. 

A trente ans et dans un contexte d'austérité économique, plus d'une fois, je fus sur le point de jeter l'éponge. Certains de mes collègues surent m'apprendre à être patient, à compter les jours de rendement sérieux et à prévoir un budget déficit pour les jours improductifs. A tirer satisfaction des retours positifs de nos collaborateurs et de notre carnet d'adresse bien étoffé. Évidemment, ils y gagnaient, mais beaucoup souhaitaient nous voir grandir et, ce même, dans le vent. Et je leur en sais gré, encore aujourd'hui. 

Et puis, Sonia vint nous rejoindre. Elle répondait à nos critères, faisait valoir un CV fort intéressant et un profil rigoureux. A l'écoute, disponible, travailleuse, elle avait le don de mettre son grain de sel en relevant un aspect non considéré ou en ajoutant une idée porteuse. C'était la plus-value de l'équipe. Très vite, elle devint indispensable et fut introduite à l'unanimité au comité de pilotage de la boîte. 

Ce que j'appréciai en elle, c'était son respect religieux du travail, son faire méticuleux et ses démarches limpides. Sonia était claire, directe et sans détours.  

Nous nous mariâmes et l'entreprise se scinda en deux afin de ne pas faillir à nos personnes profondes. Deux départements, deux gestionnaires et des passerelles évidemment, dans le bilan global et les propositions de démarches innovantes, de partenaires potentiels et de domaines enrichissants.

Et une infinité de portes dérobées nous apparurent dans toute leur petite splendeur, empruntées par des aigris ou des opportunistes ou des agitateurs criards ou des aimables douteux ou encore des lèche-bottes ...    qui valsaient des deux côtés.

Une panoplie de personnages dont l'objectif fondamental est de grandir par tous les moyens et d'arriver n'importe où, mais d'arriver. Afin de colmater des brèches d'un égo profond en peine. Détestable faune qui définit le mot travail selon ses retombées sur sa petite personne. 




samedi 15 avril 2023

Par les portes dérobées, 1

 






 

Je voudrais vous parler de moi. Je vis, malgré moi, dans un espace-temps qui ne me correspond d’aucune manière et c’est assez pénible au quotidien. 

 

J’avais le choix de vivre dans ce coin du monde en souriant à tout-va et en faisant semblant. Ou, inversement, en y creusant ma place et en m'y tenant. 

 

Chose peu aisée quand on a vingt ou trente ans. On se construit, le regard de l’autre agit sur notre conscience, on se révèle à soi et aux autres, on apprend, on ajuste et on réajuste, on affine notre sculpture interne …

 

A quarante ans, on sait pas mal de choses et on choisit de focaliser sur ce qui nous convient le mieux, du moins dans notre vie amicale et personnelle. Et creuser sa place devient indispensable. 

 

Professionnellement, le rapport à l’autre a une durée et on s’adapte. L’intérêt est ailleurs et n’a rien de privé. La diplomatie joue à côté de la compétence et des objectifs fixés. 


J’ai donc opté pour une attitude de concertation et d’adaptabilité au travail et une autre d’authenticité et de vérité dans le cadre privé. Or, le travail me prend cinq jours sur sept, et au bas mot, huit heures sur vingt-quatre. Beaucoup de jeu au quotidien. Le reste du temps, je cours après moi-même pour me retrouver.  

 

Cinq jours sur sept, huit heures sur vingt-quatre sur mes quarante-quatre ans m’ont fait voir bon nombre de personnes et de situations et bien que ce soit en dehors du strict privé, les pinceaux s’emmêlèrent. Et je pus constater bien des portes dérobées. 








mercredi 12 avril 2023

Zorba

 










Elle marchait sur le rivage, humait l’air marin, s’arrêtait quelquefois aux cris stridents des mouettes, toujours affairées, semblait-il. La lumière dans cette région côtière, qu’elle aimait tant, était éclatante et sans lunettes sombres, c’était assez difficile pour elle. 


Ses jambes avançaient d’elles-mêmes sur ce sable humide qu’elles connaissaient depuis un demi-siècle. Elle était sur son territoire, aux pieds de sa mer, à quelques mètres de ces vieux murs antiques qui arrivaient à se tenir debout malgré l’eau iodée et les siècles. Un lieu authentique, c’est-à-dire, chargé d’histoire ancienne, qui exigeait silence et respect, ce qui n’était le cas que le matin très tôt ou le soir tard, hors saison estivale. 


Un rien pouvait l’irriter, des mégots jetés ou du plastic sur le rivage et elle fulminait contre des autorités peu rigoureuses, des lois municipales inexistantes ou peu respectées, une inconscience fréquemment juvénile de ces lieux mythiques qui se doivent d’être regardés dans le silence et l’admiration.

 

A chaque âge, des soucis premiers, pensa-t-elle. 

 

Des couples solitaires venaient souvent dans le coin, attirés par la mer, le paysage, à la recherche d’intimité et d’amour et dans la fièvre des gestes, dans le corps intempestif, ils n’avaient d’yeux que pour leur découverte réciproque d’eux-mêmes sans se soucier de l’historicité des lieux ou l’ignorant. 


