mardi 29 mars 2022

Oui, c'était de l'amour, jeunes gens !

 






Je le voyais tourner un peu autour de moi, me regarder en ajustant ses lunettes. Je compris son manège et, à cet instant précis, je voulus le refroidir. Qu’est-ce que cela pouvait lui faire ? J’ai, tout jeune, développé un rapport au physique très étroit. Et même que je me regardais de très près au point où je connaissais le moindre grain de beauté de mon visage. 

Sou, ma cousine adorée, me dit un jour :

 

-     Il faut être un esthète pur pour focaliser sur ce minuscule grain dans l’échancrure de ta lèvre supérieure. 

 

Elle me connaissait comme personne, mais sans mots. Je crois qu’elle se taisait pour moi, parce que très jeune, je haïssais le moindre regard appuyé, la moindre interrogation muette.

Elle cachait chez moi les photos de son amoureux et c’était un précieux secret que nous partagions. Bien plus tard, elle fut la seule qui me reçut avec la personne que j’aimais plus que tout au monde, avec des égards qui me touchèrent fort.

 

Mais, lui, fut le premier à émettre des doutes silencieux sur ma personne. Sur mon visage, mes sourcils épais. Je le haï longtemps jusqu’à ce qu’il capitule.

 

J’étais beau, très beau. Les traits dessinés à la règle, la bouche fine, les dents et le sourire éclatants, l’œil immense ombragé par un cil long et recourbé. Les cheveux fins et raides. Grand de taille et plutôt svelte. Mes origines latines m’avaient gâté et je leur en savais gré. 

 

Tout petit, ma mère passait des heures à me brosser les cheveux. Sa voix disait ma beauté et sculptait mes jours à venir, mon futur. Je crois.

 

-     Tu es beau. Tu rivalises avec pas mal. Tes traits sont faits pour être rehaussés d’atours et de senteurs. Mon Dieu, quelle perfection ce visage !

 

Des heures et des heures à me laisser bercer par sa voix, par cette intense charge positive et flatteuse. J’étais beau et ma mère en était heureuse. Je faisais sa fierté.

Ma mère était assez profondément inscrite dans le rêve, l’imaginaire, le beau et les poissons rouges de sa fontaine en pierre. Elle n’avait aucune conscience du réel trivial. Peu lui importait ce que la table pouvait présenter tant qu’elle portait sa nappe de lin brodée finement et son vase de roses écarlates. Le reste pouvait arriver instantanément. Il fallait bien se nourrir.

Fine viande, fromage, œufs durs à la mayonnaise traditionnelle, pâtes au beurre persillées, salade minute et dessert. Les déjeuners de ma mère se préparaient en quinze minutes chrono entre deux imaginaires de beauté et de musique. 

 

Mon miroir me les fit voir trop épais et je décidai de les tailler un peu afin de laisser plus d’espace à mes beaux yeux noisette. Il le vit. Je le savais.

Quand j’eus seize ans, je laissai pousser ma moustache mais fis de la place pour mon tout petit grain de beauté. Ma bouche n’était que plus belle sous l’ourlet du poil noir coupé court. J’étais très soigné, très. Jusqu’au bout. Enfin.

 

A douze ans, je vécus de drôles de remous intérieurs. Je me rêvais aimé, enveloppé. Mes espaces d’émoi étaient réceptifs d’ondées incertaines, venues de nulle part et de partout. Quand ma Sou était follement regardée par son amoureux, j’étais tout étourdi, troublé au fin fond de moi-même. Je me rêvais à sa place et je partais en songe. J’étais bien avec ma cousine parce que je ne lui voyais pas d’étonnement, de regards intenses. Et pourquoi d’ailleurs ? J’étais très jeune et je ne comprenais rien, je savais juste que c’était méchant et qu’il fallait que je me défende agressivement au moindre mot. Cela, je le compris très tôt sans en saisir la raison. 

Et puis, j’étais gentil, très gentil. Sauf avec les autres. Je voulais montrer ma gentillesse, ma politesse. Je voulais aider, secourir. Je compris plus tard que je voulais être accepté. 

 

Un matin, ma cousine me chargea de faire parvenir une lettre à son amoureux. Je partis. Il fallait qu’il la lise et qu’il y réponde. Ce qu’il fit.

 

-       Tiens, embrasse-la pour moi, me dit-il, en me frôlant l’épaule.

