Évidemment elle ne croyait pas en l’âme, elle ne savait même pas ce que cela signifiait concrètement. Certes, l’idée pourrait plaire, mais quelle en était l’utilité ? Elle trouvait à l’âme une ressemblance avec le paradis. Une sorte de chiasme : l’âme s’opposait au corps, le paradis à la réalité. Un chassé-croisé. Une bouée de sauvetage. Un espoir énergétique.
Ce n’était pas rien.
En poésie, dans l’expression artistique quelle qu’elle soit, l’âme pourrait être inspirante, elle l’était probablement pour certains, puisqu’elle pouvait nourrir l’imaginaire, mais rationnellement que signifiait-elle ?
- Je t’aime de toute ma personne.
Oui, elle concevait et ce que c’était sublime à entendre.
« De toute mon âme » ?
Qu’est-ce que cela pouvait bien dire ?
Ou encore, l’idée que l’humain n’est pas que corps. Que son âme est invisible et qu’à sa mort, elle, reste éternelle. Elle était en besoin de preuves tangibles, de données concrètes sans lesquelles, ce n’était pas possible d’adhérer. Elle avait vu des êtres s’éteindre, des molécules se taire définitivement. Elle a assisté à l’extinction des feux d’au moins trois proches et aucune âme à l’horizon.
« Alors son âme s’éleva au ciel » ne passait pas pour elle. Pas mal de ses amis proches étaient adeptes de l’invisible, des limites des sens de perception humaine. Elle trouvait cela sympathique, mais le manque d’arguments solides faisait que les choses ne se fixaient pas dans son entendement.
Un ami physicien avançait souvent l’idée que le physique était beaucoup plus vaste que ce que l’humain saisissait et que le métaphysique, lui, avait besoin de bien plus d’outils de détectage. Elle était ouverte à toutes les hypothèses pourvu qu’il y ait un étayage solide.
- Si mes capacités perceptives sont insuffisantes, on ne peut m’en vouloir. Et je trouve un réel confort à m’arrêter à ce que je saisis.
- Ta maison a une âme pourtant !
- Elle m’a moi, c’est tout, répondait-elle, en riant.
Photo Anne Granier Stremon, en souvenir de feu RS.
Son père croyait en l’âme de son propre père le suivant et le protégeant. Il en avait été privé à six ans et quelques. Forcément. Ils discutèrent souvent de l’invisible, il lui donnait raison, détestait l’idée de prédestination et la philosophie du « C’est ainsi » fataliste, mais n’aimait pas s’y attarder. Il avait peur pour elle et pour lui, mais surtout pour elle. Parce qu’il disait toujours que revenir aux bons sentiments ne coûtait rien.
Un jour, un de ses cousins lui dit effrontément que sa fille était athée et il fut hors de lui.
- Elle est ce qu’elle veut être, mais ne sera pas léchée par les flammes de l’enfer, parce qu’elle a une tête et du coeur.
Il le bouda froidement quelques jours, parla avec sa fille et lui conseilla de respecter l’établi du mieux qu’elle pouvait. Voyant sa peine malgré ses efforts pour la dissimuler, elle ne lui demanda pas ce que l’établi signifiait.
- Ne t’inquiète pas, lui dit-elle, rien de ce que je ferai ne sera en contradiction avec ce que tu es, avec ce que nous sommes.
Et l’honnêteté fut la règle principale autour de laquelle elle battit son monde de femme de réflexion, de femme de vie, d’amie et de mère.
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