Sociétés de l’interdit, du tabou, de l’amour qui se cache, de la liberté bridée … Du poids et des chaînes qui empiètent sur le terrain du savoir, de la connaissance à côté de tous les autres problèmes moraux, éducatifs, culturels, sociaux et politiques. 

 

Quel dommage ! se dit-elle, autant d’inconscience. Quelle bêtise de faire vivre les hommes dans la crainte du regard des autres et de limiter ainsi une liberté indispensable pour découvrir, édifier, bâtir et faire preuve d’ingéniosité !

 

Tabous, silences, frustrations et leurs corollaires, mensonges, hypocrisie et fausseté. 

 

Ses pensées focalisèrent sur une personne dont elle eut à s’occuper qui voulut mener une double vie sans se soucier de ses répercussions sur les autres, qui disait la chose et son contraire selon ce qui lui convenait. Elle semblait fonctionner selon les retombées des choses, des gestes, des mots et des entreprises sur sa personne propre. 


En cabinet, elle comprit que dans son esprit, c’était légitime autant de pirouettes et lui conseilla de consulter ailleurs. Ce n’était pas aisé de reformater un mental qui s’inspirait de mythes infondés et elle était à des milliers de lieux de cette manière de voir les choses. Car même, professionnellement, aujourd’hui, elle choisissait son travail, prenait ce qui pouvait enrichir la société, asseoir la différence, promouvoir la clarté comme ligne de vie. 

Ce n’était pas très déontologique en vérité de refuser d’aider à mieux être des personnes assujetties à une culture différente de la sienne - personnelle - qui ne tablait que sur la liberté de penser et d’être selon ses désirs profonds. Mais elle avait l’excuse des années, du travail fourni pendant trois décades, à écouter, à s’imprégner de l’autre, à lui apprendre la nécessité de mettre de l’ordre dans son esprit, de penser sa vie d’abord et de la vivre ensuite, intelligemment et sciemment.

 

Pourquoi voulait-elle de cette duplicité ? Pourquoi un tel amour de soi sans se soucier du cours de l’eau ? Elle était où la cohérence ? La générosité du cœur dite, redite et claironnée et directement prise selon elle de ses convictions spirituelles ?

 

Elle vit un nombre incalculable de personnes à la psyché complexe, à la démarche confuse, au faire consécutif … L’être humain est un assortiment d'un tas de choses, il est fait de mailles diverses, impacté de mille et une manières par son vécu, par les incidences fortuites sur le cours de sa vie, par ses déambulations personnelles, par sa situation à chaque fois, à différents paliers de son existence …

 

Durant des années, elle suivit et orienta selon les conditions des personnes qui l’avaient sollicitée, selon leur tissu culturel au sens philosophique du terme. Aujourd’hui, elle trouvait difficile de s’adapter à l’autre, parce qu’elle avait en tête toute cette société qui était la sienne mais qui se perdait beaucoup en conjectures, en idoles et en moralités insensées pour peu qu'on pose les vraies questions  …

 

-       C’est une nouvelle époque, se dit-elle. L’image prime, le faux, la mise en scène. Le livre n’existe plus ou très peu. Le Savoir n’est plus un idéal et un objectif premier. Les TV serinent de l’éphémère, si ce n’est pas du mort-né, la valeur se perd …

 

L’eau lui chatouilla les orteils, ce qui la ramena au paysage et à la Scalla. Admirable crique ! L’eau scintillait sous les rayons solaires. Quelques gamins entraient dans la mer, pressés de vivre un été au beau milieu du printemps. Ils étaient calmes et elle les en remercia, intérieurement. Elle avança sur le ponton espérant trouver sur la gauche la barque de Zorba. 





 






-       Bonjour, lui dit-il. Paix à ton père. J’ai ce qu’il te faut. Allez, faisons, un tour d’abord. 

 

Deux octopus aux magnifiques tentacules et de belles crevettes roses !

 

Il lui tendit la main et elle mit un pied dans la barque, ensuite l’autre. Elle lui sourit. C’est l’un des derniers dinosaures de Carthage. Il connut de près son père, sa mère et avait durant longtemps gardé leur embarcation. Évidemment, il ne prendra pas un rond et elle sait comment lui faire plaisir. Il avait plus de soixante-quinze ans et était toujours vigoureux. Naturellement, le moteur remplaça les rames. Il n’était pas bruyant, parce que Zorba était soucieux du calme de la mer. 

 

Ils prirent le large et s’arrêtèrent au milieu de l’iode, silencieux. Trente minutes au milieu de la mer sans autre bruit que celui des mouettes. Quelques poissons téméraires faisaient des acrobaties, des clapotements de temps en temps … C’était magique.

 

-       Que tu vives, Zorba ! Merci. Je passerai après-demain.

-     Que tu vives ma grande fille, nous sommes les derniers sur les traces de Didon la libre.

 

 

Sourires.

 

-       Merci Tontonet !

 

Rires.