Il mourut en quinze minutes chrono à l’âge où certains hommes rêvent, de nouveau, de se projeter. Son chien le pleura trois jours et trois nuits et sa femme garda longtemps à l’oreille ces hurlements canins, ceux de la mort. Un boxer doux et câlin qui passa son enfance sur la poitrine de son maître, la tête au travers du col V de ses pulls de laine du soir. Son épouse était exaspérée :
- Les chiens au lit, c’est insupportable. Je-ne-peux-PAS !
Il riait :
- Regarde ses yeux ! Il est si en besoin de moi.
L’inverse était évident. Était-ce un moyen de se rapprocher de sa femme ? Je ne pense pas. Elle était peu réceptive au vu de leur histoire d’amour fou, d’amour malmené, d’amour trahi, d’amour froid, d’amour rancunier, d’amour toujours jusqu’au grand saut. Il partit quand il sut que le mal l’avait frappée. Elle partit trois mois après lui.
- Je n’ai plus rien à faire ici, disait-elle.
Il mourut saisi par une terrible anxiété. Elle mourut par choix et sur décision, arrêtant tout acharnement thérapeutique.
- Quelle terrible chose que de se trouver entre les mains de médecins !
Fox eut après le décès de son maître et pendant trois mois une attitude pour le moins étonnante. Il reporta tout son attachement sur sa maîtresse. Il se couchait à ses pieds, docile et calme et à chaque fois qu’elle se sentait mal, il était là à la scruter, interrogateur. Il savait qu’elle n’aimait pas les coups de langue et prenait soin de ne pas la lécher mais il mettait sa patte sur son avant-bras et semblait vouloir la rassurer de sa présence et de son affection.
Ce chien était d’une sensibilité étonnante et savait les choses. Il ne fit pas non plus de vieux os et partit quelque temps après sa maîtresse. Jamais des yeux de chien n’auront été plus tristes. Il paraitrait même que sa maîtresse lui vit des larmes un peu avant sa mort.
Été 58, Plage de La Goulette
Elle était accompagnée de son chaperon et il avait du mal à lui prendre la main. Il était passé la chercher au volant de sa Simca Aronde bleu ciel. La radio faisait entendre la voix de velours du crooner égyptien : « bahlam bik, ana bahlam bik … », « Je rêve de toi et je t’attends … ».
Le chaperon, sa plus jeune tante en l’occurrence, a voulu monter à l’avant. Promptement, il lui signifia sans mot dire qu’elle allait se mettre à l’arrière. Il lui sourit, lui ouvrit la portière et l’a casa sur la banquette : Non, ma petite dame, pensa-t-il, en son for intérieur.
Sa fiancée arborait une robe blanche col Claudine et des souliers blanc et noir pointus. Elle avait une peau laiteuse, un cou gracile qui invitait à bien des regards à la dérobée. Elle le regardait en souriant, avait du mal à cacher sa rougeur, son émotion. Lui aussi était timide mais le cachait d’un humour charmant.
- Belle musique, belle brise, bel été, belle compagnie, Madame ! La radio vous aime, voilà le dernier tube du Rossignol brun.
Il fredonnait avec lui, un coup au rétroviseur, l’autre plus prolongé à sa fiancée. Il ne savait pas encore qu’elle avait la voix suave et qu’elle chantait en famille. Quand il l’entendit au salon de leur maison au troisième jour de leurs noces, lors d’une réception familiale de tradition, il fut subjugué. Et alors qu’il était en grande discussion avec son beau-frère, il perdit le fil de ses idées, colmata comme il put et se leva pour aller la regarder.
- « Imta achoufek bikorbi », « Quand te verrais-je tout près de moi … »
Les yeux de l’amour à cette époque-là étaient intenses de désir. Cela n’échappait à personne et les réactions étaient diverses : ceux qui étaient heureux du bonheur irradiant de la mariée, du couple, ceux qui étaient dépités de tant d’exposition : les sœurs du marié qui revendiquaient un droit de regard sur lui, sauf s’il sut y mettre le holà.
La mariée radieuse entonna :
- « Ya hassidine eness malkom ou mal eness », « Aigris, laissez les personnes vivre en paix ».
Plus rien n’existait à part eux deux et leur désir l’un de l’autre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire