mardi 19 septembre 2023

La Peur suprême

 



 








Des chasseurs-cueilleurs sombres, rudes, taciturnes, méfiants … Outre la chasse et l’impératif Vivre qui ne souffrait aucune concession, ils passaient leur temps à se scruter afin de réagir au quart de tour, à l’embuscade, à l’attaque, à la traîtrise, à l’agression, au vol, au viol …


 

Ce n’était pas le temps de la paranoïa, de la phobie, de l’anxiété, nommées, observées, comprises et cataloguées. Les mots étaient assez sommaires, les dogmes et les concepts inexistants. C’était la Survie qui prévalait et la peur immanente et permanente, la peur inratable, la peur conservatrice. Celle qui n’avait qu’une signifiance : sauver sa peau, la peur originelle qui était un geste meurtrier voire génocidaire. 


 

Lors des rixes qui se déclaraient fréquemment et régulièrement, le sang et la mort étaient au rendez-vous. Menacé dans sa survie, l'homme tuait sans hésiter, massacrait et s'appropriait le butin. 


 

Se nourrir était l'objectif ontologique suprême, incontournable, sine qua non d'Être dans la nature, d'Être au monde, aujourd'hui, avec tout l'apport de l'homme pensant, depuis. La peur devint la force motrice, une énergie renouvelée, renouvelable capable du pire mais aussi, irréfutablement, du meilleur.

 

 

Les Sages les observaient, ils savaient la férocité des jeunes. Eux-mêmes avaient tué à tour de bras sans hésiter, mais l'âge les gratifiant d'une vision décalée, ils savaient qu'il fallait unifier de la manière la plus puissante et la plus incontestable.


 

Et ils décidèrent d’unifier. L’un proposa une terre commune, un autre du bétail en association, des alliances consanguines, mais rien n’y fit, ils continuèrent à s’entretuer. Le plus silencieux des vingt Sages, quittant son mutisme réflexif, dit un jour :


 

-       Il faudra les tenir par la Peur suprême.


 

Tous le regardèrent. Ils savaient son immense sagesse, sa parcimonie locutive, la profondeur de son silence prolongé. Ils se turent attendant la suite de ce qu’il venait d’énoncer lapidairement. 


 

-       Un chef suprême, un texte suprême et la Peur remuante.


 

Et le Texte fut. Poétique, allégorique, imagé, manichéen, doux, violent, commandeur, parabolique, didactique, menaçant, rassembleur, séparatiste … L’arbre, le fruit, l’objet, le feu, l’eau, la pierre … y sont magnifiés et sacralisés. Des impératifs furent conçus, le verbe agité, le silence remuant institué. Sacrifice et offrandes bâtis. Et le fouet, l’inhibiteur indétrônable, sollicité avec son corollaire hiérarchique le feu « consumeur » …

 


 

Le cor fut inventé et les roulements de tambour firent si bien leur travail que la mayonnaise qui prenait du volume tous les jours un peu plus devint immaîtrisable et, existant par elle-même, elle se libéra de ses concepteurs et leur échappa.


 

-      Le vieux Sage, notre aïeul, dont le silence d’or n’était que la preuve de son immense philosophie, fut le théoricien le plus puissant de son temps et de tous les temps. Il sut fabriquer de l’extensible. Et tous les jours, nous assistons à la dynamique de sa tornade spirituelle. En plus des incidences multiples, des temps rajoutés et infinis, des ramifications, des libertés partielles et émancipatrices … Vertigineux, poétique, fervent, irrationnel et potentiellement imprévisible. 




 










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