samedi 19 août 2023

Les eighties, entre beignets, figues et fromage

 









Six heures du matin. Elle arrivait avec les beignets, les figues et le fromage. Et surtout le rire, la bonne humeur et le dynamisme. Elle devait avoir la cinquantaine voire bien moins. Mais pour les adolescents que nous étions, elle était vieille et tellement à l’ancienne. Et puis, six heures du matin ! Elle était dérangée

 

Chaque être baigne dans son temps. Nous étions dans l’imaginaire libidinal probablement, englués dans un corps fantasque et dérangeant, entre mobilité et silences incompréhensibles. 

 

De quels beignets, parlait-elle ! On l’aimait bien, évidemment, mais on lui préférait le sommeil. Cela va de soi. 

 

Elle était sûrement dans la tristesse d’un mari qui ignorait l’art et ne maîtrisait que le travail dès l’aube et elle se rabattait sur son frère, Si M., Lé A.. 

Monsieur M. et Madame A., des appellations d’un autre temps entre frères et sœurs. 

 

Elle était sûrement dans un temps corporel et hormonal déroutant et elle refusait de s’arrêter. Et puis, elle aimait l’odeur des matins heureux entre café, croissants et ensuite beignets, fruits et fromage. Elle virevoltait chez son frère, « l’aîné » alors qu’elle était plus âgée, « l’aîné des garçons », ajoutait-elle. Une dame longue et svelte à l’époque des plutôt enrobées, à l’immense œil vert et aux traits sculpturaux. Elle fut peu heureuse sauf lors des moments de partage avec les siens. 

 

Des odeurs d’huile chaude, de parfum de femme, des souvenirs de bruissements, de rires légers et de rires heureux … Une table vite dressée, une nappe qui virevolte … Des effluves de méditerranée et « allez à table ! ».

Et le frère, souriant à sa sœur, l’étreignant : Lé A., j’adore, merci ! Les enfants ? Peut-être que vous êtes la seule qui réussira !

 

Et les enfants goguenards qui avalaient un morceau de travers et se remettaient au lit. Il fallut que ça soit elle, la tante, entre douceur et humour, amour d’elle, pour qu’ils aient fait une apparition à la vitesse de la lumière. 

 

-       Tatie, tatie, à tout à l’heure !

 

Mais elle ne s’attardait pas et à huit heures, elle retournait chez elle, à sa tristesse, malgré l’opulence. Un foyer vide, peu de mots et beaucoup pour les autres-siens. Une vie monacale, un mari qui ne maîtrisait que l’aspect pratique des choses, qui voulait acquérir du temps pour plus de travail et de moyens. S’exercer, gagner et fructifier. 

Une femme en attente de temps sentimental et artistique, de temps passionné. Elle eut deux enfants à dix ans d’écart, du silence en-voici en-voilà, de l’attente désespérée, un amour qui ne vint jamais, un goitre à la gorge, des dîners pour les autres, des voyages et des soieries et un baisser du rideau au dernier quart d’heure de la cinquantaine. 

 

Elle aima les siens et les choya. Ils la choyèrent toute leur vie, dans les pensées secrètes de part et d’autre. 

 

Le bleu de la mer est, aujourd’hui, toujours le même alors que tout ce monde est loin derrière, loin sous terre et ne restent fortes que les odeurs qui se frayent un passage jusque dans les connexions synaptiques. 

 

Tatie de toi, aux immenses yeux verts, myopes à souhait. 










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