samedi 30 mars 2024

Pétra, 5



Comme qui dirait Hannibal Barca et Hannibal ... 

La Divine,

Août 1989


















-    Carthage tient la dragée haute à toutes les autres cités, absolument toutes. Et tous le savent, les jaloux et les haineux compris. C’est le prix de la beauté insolite et rare, de la lumière éblouissante. 

 

-       Oui, sûrement. Le patrimoine est important. Néanmoins, ce n’est pas la priorité. 

 

-   C’est une des priorités que de savoir conserver l’Histoire et les vestiges. 

 

-       J’en conviens. Une des priorités, mais pas la priorité. Surtout au vu des réalités.

 

-   Un partage égal de ce qui doit être pris en ligne de compte, oui, évidemment. C'est nécessaire.

 

-    C’est difficile. Et puis le passé n’est pas toujours porteur de hautes significations.

 

-       En l’occurrence, oui.

 

-       Je veux dire dans l’absolu. Certains passés sont tout nourris d’erreurs et on se plait à les sacraliser.

 

-       Oui, je vois le fond de votre pensée.


 

 

Et ce fut le premier vrai échange entre le père et le lecteur du MD. Ils marchèrent longtemps dans Carthage, beaucoup de silence, quelques phrases, la proximité de la Bleue, les vestiges transcendants. Le regard interrogeait le lieu, la pierre et la pensée se déployait. Ce n’était cependant pas la même approche, ni la même lecture et encore moins les mêmes impératifs. 


 

Le père plaçait l’Histoire au-dessus de tout, faisait de la préservation de son legs, un impératif de premier ordre. Pour lui, toute richesse devait être nourrie, alimentée, conservée et qu’il fallait savoir en faire une priorité de premier ordre.


 

Ce n’était pas la même vision du côté de son nouvel ami qui avait une pensée politisée et socialisante, qui estimait qu’un pays émergeant - euphémisme et terme alternatif en réalité à quelque chose d’assez direct : sous-développé - avait d’abord des priorités sociales et humaines de tout premier plan et que le reste viendrait en un second temps.



 

-     Il y a aussi l’apport personnel. L’État ne peut pas tout assumer. Il n’y a pas d’avancée possible si tout n’est pas mis sur le même pied d’égalité en termes de priorité. Les moyens étant ce qu’ils sont. Évidemment soutenir, envisager des allocations, encourager l’investissement personnel, promouvoir le tourisme en valorisant l’Histoire, les vestiges, entretenir les monuments, les conserver, les mettre en écrin en embellissant la nature et en se souciant de l’environnement. Non, à l’assistance systématique de L’État, il faut aussi encourager l’esprit d’initiative et le bras levé.

 

-       Le bras levé est à considérer sous toutes les coutures.

 

-       C’est la première exigence, dit le père.



 

Un échange entre deux interlocuteurs de deux âges, de deux circonscriptions mentales, de deux environnements physiques, de deux acceptions des termes travail, bras, société, système de gestion … Et il y avait de l’admiration réciproque, certes plus d’un côté que de l’autre, parce qu’il y avait une forme de revendication rebelle chez le jeune lecteur du MD. Le père, lui, venait d’un temps où l’esprit d’entreprise, la détermination étaient indépassables. 


 

En réalité, ils ignoraient réciproquement leurs bases premières et les tribulations personnelles liées à la vie profonde de chacun d’eux. Des particularités liées à l’intimité personnelle et familiale respectives. Et il y avait le respect et la pudeur. 


 

De retour chez lui, le père raconta à son épouse sa promenade, la beauté du site, le soleil et la Méditerranée.


 

-       Ce jeune homme est sensé, il a de la teneur en lui. Il est très mature et il force le respect. Une autre manière d’exister et qui n’est pas sans attrait. Un ami intéressant. 

















jeudi 28 mars 2024

Pétra, 4

 

La Divine






Le mythique amphithéâtre de Carthage était un lieu d’histoire, de grandeur passée, d’histoires probablement fort complexes et déroutantes. Il garde toujours une aura d’exception, une vue imprenable sur la Méditerranée et il surplombe la Divine. 



 

Le paysage en hauteur offre à l’œil curieux et méritant des couleurs fraîches : bleu océan, vert vif et nourri, blanc immaculé, marron indien des troncs d’arbres séculaires … 



 

Des couleurs en paliers vers la Bleue enveloppant des vestiges puniques anciens de près de 3000 ans. 


 

Au cœur de Carthage et malgré les soubresauts de la dernière décennie, les politiques de restaurations irrégulières, les atermoiements, les urgences socio-économiques qui dament le pion au reste, le manque de moyens, les exigences colossales … malgré toutes ces raisons économico-politiques, il règne dans cette cité une splendeur saisissante, une richesse vraie, un silence puissant et nourricier. Le regard est happé en continu par des morceaux d’histoire ancienne qui vous interpellent, par de la verdure et un paysage iodé d’une beauté rare. 


