vendredi 29 septembre 2023

Et un sourire, 3



Le problème de l’homme, fondamentalement, n’est-il pas de ne pas avoir un sens aigu et avisé du temps qui fuit ?




 

 

 

 

 










Il était assis à son bureau, devant son ordinateur, et les images défilaient. 

 

Les trois premières secondes, il vit de quoi il s’agissait et c’était un bon choix. Grandiose

 

Et aussitôt, il tomba dans la gamberge. Des milliers de lieux, dans tous les sens, des lectures obsessionnelles et totalement hallucinatoires. 

 

 

-       C’est la droite française, ce sont les services secrets. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute ! hurlait-il, en lui-même, tremblant.

 

 

Il était à des milliers de kms de La France, n’y vivait plus depuis une trentaine d’années et n’avait jamais fréquenté ni la droite ni la gauche. Il avait beaucoup erré à Paris, perdu beaucoup de temps et n’avait pas saisi les choses correctement, ni socialement, ni humainement, ni académiquement.

 

Il avançait vers les idées, les concepts, les théories et les théorèmes avec un prérequis sorti de nulle part, qui déformait tout. Avec des outils étranges qui n’avaient aucune latitude analytique et, c’était précisément même, l’inverse total. 

 

Il commençait par « un j’ai bien compris », mélangeait tout anarchiquement, se posait en décrypteur avisé et posait une confusion qui était, à ses yeux, une vérité irréfutable. 

Une concentration défaillante, quelque chose de très profond qui venait de loin, comme la peur d’être ridiculisé, un assaut de pouvoir pour saisir la notion à décoder et s’y asseoir magistralement. Sur toute l’étendue de l’erreur, en vérité. 

Il y avait aussi une paresse quasi pathologique et un refus buté d’appréhender les choses calmement et de manière dépassionnée, graduellement et dans l’ordre.

 

Un saut dans le vide hors de l’espace du saisissement et de l’intelligibilité. 

 

Et il en sera ainsi en tout. Il arrivait avec des idées préconçues, des préjugés dans les situations d’échanges sociaux, plaquait ses erreurs, qui sont ses vérités indémontables ; il hurlait s’il était contredit et, ce faisant, éloignait les autres ou ils acquiesçaient pour le faire taire et l’éviter. Il pouvait, à ce moment-là, à son aise, baigner dans son monde renversé, en toute quiétude silencieuse. 

 

Est-ce là, la définition de l’asociabilité ? 

De la folie ? 

De la grande solitude pathologique ? 

Sont-ce ici des troubles spécifiques à l’abordage du savoir et des autres ?  

Des nœuds gordiens depuis le liquide amniotique ? 

Depuis la petite enfance, les brimades et les vexations ? 

Est-ce une anatomie particulière perçue par les adultes, interrogée d’une manière agressive médicalement, répercuté sur l’enfant précoce qui en fit une cloison, puis des cloisons et, enfin, une prison folle aux murs épais et lézardés ?

 

Il en était ainsi de ce double de Maldoror, confiné ici et là, à s’introspecter sur des décennies sans souci aucun du temps qui fuit, sans désir de bâtir, d’écouter et de partager. Il garda cependant en lui quelques sourires d’enfant espiègle. 


Quelques-uns, sans plus. 

 

Quand il rencontra cette amie lointaine, il perçut sa sensibilité humaniste et pensa pouvoir en jouer.

 

-       Personne ne se liera d’amitié avec toi, lui dit-elle, un jour.

 

-       Pourquoi ?

 

-       Parce que tu es fou.

 

-       Alors pourquoi ?

 

-    C’est en égard à ta sensibilité restée intacte. Elle a échappé à ton emprise folle et toxique. Et puis, pour t’intimer l’ordre d’enlever le masque, tous les masques. Ta tête hérissée m’interpelle. Comment peut-on être ainsi ? Mais n’oublie pas, c’est moi qui mène la ronde, ou du moins, mon discernement.

