dimanche 10 mars 2024

Hommage à toi

 







 

Une chape invalidante, comme un froid glacé, j’étais tremblante intérieurement. La nouvelle m’était tombée dessus de la manière la plus brutale et j’étais loin physiquement et mentalement.


 

Là, je ne sais ce que signifie Être ni Faire ni Durer. Là, c’est le vide abyssal, le froid et le désespoir. Pourtant, il y a la pudeur des mots et la discrétion. Mais il y a aussi ce froid terrible, cette absence de conviction, cette valeur zéro de tout.


 

Je n’ai pas les mots, ni la fluidité de toujours. Je manque de sens. 


 

Je sais qu’elle a capitulé, qu’elle a jeté l’éponge, qu’elle a baissé les bras, qu’elle s’est laissé emporter, qu’elle a abandonné la partie, qu’elle s’en est allée. Partir à tout prix pour échapper à cette peur glaçante, à cette enserrement froid et impitoyable, à cette gorge sèche et à cette sensation de froid tremblotant. 


 

Se laisser anéantir pour échapper à la peur glacée, jusqu’au bout de la langue.


 

-       Je n’ai pas ton âge, m’avait-elle dit. 


 

Non, ce n’était pas une question d’âge, ni de plis, ni même de gènes, mais bien une affaire de combat à mains nues, d’insolence et de défis, d’arrogance et de violence. La seule violence autorisée, celle contre le froid, contre le dessèchement, contre le néant qui veut glisser dans nos artères et nos neurones. Le néant qui hait la vie ou le néant-vie ou le néant pervers et gélatineux. A mettre à terre celui-là, à écraser sans aménité aucune, à faire déguerpir à coup de ténacité et de détermination.


 

A-t-elle combattu le néant malfaisant ?


A-t-elle levé la tête pour contrer violemment l’insidieuse crapule ?


A-t-elle retroussé ses manches et s’est-elle livrée au combat ?


 

Un être étranglé par la vie à 30 ans, puis à 40 et plusieurs fois après. Un être de souffrance qui ne put se reconstruire baromètre en main, tant la machine broyait à tout-va. Elle serrait sa petite dans ses bras et lui glissait à l’oreille.


 

-       Dormons, dormons. Nous avons besoin de repos. 


 

Tant la tête surchauffait, tant le gratuit abattait, tant la douleur de l’absence lancinait. L’absence de ce bout de soi volé par le néant. C’était terrassant. Tomber dans les abymes et se relever à moitié. Retomber et se relever à moitié. C’était le rythme du gratuit et du tragique. Perdre sa chair, perdre son géniteur, perdre tous les autres … Dans le froid, dans le vent, dans les bourrasques de toutes parts …


 

Je parle de cette jolie femme, discrète et réservée. Fine et aimant les romans photos, à la cigarette légère et aux Paloma solaires. Elle aimait tant la vie qui la paya en néant. Elle l’aima tant lui qui ressemblait à tous les autres, inattendu et double, oublieux et bavard. Elle aima tant ce bout de soi parti si tôt, si bêtement, dont elle parla très peu après. 

Une belle dame, discrète et laconique, à la cigarette légère, au sourire agréable et aux mots doux.


 

Nous rîmes de tout et elle aimait m’écouter. Je lui voulais du bonheur parce que c’est toujours possible. Parce qu’être heureux est à notre portée, avec du sourire et de petites choses. Parce que le bonheur est en nous et qu’il faut savoir le faire exhaler. Parce que le bonheur, c’était mon affaire, que je savais bâtir malgré tout. Que l’architecture, je savais imaginer et multiplier.


 

-    Lève-toi et agis. Secoue tes puces et avance. Fais-toi belle et sois radieuse. Rien, rien ne te vaut toi ni ton existence.


-       Je n’ai pas ton âge.


-     Oublie l’âge et bats-toi. Oublie l’âge et agrippe-toi à la balustrade de l’équilibre et du rire !

 

 

Son petit sourire frêle, sa voix emplie de gentillesse :


 

-       C’est difficile. C’est trop.

 

 

La seule réponse cinglante à l’absence est la vie. La vie est bataille quotidienne. Vaincre à tout prix la nausée de Sartre. Et maintenir son port de tête bien droit et fier. Elle a lâché le cap, égaré les commandes, à moitié saisies, depuis longtemps. Elle a succombé aux vagues houleuses et tuantes. Elle a lâché le gouvernail tant la peur emplissait ses connexions. C’était trop et quand c’est trop, abandonner a des airs de calme et de repos, des airs de bras baissés tant le vent fut fort et impitoyable.


 

Hommage à toi, la fine et la discrète. L’élégante et la réservée. Tes Paloma et ton ensemble vieux rose. Ta voix dans le creux de mon oreille. Ta voix demandeuse d’injonctions de Vie. 


Quelle tristesse !

 

 



Mme A. Abassi 🌹










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