 

J’en fus troublé au point où je vacillai. Je voulus toucher sa peau, l’aimer et m’offrir. Ce fut une révélation. Un choc. Un bonheur, mais aussi une grosse colère. J’en pleurai à chaudes larmes cette nuit-là. J’étais différent. Tout ce que je savais du monde jusque-là était différent de moi. Je compris bien des choses. Je n’étais pas conforme à la définition générale, aux identités fixées socialement, aux penchants classiques. Ma cousine et moi étions tellement ressemblants, ni l’un ni l’autre n’y vit de la bizarrerie et encore moins du mal. 

Je m’inspectais comme tout jeune adolescent et je touchai mes espaces érogènes. Je voulus comprendre, mais les dictionnaires ne m’apprirent rien : ils étaient conçus sur le modèle standard, le moralement correct, le socialement approuvé. Je n’y étais pas. Je ne pouvais m’ouvrir à personne et avec Sou, on avait pris l’habitude du silence. 

 

Le médecin du collège qui nous visitait une fois par mois était particulièrement sévère. Avec moi, il était hargneux. Sans raison. Il me regardait comme l’autre, comme tous les autres, les insistants et, ensuite, les odieux. Pourtant, je ne lui avais rien fait. Sauf le jour où il voulut m’humilier devant tous parce que ma chaussette était trouée. Je lui renversai sa trousse et partis en courant. Ce qui me valut un blâme dans le bureau de la directrice, Mme Turcoing, et un regard noir de mon père. Ce fut le premier jour de notre rupture, jusqu’à sa mort que je portai longtemps au ventre.

 

A dix-huit ans, mon oncle ne me regarda plus, mon père ne me regarda plus, le lycée se débarrassa de moi, mon frère commença à vouloir me cogner. Je n’avais pas d’amis. Et Sou me défendait en sanglotant.

 

Je vécus dans le silence, moi le rieur. J’eus un répit de six ans à Paname, au milieu de ma communauté. Je rentrai dans mon pays de naissance quelques années plus tard pour y mourir, un soir de décembre, à trente ans, après m’être vidé de tout mon soûl : je pesais 20 kilogrammes et j’avais la peau sur les os. Par trop d’amour. Oui, c’était de l’amour, jeunes gens. 

 

( Certains récits sont écrits dans le chagrin, vingt-cinq ans après. Et, dans la colère. )



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dimanche 27 mars 2022

Alain et Tania

 








Qu’est-ce qu’être juif, chrétien ou musulman ? Juif, celte ou arabe ?

Qu’est-ce que cela signifie ?

Pourquoi avance-t-on l’identité communautaire sur l’identité humaine ?


 

Nous sommes tous des humains, identiques, venus au monde fortuitement, ayant un parcours à remplir, des péripéties et des épreuves à vivre et puis destinés à mourir, vers la dernière étape, dans l’ordre ordinaire des choses.

 

L’humanité aurait-elle mieux vécu avec des valeurs de paix, de solidarité, de tolérance, de respect ? Les mythes, les croyances, les religions, palliatifs des angoisses existentielles, sources de communautarismes sanguinaires - dans l’histoire des hommes et encore aujourd’hui – auraient-ils dû être évités ? 

 

Assurément, mais c’est bafouer la nature humaine, son désarmement face à l’inéluctable, ses paliers d’évolution et d’avancement psychique, comportemental, civilisationnel. La culture au sens anthropologique aurait-elle été la première pierre, incontournable, d’un édifice bancal dont la solidité n’était envisageable qu’avec des vérités hautement proclamées ? A l’épée, au gaz ou à l’arme à feu ?

 

Pour établir un parallèle, prenons l’exemple d’un névrosé. On va traiter la base névrotique première pour pouvoir bâtir dessus un équilibre. Son équilibre mental devra passer par une assise solide quelle qu’elle soit. On prouvera au fils d’un serial killer que son vrai père est en réalité décédé à sa naissance et que le tueur l’avait adopté alors. Une base mensongère, palliative, rassurante, qui supportera un édifice à étages. 

 

Alain est juif, mais il se revendique en tant qu’humain, parce que son esprit est vaste et que toute sa vie, il a cassé les murailles établies par ses prédécesseurs. Sa vue est plus claire et elle fonctionne en conformité avec son mental. Tania a toute sa vie était lucide. C’était une jeune personne rangée et elle était croyante. Jusqu’aux promesses non tenues de Dieu. A partir de là, elle saisit tout l’empire des fabrications humaines. Ce qui l’avait interloquée de prime abord, c’était la gratuité, la violence, le chantage manichéen, la magie, l’imaginaire, l’irrationnel. Les critères arrêtés dans la configuration de l’Être suprême sont une composition hétéroclite et paradoxale : bon mais vengeur, invisible mais omniprésent, muet mais l’œil du monde, compréhensif, miséricordieux mais aux lois implacables … un descriptif à dimension humaine. L’heure des Vérités est lointaine, au bout de la route, route à la longueur ignorée, mais route, continuité, soubresauts, crise et arrêt explosif aux dimensions des actions humaines. Gare ! 

 

Les Alain et Tania sont légion, mais minoritaires. Un esprit libre est regardé différemment aux quatre coins du monde. Ils risquent l’écartèlement dans certains endroits. Comme sous l’Inquisition espagnole. La masse culturelle bue est dense, diffuse, lourde, aux tentacules labyrinthiques. 


Le point zéro est très loin, la volonté ligotée, l’air purificateur est manquant dans la majeure partie des cas. Et, la violence, est facile, instinctive, première. 


L’homme sans pensée oxygénée est animal. Ce n’est pas le fil à couper le beurre. Et de tout temps, la pensée éclairée exista.

 

Les grands décideurs savent. Ils focalisent depuis des générations sur les matières premières indispensables à la survie. Un théâtre est mis en place, depuis des millénaires, aux couleurs revendiquées.

 

-       Qu’ils y aillent, c’est leur foin !





mercredi 23 mars 2022

Les liens intimes

 


Carthage, mars 22,

Cabinet de Coaching psychologique et PNL.



-     Entre dire la vérité et mentir, je dirai la vérité, dussé-je m’expatrier de tout ce qui m’est chère ou de tout ce qui me constitue ou de tous ceux qui se trouvent naturellement sur ma route. La vérité que beaucoup préfèrent garder cachée, ou faire taire, ou édulcorer.

 

Il arrive que certains faits, certaines situations liées à l’existence, liées à la mort, font écrouler les douleurs comme un château de cartes. J’aime ma sœur, parce que c’est elle. Parce que je connais ses tréfonds, sa pathologie, ses naufrages réguliers, ses pertes de repères, son absence totale de liberté. Elle m’a toujours fait de la peine et j’ai toujours contribué au rangement de ses égarements. 

 

L’enfance est à la source de tout. L’inconscience. L’absence de moyens spirituels et intellectuels. Ma sœur est traquée depuis bien trop longtemps pour que ce chaos se tasse définitivement. 

Je comprends les égarements, je les vois, des enchevêtrements inextricables. Ce que je ne tolère d’aucune manière, c’est de vouloir déposséder l’autre, de ce que l’on croit à la base de son savoir-être. 

 

Nous sommes liées par le sang. Que le tien bouille, batte fort pour ce qui est à moi, est une ligne explosive. Il y a névrose et psychose, deux paliers. La compréhension est à terre. On a beau être muni d’une longue vue, il y a des avalanches que l’on n’imagine pas venir. Les liens de sang sont complexes, vous le savez. Mais il y a des limites morales. Sacrilège que de s’y aventurer.






-       Et ?

-       Je sais que vous voulez du croustillant.

-       Non, je veux du concret afin que je puisse ranger comme vous.

-     Il n’y a rien à ranger. Il y a un écouter et c’est déjà beaucoup. Peut-être que ça finira par calmer choc et douleurs.

-       Rancune ?

-       Non, pas spécialement. Mais incompréhension, oui. 

-       Vous vous prenez trop comme une référence.

-       Peut-être.

-       Vous êtes trop exigeante avec vous-même et avec les autres.

-       Peut-être. 

-  Vous parliez de névrose et de psychose, il y a un instant. Vous parliez de moyens spirituels et intellectuels. Vous avez tout dit.

-       Non. Il y a le cœur aussi. Les liens intimes, le sang.

-       Le sang sans esprit est un fluide libre.

-       Oui, vous dites vrai. Mais c’est dur à admettre. 

-       Êtes-vous moins lacérée ? Vous parliez de vie et de mort.

-     Je ne sais pas, je ne crois pas. Mais mon sang bat, mes yeux pleurent, mon intérieur est mis à mal. Mais j’ai rangé au placard mon implacable conscience. L’heure semble grave. Et j’espère que non. Les êtres que nous aimons - dans tous les cas - sont essentiels à notre parcours existentiel. 

-       Cultivez un peu de froideur. Cela protège.

 

Elles se regardèrent longuement.

 

Fin de l’entretien.






mardi 22 mars 2022

Lire et écrire, les actes ontologiques suprêmes




Expliquer l’acte d’écrire aux profanes est chose ardue. La plupart ne s’y intéressent pas. D’autres n’accordent aucune importance à cela, tout inscrits qu’ils sont dans le tourbillon de l’existence. D’aucuns n’y voient que perte de temps, ce sont les moins avertis.