 

 

Et ils marchèrent longtemps en bord de mer en compagnie des mouettes en fête. Des sourires, de temps en temps, et pas mal de rabrouements quand il se faisait rattraper par ses complexités neurologiques et psychiques tordues et malveillantes. 

 

Il était bon à sourire et à faire sortir, au milieu de sa dinguerie ontologique, quelques pépites plaisantes et assez rares. Cet ami-là ressemblait à l’identique à une tête hérissée aux yeux globuleux et chavirés. 













 

( À suivre )

mercredi 27 septembre 2023

Et un sourire, 2

Carthage, 27 sept. 2023
Cabinet de coaching psychologique et PNL








 


 

-       Le monde est fait d’une faune indigeste.

 

-       Ou alors, vous êtes un asocial pur.

 

( Regard chargé de rancœur )

 

-       Je vous paye !

 

-    Évidemment. Pour vous corriger. Peut-être faudra-t-il se mesurer à ceux qui valent la  peine. 

 

( Il fulminait )

 

-       Je sais comment être.

 

-       Oui, seul.

 

-       Oui, seul.


 

( Silence. Elle le voyait livrer un combat de gladiateur entre la franche rancune butée et le besoin de parler. )








 


-       Rappelez-vous, je ne m’adresse qu’à votre intelligence et à votre sens de l’équité. C’était dit dès le départ. Donc, replacez le curseur au bon endroit. Je vous attends.


 

( Regard appuyé de son côté. Il la savait draconienne là-dessus et il ne pouvait jouer. )


 

-       Je veux hurler.

 

-     Si vous ne le faites pas c’est que vous avez appris à ne plus jouer. C’est un faux pouvoir et ridicule de surcroît.

 

-       Je vous dis au revoir.

 

-       Au revoir.


 

 

Il repartit, longeant la mer, tête baissée. Il la haïssait. Il aimerait tant la ranger avec les « rejetés-parcequ’ils-ont-tort-et-moi-j’ai-raison », mais c’était difficile. C’était sa seule interlocutrice et les échanges avec elle le faisaient sentir en vie. 


Il la haïssait de tout son cœur, mais lui reconnaissait une intelligence sensitive hors du commun. Celle-là le regardait dans les yeux, lisait en lui clairement. Il ne lui faisait pas peur et elle avait en main sa fragilité intérieure. Non, il ne pouvait la faire tomber ni mentir à son sujet ni se mentir à lui-même. C’était injouable. 


Il rageait.


( À suivre )













mardi 26 septembre 2023

Et puis, un sourire ...

1. 







Le même personnage, marchant, tête baissée, longeant la mer qu’il aimait, vraisemblablement, regarder. 


Des regards furtifs, de temps en temps et puis, de nouveau, se réfugier, loin en lui. 


Peut-être préparait-il ce qu’il allait lui dire ? 

 

C’était un habitué de la gamberge et du silence psychique quasi carcéral. Il vivait au milieu de livres qu’il n’ouvrait pas, de vinyles qu’il n’écoutait pas ; à proximité de personnes qu’il évitait ou auxquelles il s’adressait très vite pour des considérations domestiques

 

Et surtout se réfugier, loin en lui.

 

Il aimait ce rendez-vous mensuel avec elle et après chaque entretien - ou soliloque, quand il voulait occuper le terrain ou joute verbale, quand elle le provoquait ou encore silence hargneux, quand elle le faisait sortir de ses gonds – il retournait chez lui et attendait l’entretien suivant. Il passait des heures et des jours assis devant son ordinateur à ne pas suivre les cours du Collège de France qu’il mettait et ne regardait pas, qu’il enregistrait, mais qu’il ne repassait jamais. 

 

Il avait quelque chose de Lautréamont ou plutôt des images saisissantes des Chants de Maldoror. Chant IV : « Sous mon aisselle gauche, une famille de crapauds a pris résidence, et, quand l’un d’eux remue, il me fait des chatouilles.  

