II.
Lander
Lander est un coureur. Il l’a toujours été et je crois qu’il réglait tout avec la course, depuis jeune adolescent. Ses devoirs achevés, il enfilait son short, son t-shirt et hop, courrons ! Son déjeuner fini, pareil. Il avalait le sol, grimpait aux collines, dévalait les kilomètres et allait chercher la force extrême jusque dans les recoins des parcours de santé ou sur les côtes humides. Très propre mon frère, rien qu’à regarder ses dents : blanches et alignées à la règles, éclatantes de santé, à son image.
Lander aima, se maria, fit des enfants et, à plus de cinquante-cinq ans, pris d’un je-ne-sais-quoi de l’ordre de l’angoisse existentielle, tomba de nouveau amoureux et crut que c’était possiblement jouable. J’aime mon frère et, tous nous connaissons, la force et la complexité des liens de sang. Mais le sang bout quelquefois et commet des dégâts.
- Cours, lui ai-je dit, tu as toujours avancé avec cela. Il y a des enfants en jeu. Ou prenez-vous deux ans d’éloignement pour mieux voir les choses. Peut-être que c’est une flamme de courte durée.
Je suis ainsi, j’avance toujours le rationnel et quand il s’agit de manquements aux responsabilités familiales, je vois rouge. Que peut-on dire à un homme épris de toutes les fibres de son corps ? Je ne sais plus.
Personnellement, j’ai aimé une fois, follement et passionnément. Juste une fois. C’est la vérité. Après, il arrive que l’on se revoie, que l’on se dise que la passion est dévorante, que d’autres paramètres sont importants, mais je crois que ce n’est plus aimer, mais estimer fort. Lander était de nouveau dans une passion entière et mon rationalisme ne trouva pas oreille attentive, cette fois-là.
- Je cours et je n’ai que son image en tête.
- C’est obsessionnel. Cours et dégage-toi de ce qui peut nuire aux enfants. Vous les avez élevés dans l’idyllique pur. Ce sera déflagratoire.
L’amour est sublime, son souffle emporteur, son action fort ontologique, son prix inestimable mais, il y a aussi les autres et la réalité : cher payé.
Je suis insupportable, je le sais. Je vais en faire rugir pas mal, je le sais aussi. Mais il y a quelquefois des lignes difficilement franchissables : les enfants et leur équilibre.
Et Lander n’était pas joueur, pas cachottier, pas technicien. Il alla vers sa femme et ses enfants et leur dit en bloc qu’il avait une nouvelle vie à commencer, avec une autre. Et bam, en miettes !
Je crois que ce jour-là, j’ai haï l’amour, j’ai haï mon frère, j’ai haï sa sincérité, sa bêtise. J’aurais voulu qu’il explore l’avènement, un peu, entre lui et lui, avant l’éclatement, la souffrance, la rancune et toutes les cassures qui ont suivi. Consciente que tout a un temps.
Oui, je suis insupportable, mais c’est ainsi.
La passion à vingt ans est vie, devenir, démarches esthétiques et ontologiques, étirement heureux de chaque instant. Et c’est waw ! Vers le 3ème tronçon, la passion est faite de peurs, de halètements, de retards ou de ce que l’on croit tardif, de courses - pas celle de Lander 1er – de froids, de chauds, de brûlures, de pirouettes psychiques quelquefois immaîtrisables même chez les coureurs …
Lander était heureux jusqu’aux oreilles, les siens par terre. Il leur conseilla de courir. Ils le firent, habitués à l’écouter, seuls, en sanglotant, puis avec moi qui détestais courir. C’était ainsi. La vie. Ce n’est ni bien ni mal, une fois que c’est fait. C’est son choix propre.
Non, je n’aimerais plus, je suis une rationnelle. J’ai aimé à la lie. Mais je marcherai aux côtés d’un être de savoirs généreux, de ton juste, un architecte spécialisé dans les vastes espaces de l’esprit. Pour l’heure, j’halète avec mes neveux. Blood.
( Au parcours de SB, si jamais Goethe vous intéresse. )
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