samedi 23 mars 2024

Pétra

 

L'Incipit





 

Elle posa sa serviette sur le sable déjà chaud, en veillant à le débosseler et à aplatir la surface. Il était neuf heures du matin et les baigneurs étaient encore assez rares. Elle aimait la mer le matin, sa couleur, son calme exceptionnel, son doux clapotement, perceptible à peine sur le rivage. L’Ennui d’Alberto Moravia en main et malgré le titre, elle y frayait son chemin avec la patience des grands liseurs.

 

Le monde s’ouvrait à elle dans les livres, lentement, de mille manières et ses yeux suivaient le rythme, s’ouvraient, s’écarquillaient ... Elle baissait le livre quelquefois et plongeait dans ses pensées désireuses de comprendre. 

 

-       L’Ennui, n’est-ce pas ennuyeux ?

 

Elle leva la tête. Un intrus et pas du Cercle, cela se voyait. Elle détesta cette phrase à la seconde même, le tança du regard et sortit cette menace criarde :

 

-    Asseyez-vous loin de moi et je vous conseille de ne pas m’adresser la parole. Je ne parle pas aux inconnus.

 

Il poussa un hhhhh et s’éloigna.



 

 

II. 

 

Comment l’insolence de cette enfant agit-elle sur lui ? Comment la prit-il ? Quel chemin fit-elle en lui ? Quels mécanismes mit-elle en branle ? 

 

Il s’installa assez loin de cette furie à l’hystérie froide, sortit son livre et y plongea. C’était Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez. C’était un homme digne, posé et réfléchi. Il aimait l’humour et avait poussé une petite plaisanterie. C’était qu’il ne savait pas grand-chose, concrètement, de cette obsession du Cercle. Et cette gamine, quelle effrontée ! pensa-t-il, mais il respecta sa stratégie de défense. C’était juste et elle avait raison, se dit-il.




 

III.

 

La chaleur était étouffante, c’était la fin juillet et l’excitation estivale était à son comble. Il était près de vingt-deux heures et toutes s’engouffrèrent dans la voiture de Paolo, l’ami d’Inès, son amie d’été. Parce que c’était ainsi, les amies d’hiver, les amies du mois de mai et de l’hippodrome et celles de l’été, selon le lieu et les habitudes familiales. 

 

C’était un vieux l’Italien, peut-être vingt quatre ans et elle était en mode hyper-vigilance. Il était à des milliers de lieux du Cercle, un inconnu et un adulte. Tous ses sens étaient en alerte, pourtant la sortie avait été fort délirante. Beaucoup de rires et de plaisanteries. Elle avait l’autorisation de vingt-deux heures et elle détestait manquer aux accords. A chaque intersection, elle se disait que le Paolo allait être arrêté par les agents. Ils devaient être au moins huit en voiture, sur les genoux les uns des autres et ces dépassements-là, elle n’avait pas l’habitude. 

Son univers personnel très organisé, très calme, fort livresque n’avait jamais été autant bousculé. Elle était en extérieur certes et non seulement elle aimait peu, mais autant d’entorses aux règles la dérangeaient et la perturbaient. Elle savait rester stoïque dans ces moments-là, mais se promettait de ne plus se laissait entrainer. Elle avait dû baisser la garde un court instant pour se retrouver dans la voiture d’un Paolo, qu’elle ne connaissait ni d’Éve ni d’Adam, avec sur ses genoux une furie aux éclats, à sa droite et à sa gauche des gamines hilares. Elles avaient toutes le même âge, sauf que son père à elle, avait décidé qu’elle ne fût jamais une adolescente. Et elle ne le fut jamais.

 

Quand elles arrivèrent aux alentours de chez elles, elle prit congé assez rapidement et plutôt froidement et s’en alla à pas rapides rejoindre ses parents. Ses amies étaient encore hilares car chemin faisant dans la voiture du Paolo, sa tension se fit sentir, ce qui excita encore plus « les folles » comme il lui arrivait de les appeler. Et un fou rire appela un autre, elles firent fixette sur son angoisse visible. 

 

-   Regardez la tête qu’elle fait ! Elle veut retrouver Rousseau ! hurlait Inès. Détends-toi ma fille.



-    Ta fille, débilos mentalos ! On peut se faire arrêter. À dix en voiture ! Et bonjour les problèmes ! maugréa-t-elle.

 

C’était un trouble-fête, une rangée complète, une angoissée et une hyper-consciente. A dix-sept ans, elle en avait trente dans sa tête, à ne jamais se lâcher, comme tous les jeunes ordinaires, normaux, aventuriers et un peu casse-cou.





A suivre 


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