Prenez garde qu’il ne s’en échappe un, et ne vienne gratter, avec sa bouche, le dedans de votre oreille : il serait ensuite capable d’entrer dans votre cerveau.. »

 

Oui, il avait quelque chose de Maldoror. Un quelque chose de déconstruit, de fou et d'hallucinatoire.

 

A demeurer assis des heures à son bureau, sans prononcer un mot, à s’ébouillanter les méninges, à voyager dans le temps et l’espace, à analyser de travers tout et n’importe quoi. Sa perception des êtres et du monde était erronée, biaisée, inconsciemment, et malgré lui, par une fausse lecture du monde où il se plaçait en personnage principal avec ses doutes, sa sensibilité exacerbée, ses brèches, ses nœuds gordiens, sa binarité incomprise, ses confusions, son austérité et son obstination pathologique. Il haïssait qu’on s’approche de sa forteresse silencieuse et meublée d’ombres. C’était le refuge de l’enfant contrarié qu’il fut et où il se complaisait à s’analyser et à cultiver le rejet de l’autre, celui-là même qui le guettait pour lui faire du mal et l’humilier. Sa prison autistique le protégeait des autres dont il avait une peur pathologique et profonde, mais aussi de lui-même et de ses réactions incontrôlées qui pouvaient le mener loin sans qu’il ne puisse, à ce moment-là, faire preuve d’un minimum de conscience et encore moins de maîtrise de soi. Il était sujet à des fièvres folles et démesurées, à des vociférations de lion blessé, à des regards giratoires, à des poussées exhibitionnistes qui prenaient des proportions spectaculaires au premier sens du terme. 

 

Sa paix agitée résidait dans son écart du monde. Il se forçait à faire trois, quatre choses, vite fait et en s’exposant le moins, pour ensuite ouvrir la porte de sa forteresse de silence, de fantômes, de douleurs et de questionnements permanents. Les choses, les êtres et les situations glissaient sur lui et à chaque fois qu’il voulut construire quelque chose, il n’échappa pas à l’autre qu’il était singulier, loin dans ses démons et réfractaire à la vie vraie.


-   Ton monde est tissé de fils invisibles, lui dit, un jour, une amie humaniste. Un soir, tes racines iront loin sous les carreaux, traverseront le rez-de-chaussée et s'enfonceront dans le sol, ils atteindront Agartha et le centre de la terre et tu ne le verras même pas. Parce que tu es toujours dans le vestiaire, ou à regarder obsessionnellement les gestes de ta mère, à calculer les distances, ou à refuser de quitter la crèche et le monde des images, à te complaire dans une pâle copie du monde que tu as conçue à un rythme lent et indolent, afin d'y être seul et de ne pas agir. Parce que tu ne sais pas t'arracher à la torpeur et à la procrastination et que te mesurer aux autres passe, chez toi, par la violence. Non, tout n'est pas dans l'inertie ou le bâton.



( À suivre ) 














samedi 23 septembre 2023

Écrire

 Écrire, un chemin en l'homme, pour parvenir à La Clairière






Écrire est un acte de liberté et de vérité. Un acte d’affranchissement où les mots disent ce qu’il en est, sans détour et avec honnêteté. Sans cela, il n’y a pas d’écriture puissante.

 

De même, si on a peur des mots, il vaut mieux s’abstenir d’écrire. Parce qu’écrire suppose en tout premier lieu, la décision de signifier. 

 

Comment ? 

 

De multiples manières. La forme est un choix ou un diktat de la pensée et de la volonté ou un impératif pour mener le lecteur au port arrêté. Parce que signifier a sa pudeur.

 

-       Je veux écrire, me dit-il.

 

-       Excellent, dis-je.

 

-       Écrire me libère.

 

-       Oui !