 

Elyssa de Tyr, Hannibal Barca, Hannibal, Moncef Bey le Patriote, Tahar Haddad, Bourguiba … 


Evidemment d’autres et bien de femmes de poigne, des coulisses ou de la première ligne. Il y a quelque chose de très particulier avec Carthage et parce que l’identité est dans le plus absolu des absolus un concept, finalement, insignifiant. Ce n'était donc pas l'expression d'une subjectivité.










 

Ce quelque chose de saisissant est l’Histoire du lieu, sa beauté physique, son ouverture sur la Bleue, son historicité, son potentiel, la force édifiante de la femme dans ce coin du monde et puis son air léger et bleuté, sa luminosité.


 

Pétra déambulait en tournant les pages d’Histoire de cette cité. 


Dans son esprit, les idées se bousculaient. Certaines venaient de très loin, d’autres avaient un pied dans la légende, l’autre dans l’ancienne réalité. Elle s’arrêtait souvent pour s’imprégner du paysage, pour imaginer des faits, pour tendre l’oreille aux bruits sourds de près 3000 ans de vécu, pour se laisser bercer par les eaux débordantes du bassin.

 

-      Il faudra tout mettre en œuvre pour garantir la pérennité de ces stèles, de ces grottes, de ces colonnes ... L’Histoire nous toise et nous tance. La faire parler, l’animer, maintenir sa splendeur, y faire épanouir fiction et personnages. Il le faut, se dit-elle.



   A suivre.













mardi 26 mars 2024

Pétra, 3

 








Dans l’esprit du Cercle, c’était simple, il y avait eux et les autres.

 








Conception sociale qui, initialement, trouvait son fondement dans l’architecture même du vieux pays, le mur d’enceinte et les portes de la vieille ville. Une mentalité d’intra-muros qui persista longtemps, avec au soir la fermeture des sept portes afin de préserver la cité des intrus et de garantir la sécurité des habitants. 

 

Même les rares quartiers qui, pour des raisons socio-économiques, poussèrent au-delà du mur d’enceinte - et malgré la construction d’un deuxième mur de protection - eurent droit, pendant un certain temps, au qualificatif péjoratif de barani, d’ « étrangers » en dépit d’un tronc commun linguistique et sociétal presque identique, à l’exception de l’accent et des pratiques cultuelles.

 

C’était un rejet double voire multiple de tout ce qui venait de l’extérieur, avec une hiérarchisation du concept « étranger » comme pour retourner dans le liquide amniotique et le confort des entrailles de sa mère. 

Une chasse gardée qui eut de nombreux inconvénients dont, principalement, celui du refus de tout changement et par-delà, de toute expérience et de tout dynamisme. 

 

-   Campons sur nous-mêmes, entre nous et faisons à partir de nous-mêmes. Nous, uniquement.

 

Les jeunes générations s’en défirent progressivement au vu de la liberté des arrivants, de leur fierté, souvent, et de leur détermination à avancer. Pas toutes, mais bien celles aux regards neufs, à l’intelligence curieuse, aux rejets du traditionnel et aux désirs modernistes.

 

En Allemagne, devant un public acquis et conquis, une descendante du Cercle, libre et en rupture complète avec tout ce qui ne répondait pas aux impératifs philosophiques du Droit à exister selon sa volonté intellectuelle, étonna, au point où l’assistance la considéra comme étrangère à son propre pays. 

 

-       Êtes-vous de cette culture-là ?

 

-   Définissons « culture », « là » … Voyons ensemble ce que nous apportons via nos choix existentiels à nos vies et arrêtons-nous, précisément et savamment, sur le concept étranger, leur dit-elle en souriant. 

 

 

Le Liseur du MD était admiré. Son oncle-père, grand diplomate, ami d’Indira Ghandi fut regardé comme un arrivant qui a pas mal réussi

 

-       Les bouquins les ont sauvés !

 

Bourguiba aussi, un provincial agité, petit, goujat et rancunier, qu’ils regardèrent de haut, toute leur vie. Lui qui comprit l’essentialité de l’école dans un pays pauvre et sans ressources. 

Qui sut tirer profit des projets sociétaux des intellectuels éclairés* de son temps. 

Lui qui enrôla la femme dans le processus économique. 

Qui lui attribua, concrètement, des droits d’êtres libres. 


Avec juste devant, un Cercle plutôt inactif et passéiste. 



 







Peut-être que le Cercle gagne à quitter le liquide amniotique. A voler de ses ailes largement déployées. A scruter en l’autre, la dimension dynamique, nouvelle et réformatrice. A partir de là, reconnaissons l’édifice des constructeurs, avec ses poutres ouvragées et bien évidemment ses fautes historiques. Il n’y a pas d’amour heureux ad vitam aeternum. 

 

De toutes manières, il y a au fond de tous, des pensées secrètes que la bienséance garde bien enfermées. Et l’essentiel est dans le Faire et l’Apport.

 

 

A suivre. 


*Tahar Haddad, notamment, dont les écrits sur la liberté incontournable de la femme furent mis en  pratique par Bourguiba.