Expliquer l’acte d’écrire aux profanes est chose ardue. La plupart ne s’y intéressent pas. D’autres n’accordent aucune importance à cela, tout inscrits qu’ils sont dans le tourbillon de l’existence. D’aucuns n’y voient que perte de temps, ce sont les moins avertis.
Mais quelle valeur l’existence a-t-elle sans les choses de l’esprit, du goût, de l’esthétisme du beau, de la pensée et de la réflexion ?
Rien, pour les passionnés, pour les férus de la pensée et de l’art, pour les dilettantes. Absolument rien. Pour les investis de ce quelque chose nommé créativité.
Écrire c’est murmurer, dire, traduire, hurler et rétablir. C’est selon, mais cela reste grandiose.
Les humains, aux quatre coins du monde, et, plutôt majoritairement, sont happés par les Livres, pris, saisis et soumis. Des millions de personnes vénèrent la Torah, des millions de personnes idolâtrent la Bible, des millions de personnes vouent un culte au Coran.
Les textes dits révélés regroupent, fédèrent, séparent, enflamment, apaisent, émeuvent, obsèdent, éclairent, aveuglent … C’est selon, les paramètres étant multiples et divers.
L’impact du livre sur le liseur est inestimable. Évidemment, la relation cause à effet est assez particulière quand il s’agit du livre religieux. Il n’en est pas moins avec les autres genres de livres. Ferveur mise à part. La poésie agit, l’histoire – le roman – agit, la pièce théâtrale aussi, l’essai, l’article pour ne citer que les grands genres.
Un texte lu à un groupe d’enfants de CP. Une parente s’est proposée de le faire. La maîtresse observe. Les expressions faciales expriment tour à tour la curiosité, la tristesse, la joie, la peur.
Une petite pleura durant l’acmé du récit. Une charge émotionnelle qui montre l’étendue du pouvoir des mots.
Un exercice de collège. Deux textes en prose : un récit et un poème libre. La question porte sur le type de texte. Un élève répond : « Le deuxième est un poème en prose. Je le sais parce qu’il m’a touché. Il y a de la sensibilité. »
Les mots sont divers et ils agissent selon leur nature ou la fonction qu’on leur attribue.
Les livres agissent, assurément. Si en lisant, il y a un impact certain sur le lecteur avisé, en écrivant, le scribe s’exprime, s’extériorise, explore, avance, attrape et sert. La fonction cathartique - la purgation des passions – est une sorte de raz-de-marée libérateur. L’écriture est un exutoire.
- Écrire s’impose, c’est un acte libérateur qui vous commande. Quand écrire devient un impératif d’existence, un rythme se met en place, une cadence vitale. Il y a comme un élagage qui devient indépassable, de lui-même. J’écris même quand je dors. Je me lève pour transcrire à la hâte et m’y mettre au matin. Les mots creusent des sillons et je les suis jusqu’à la délivrance. Pour rire, je compare à un pompiste qui vient me nourrir de fuel dès le tarissement de la force créatrice. Je dis les êtres, les forces, les pensées, les fragilités, les travers, les psychismes profonds, la vie, l’angoisse, la mort…
Il y a évidemment la structure, l’ossature préalable selon la nature de l’écrit. Il y a aussi toute l’intériorité des autres et quels apprentissages !
Comment peut-on vivre sans livres, sans trame, sans personnages, sans sensibilité, sans idées et sans théories ?
Les nations les moins évoluées sont celles qui n’ont aucun lien avec le livre. Les parcours scolaires les plus inutiles sont ceux qui vous font quitter le livre dès l’obtention du diplôme. Un apprentissage sans une place forte accordée au livre est artificiel. Il y a une distance, une vacuité et une absence d’impact sur la pensée. Ainsi, une jeune diplômée en sociologie n’a pas vu l’intérêt que présente l’étude du phénomène des marabouts en Afrique.
- J’y crois, dit-elle, et je ne veux pas désacraliser « les saints ».
Lire ouvre des portes d’accès aux attributs de ce monde ou du moins rend possibles des plages de réflexion sur l’inexpliqué, l’absurde, l’ineffable, le physique et le métaphysique. Il ne s’agit pas d’accéder au définitif - inexistant pour certaines questions – mais de multiplier les hypothèses et d’être en concomitance avec certaines plus qu’avec d’autres, de s’autoriser une activité spirituelle dynamique et fertile, ouverte aussi, prioritairement.
Écrire est une expression libre qui nous ramène quelque part à l’état de l’enfance, de l’émerveillement et du non-interdit. C’est également une purgation vivifiante et régénérante. C’est l’aptitude mentale de toucher des substances rares qui portent en elles une dimension démultipliante. Ouvrir, élargir, voir, observer, analyser, saisir, avancer …
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