dimanche 24 mars 2024

Pétra, 2

 







                                              Carthage, la Magnifique


IV. 


 

 

Emprunter la voie des temps morts n’a d’intérêt que dans l’apprentissage et la réflexion philosophique. Autrement, c’est spleen et fonctionnement cérébral infécond.




 

N’empêche qu’elle eut en tête par le plus inattendu des hasards « les deux blainds » comme elles s’amusaient à les appeler, Inès et elle. Deux frères presque identiques, si ce n’était la taille, le grand et le moins grand. Ils venaient du rond-point du quartier romantique. Un essaim de maisonnettes d’été, entre ciel et terre, peintes à la chaux, aux fenêtres bleues qui s’ouvraient sur la mer. Un espace de calme et de respect comme il en existe peu de nos jours. Et elle eut une vraie tristesse, un sentiment puissant de perte. Étaient-ils encore de ce monde ? La mort les aurait-elle happés ? 

 

Quand son raisonnement rationnel refit surface, elle se dit qu’ils ne devaient pas être si vieux que cela, du moins le jeune qui était de leur génération. Les deux par ailleurs. Le « grand blaind » devait avoir trois ans de plus qu’elles. 

Sa tristesse fut forte, comme une ondée métaphysique, voilà une histoire restée en suspens … Qui étaient-ils ? Pourquoi rien ne fut entrepris, amicalement, humainement, « voisinagement » ?

 

Ils étaient très beaux, dorés, élégants et extrêmement bien élevés, passaient en début d’après-midi, par la même rue, tranquillement, souriants et courtois. Quelque chose de silencieux et de fort poli. 

 

Qui étaient-ils ? Elle les connaissait si bien à travers son imaginaire ! Elle aimait beaucoup le grand et le petit lui faisait un peu de peine. Pourquoi ?

Elle n’en savait rien ; c’était les « deux blainds » du Romantica, à 200 mètres de chez elle, nommés ainsi pour faire diversion. Vigilance de mise en égard aux parents toujours à fouiner et à vouloir mettre la main sur l’in-autorisé.

 

-     « Les deux blainds », une histoire sans suite, sans éclaircissements, sans finalité, sans amitié, sans amour, sans rien ! Que du silence et de la politesse improductive mais essentielle, pensa-t-elle. Pourvu qu’ils soient en vie. 

 

Une tristesse profonde, des relents d’angoisse existentielle, un passé qui avait fait sa route, il y a fort longtemps et pour espérer vivre encore, elle prit le parti de les doter d’existence, quarante années après. Plus, vraisemblablement. 



 

 

 

V.



 

Le vieux de 30 ans entreprit de se rapprocher de la famille de Pétra. Il était dans l’ignorance du Cercle et il eut droit à de la politesse froide et distante. Au fil des rencontres fortuites de plage et de mer, sa discrétion, ses journaux, son livre firent de l’effet. 


Lui-même en vrai digne n’allait pas au-delà d’un hochement de tête ; un petit bonjour, un peu plus tard. Il campait son parasol à franges du côté droit, moins bruyant et plus clairsemé. En mer, il nagea quelquefois dans l’environnement proche du père et ils durent échanger quelques phrases. Ainsi apprirent-ils qu’il était originaire de la 3ème grande ville du pays et que c’était un homme d’iode. Pour les gens du Cercle, certains critères entrebâillaient la porte latérale, notamment la mer. 

 

Était-elle dans leur esprit fermé synonyme de modernisme de façade, de liberté d’esprit de galerie, de convivialité heureuse de tradition, d’aisance de vie ?

 

Croyaient-ils vraiment au gratin de chaque région comme ils le disaient ?

 

N’était-ce pas les journaux, le livre, la fierté du personnage, sa classe qui les interloquèrent ? D’autant qu’ils étaient férus d’élégance, qu’ils plaçaient au-dessus de tout ; qu’ils étaient respectueux de la sobriété et de la retenue du personnage et qu’ils comprirent que les salutations, de départ, étaient pur respect aux aînés et non point flagornerie. 

 

-       Un homme vrai, dit l’oncle, un jour. Vraiment.

 

Ils apprirent l’été d’après qu’il avait deux pères et deux mères, deux familles. Une, bon enfant avec des valeurs incontestables et une autre, de grands commis d’État à l’international, fort instruite et avec des valeurs tout aussi certaines et les deux étaient de la même souche. Un équilibrisme qui se prolongera jusqu’au bout. 

 

-       C’est quelqu’un, dit un jour le géniteur. Un jeune ami pour moi.

 

Le Cercle avait des qualités certaines, des vices cachés ou à peine, peu d’instruction et pas de culture intellectuelle. Un vivre-ensemble très beau, fréquemment de la bonté profonde, de l’aisance en tout, de l’élégance accrocheuse et le sens des vérités. 


Historiquement, ils étaient fort sectaires, considéraient la ruse politique comme une perfidie et étaient pour tout ce qui était de nature à durer, linéairement et sans rebondissements. Des conservateurs, modernes d’apparence extérieure, doués pour les affaires et peu enclins à l’exercice politique. Peu outillés aussi.

 

Ce trentenaire, lui, était non seulement un homme libre, mais son mental grouillait d’idées nouvelles, en rupture avec le classicisme et le désuet. Politiquement, son regard et ses lectures étaient acérés et il ne craignait pas de dire son avis à haute voix. 

Une bataille d’Hernani se profilait à l’horizon. Non seulement les gens du Cercle n’en avaient pas l’habitude, à force de peau lisse et de crainte, mais cela faisait naître en eux, un désir de mimétisme, de modernisme autre - celui de la pensée – d’engagement conversationnel nouveau que leur aisance en tout, rendait possible et fort agréable. 

 


A suivre










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