 

Mais quelle valeur l’existence a-t-elle sans les choses de l’esprit, du goût, de l’esthétisme du beau, de la pensée et de la réflexion ?

Rien, pour les passionnés, pour les férus de la pensée et de l’art, pour les dilettantes. Absolument rien. Pour les investis de ce quelque chose nommé créativité.




Écrire c’est murmurer, dire, traduire, hurler et rétablir. C’est selon, mais cela reste grandiose.

 

Les humains, aux quatre coins du monde, et, plutôt majoritairement, sont happés par les Livres, pris, saisis et soumis. Des millions de personnes vénèrent la Torah, des millions de personnes idolâtrent la Bible, des millions de personnes vouent un culte au Coran. 

Les textes dits révélés regroupent, fédèrent, séparent, enflamment, apaisent, émeuvent, obsèdent, éclairent, aveuglent … C’est selon, les paramètres étant multiples et divers. 

 

L’impact du livre sur le liseur est inestimable. Évidemment, la relation cause à effet est assez particulière quand il s’agit du livre religieux. Il n’en est pas moins avec les autres genres de livres. Ferveur mise à part. La poésie agit, l’histoire – le roman – agit, la pièce théâtrale aussi, l’essai, l’article pour ne citer que les grands genres.



Un texte lu à un groupe d’enfants de CP. Une parente s’est proposée de le faire. La maîtresse observe. Les expressions faciales expriment tour à tour la curiosité, la tristesse, la joie, la peur.

Une petite pleura durant l’acmé du récit. Une charge émotionnelle qui montre l’étendue du pouvoir des mots. 

Un exercice de collège. Deux textes en prose : un récit et un poème libre. La question porte sur le type de texte. Un élève répond : « Le deuxième est un poème en prose. Je le sais parce qu’il m’a touché. Il y a de la sensibilité. » 

Les mots sont divers et ils agissent selon leur nature ou la fonction qu’on leur attribue. 

 



Les livres agissent, assurément. Si en lisant, il y a un impact certain sur le lecteur avisé, en écrivant, le scribe s’exprime, s’extériorise, explore, avance, attrape et sert. La fonction cathartique - la purgation des passions – est une sorte de raz-de-marée libérateur. L’écriture est un exutoire. 

 

-    Écrire s’impose, c’est un acte libérateur qui vous commande. Quand écrire devient un impératif d’existence, un rythme se met en place, une cadence vitale. Il y a comme un élagage qui devient indépassable, de lui-même. J’écris même quand je dors. Je me lève pour transcrire à la hâte et m’y mettre au matin. Les mots creusent des sillons et je les suis jusqu’à la délivrance. Pour rire, je compare à un pompiste qui vient me nourrir de fuel dès le tarissement de la force créatrice. Je dis les êtres, les forces, les pensées, les fragilités, les travers, les psychismes profonds, la vie, l’angoisse, la mort…

Il y a évidemment la structure, l’ossature préalable selon la nature de l’écrit. Il y a aussi toute l’intériorité des autres et quels apprentissages ! 

 

 

Comment peut-on vivre sans livres, sans trame, sans personnages, sans sensibilité, sans idées et sans théories ?

 

Les nations les moins évoluées sont celles qui n’ont aucun lien avec le livre. Les parcours scolaires les plus inutiles sont ceux qui vous font quitter le livre dès l’obtention du diplôme. Un apprentissage sans une place forte accordée au livre est artificiel. Il y a une distance, une vacuité et une absence d’impact sur la pensée. Ainsi, une jeune diplômée en sociologie n’a pas vu l’intérêt que présente l’étude du phénomène des marabouts en Afrique.

 

-       J’y crois, dit-elle, et je ne veux pas désacraliser « les saints ».

 

Lire ouvre des portes d’accès aux attributs de ce monde ou du moins rend possibles des plages de réflexion sur l’inexpliqué, l’absurde, l’ineffable, le physique et le métaphysique. Il ne s’agit pas d’accéder au définitif - inexistant pour certaines questions – mais de multiplier les hypothèses et d’être en concomitance avec certaines plus qu’avec d’autres, de s’autoriser une activité spirituelle dynamique et fertile, ouverte aussi, prioritairement.

 

Écrire est une expression libre qui nous ramène quelque part à l’état de l’enfance, de l’émerveillement et du non-interdit. C’est également une purgation vivifiante et régénérante. C’est l’aptitude mentale de toucher des substances rares qui portent en elles une dimension démultipliante. Ouvrir, élargir, voir, observer, analyser, saisir, avancer …