I.
Tout est pouvoir. Dans l’absolu.
Les fameux et détestables droits d’aînesse - comme s’il ne fallait respecter que les plus âgés que soi - une recommandation ferme exigeant application obligée, des diplômes supérieurs aux tiens qu’on fait valoir comme on agiterait un argument d’autorité, une voix plus forte que celle de tous, un rouleur de mécaniques provocateur et agressif, les cloches des églises avant la laïcité, le terrorisme et les sectes qui veulent gagner du terrain … et j’en passe.
Le pouvoir. Haïssable.
Il est pourtant aisé de placer au cœur des relations humaines le respect et la tolérance. Un monde sans sexisme n’est pas impossible, sans discrimination de l’autre, noir ou malade ou vieux ou nécessiteux … Les rapports de force gèrent le monde ouvertement ou hypocritement. L’homme et la femme, l’aisé et le démuni, le fort et le frêle … Évidemment, cela saute aux yeux dans certaines contrées alors que c’est subreptice ailleurs. Mais ailleurs, il y a des lois et des lois souvent fortes, même si cette loi de la jungle peut exister, aux-ras-les-pâquerettes et partout, chez les moins nantis intellectuellement et civiquement. Comme une mauvaise satisfaction, comme une revanche sur ses carences, comme un des plus laids héritages éducationnels.
Le sens du juste, le rationalisme, la pensée construite, la liberté neutralisent le pouvoir des autres sur vous en situation de non-violence, d’écoute tolérante et d’intelligence.
Autrement, l’Histoire est riche de pierres frappées de sang, de bûchers, d’inquisitions, de pogroms et de goulags.
- Ma religion est l’humanisme, dit-elle. Un humanisme qui accepte le kaléidoscope humain, avec toutes ses variantes.
II.
Et puis, il y a ceux qui vieillissent rapidement ou mal, qui laissent le doute s’installer, qui ne réagissent pas à la première lampée ingurgitée de travers et malgré soi, qui ne maîtrisent pas les garde-fous conscients. La vieillesse est un mal nécessaire à la durée, un mal dont on doit pouvoir se délecter, parce qu’en son absence, on n’est plus. Concrètement.
Et la vieillesse a besoin d’être secouée. En permanence.
- Sais-tu quel est ton pire ennemi ? me dit-elle, un jour. Et bien, c’est ton corps. Malmène-le, choque-le, laisse-le venir, contre ses exigences subtilement, tiens-le en haleine, ne le gâte pas de ce qui gâte et mets-le dans l’iode à chaque fois que l’opportunité se présente. Suis-le aussi, de près. Les fluides, surtout.
Vieillir, la belle affaire ! Du beau donc.
- Je n’ai pas l’intention de vieillir, dit-elle.
Mais c’est sans compter le mal gratuit. Et c’est exactement là que l’existence paraît dans toute sa fortuité. Soit, mais ne tombons pas dans l’obsessionnel, parce que vieillir est aussi un art. L’art de se tenir debout avec fermeté, l’art de se nourrir de céleste et de terrestre, nourriture de l’esprit et fruits de la terre. Les deux appétits s’affirmant dans la qualité.
Vieillir est aussi l’art de s’aimer en aimant les autres méritants. L’art de la douceur et du beau. Le Beau au millimètre près, pour défier le temps. Sans Beau, on est déjà éteint. Par détestation de la passivité, du léthargique. Voire de l'inertie dans les cas d'abondan de soi.
Vieillir n’est pas seulement subir, pour les moins entreprenants, les moins dans la réactivité, les plus dans le fatalisme, il y a aussi, et c’est le moins heureux, les eaux profondes et troubles qui remontent à la surface : aigreur, envie, méchanceté …
Le tombé du masque et la laideur du mensonge et des faux-semblants. C’est précisément, le visage laid de la vieillesse, la face abominable, une heure de vérité, sa vérité : une vie durant d’instincts primaires, somme toute humains, mais non rationalisés. Parce que la réflexion consciente équilibre les choses, apaise l’esprit, clarifie la vue et rétablit le juste milieu.
Ce n’est pas encore tout à fait démocratisé, la réflexion consciente ou la conscience réfléchie. Ni ici ; ni même là-bas. Ça reste des piaillements et des jacasseries.