 

-   Je voudrais écrire des histoires, imaginer des univers SF, rendre compte de mes pérégrinations …

 

-       C’est déjà deux manières d’écrire.

 

-      Relater mes aventures est certes plus simple qu’imaginer et j’ai peur de tomber dans la médiocrité.

 

-       Tout dépend de tes aventures, dis-je, en souriant. 

 

-       Oui, c’est cela.

 

-      Certaines personnes croient écrire alors qu’elles font souvent du listing.

 

-       Je risque de tomber là-dedans.

 

-    Mûris ton projet. Bois à la source, lis, lis et lis encore. Emplis-toi de mots.

 

-       Le temps me manque.

 

-       Non, le temps ne manque jamais. C’est nous qui l’employons. 

 

-       Je ne sais pas.

 

 

Il avait vingt ans et voulait devenir scribe. Et pourquoi pas ? Il y a mille manières d’écrire et c’est toujours du bon. La littérature reste, elle, le graal, à la Gary, à la Duras ou, subliminale, à la manière du grand Char ( Il faisait près de deux mètres par ailleurs ).


Un journal intime et c’est déjà écrire, se libérer et mieux respirer. Écrire devrait se faire au quotidien, c’est le miroir qui nous dit des choses, sans forcément nous y mirer des heures. Je n’ai jamais aimé l’écriture à la première personne, même si certaines œuvres ont été fort marquantes. Je pense aux Mots, à La Statue intérieure, au Lait de l’oranger et à tellement d’autres ... 

 

Mais là, le « Je » est largement consacré et est souvent un indicateur intellectuel fort. Les scribes confirmés ont toute la latitude du geste et peuvent casser tous les codes, c’est précisément surtout cela, soumette l'écriture à la liberté du Scribe.

 

Il faut aussi relever que le « Je » d’une œuvre n’est pas forcément celui de l’auteur, sauf s’il y a correspondance entre ce qui est narré et les données biographiques de l’auteur. Se raconter a quelque chose d’impudique. Pourtant la mise à nu peut quelquefois s’avérer utile, expiatoire et cathartique. Le dosage doit donc être maîtrisé pour le bon goût et la simplicité. 

 

Il y a un battement de cœur dans l’écriture, dans la littérature pour dire les choses. On est loin du môme en besoin de se raconter, de tenir un journal intime, même s’il a des chances de pouvoir éclore un jour. On ne devient pas scribe, on l’est, à force de lecture, d’intimité et de solitude, de sobriété du mot, de pudeur et d’un sens aigu des choses, d’un quelque chose d’indescriptible dans la sensibilité et dans le sens de l'honneur.


Écrire est un acte très sérieux, un acte vrai et fondamental où on dit l’Être et sa finitude, surtout cela et de mille et une manières. 

 

Il y a de l’autre côté, les journalistes, les relateurs, les scripts, les secrétaires … et pourquoi pas ? Tant qu’ils ne sont pas des plumitifs. Parce que là, nous tombons dans le commun et quelquefois l’obscène. Il faut des mots pour tous les goûts et les goûts sont pluriels. 

 

Mais dans la Tour exclusive du Scribe où chaque mot est un battement, ou chaque cheminement est accoucheur d’une vérité de l’homme, nous sommes dans une dimension autre qui vous fait vibrer aux dimensions d’Ontos : Être, vivre, tâtonner, approcher l’acmé et puis mourir. 

L’acte d’écrire est à ce moment-là un cri ontologique et existentiel, le cri de l’écorché vif. 

 

La forge des mots est d’une nature divine, une maïeutique où chaque verbe vient au monde dans une douleur délivrante, où ce qui expulsé est d’emblée signifiance. 



 

-      Oui, écris et écris, jusqu’à la moelle. Peut-être qu’au bout du chemin, tu arriveras à une belle clairière. Écris à l’encre de l’océan et mesure ton verbe à ton échelle de conviction intime, lui dis-je, en souriant. Mets-y du pur et du vrai.