J’étais de nouveau dans l’avion et mon esprit fol et pervers imagina et passa en revue tous les scénarii d’une mort possible. Un combat malsain et incontrôlable entre mon rationalisme et mon irrationalisme qui se mesuraient comme à chaque fois ; en dessous de ma gestion de façade et de vernis.
Dans l’eau, il y avait des chances que je m’en sorte puisque j’étais une très bonne nageuse, mais vers quel rivage ? Nous étions au-dessus de la Sicile et je me promis de faire à mon arrivée une recherche sur la faune marine de la mer tyrrhénienne. La perspective d’une investigation à mener me calma et je m’assoupis sans penser aux requins. Un travail a toujours été pour moi une garantie de durée, de rigueur et d’inscription existentielle. Je n’allais donc pas mourir dans un crash d’avion, j’avais une recherche à mener.
L’esprit humain torturé. Même celui qui se prétend cartésien.
J’avais aussi noté que l’idée de mourir ne me faisait plus peur. Évidemment, je voulais vivre et réaliser, encore et encore, mais au vu de ce que j’avais accompli jusque-là, la peur ne me tenaillait plus. J’avais tout donné aux miens, absolument tout : la force mentale, la sensibilité émotionnelle, la valeur travail, la passion des mots, l’indépassable carnet de notes, la finesse de l’écoute et de l’entendement … Ils savent et saisissent promptement. Capital. Et je partageai tout cela avec beaucoup d’autres.
J’ouvris l’œil au moment où l’hôtesse annonça le début de l’atterrissage. Vingt minutes plus tard, l’avion se posa sur le tarmac de l’aéroport de Malpensa. De l’autre côté de l’allée, un passager me sourit. Je lui rendis son sourire après une fraction d’hésitation et des kilomètres de pensées. Pourquoi me souriait-il ? Dans quel but ? Qu’est-ce que cette familiarité ?
Je ne l’avais pas remarqué et je ne faisais généralement pas attention aux autres. J’étais souvent dans mon intériorité et quand j’étais sollicitée, je répondais aimablement et je retournais en moi, à mon livre, mon téléphone ou mon carnet de notes.
Les passagers se pressaient et j’attendis qu’ils avancent un peu pour me lever à mon tour. Le passager souriant fit pareil et me demanda si j’avais besoin d’aide.
- Un bagage dans le coffre ?
- Non, merci, répondis-je, sur la défensive.
Il était engageant et j’étais une sauvage. J’avais oublié les hommes depuis longtemps et d’ailleurs, je ne les connaissais pas. Je m’en méfiais aussi, comme de tout par ailleurs. Il y avait quand même son élégance raffinée qui me rassurait quelque part. Une élégance fort discrète et naturelle. Mais là aussi, je pouvais ouvrir des portes d’interrogations silencieuses. Un sourire, une proposition d’aide et j’étais en alerte intérieure.
Nous étions debout dans le couloir et le flux était lent. Je regrettai de m’être levée. Nerveuse intérieurement, parce qu’il me tardait de quitter l’avion, je le heurtai avec ma mallette d’ordinateur et m’en excusai promptement.
- Ce n’est rien, fit-il, avec une certaine retenue. On aurait peut-être dû rester assis. J’ai hâte aussi.
Je ne répondis pas et travaillai intérieurement ma patience et mon calme. J’avais une légère claustrophobie mais rien de bien ingérable. Nous quittâmes l’avion, une légère brise me fit du bien au dehors et je passai à un bon 24° degrés Celsius. Après les formalités, je pris place dans un café en attendant ma fille. A ma droite, je fus étonnée de voir le passager au sourire, cela faisait trop de présence à mon goût de sauvage, habituée à gérer, seule, sa vie et au millimètre.
Sourire, sourire rapide de retour et agacement intérieur.
- Nous voilà bien arrivés, dit-il. Sinon, comment va votre frère, cela fait longtemps que je ne l’ai pas croisé.
- Pardon ? dis-je.
- Vous ne m’avez pas reconnu, n’est-ce pas ? Je suis SB.
Neurones en effervescence, conduits et connexions synaptiques, mémoire et souvenirs s’entrechoquèrent. Plus une légère émotion d’origine inconnue. Ou plutôt compréhensible : il était sur mon territoire intime, mon enfance probablement et tout le reste.
- Je n’étais pas sûr au départ que c’était vous, mais j’ai pu vous regarder à loisir quand vous vous étiez endormie. C’était apaisant parce que je n’aime pas l’avion non plus et ça m’a fait plaisir de retrouver, en vous voyant, un passé assez lointain. Les années école, collège avec M., nos délires d’enfants heureux et facétieux.
C’était donc lui. Un ami intime à mon frère quand j’étais toute jeune. J’ai dû le voir deux ou trois fois chez nous, mais j’étais une enfant alors, de quatre ans leur cadette et déjà noyée dans les BD et les livres. Je me souvenais plus de ses parents par contre qui connaissaient les miens.
C’était un égaré comme moi dans un monde nouveau et agité, je le compris tout de suite. Une vie close entre amis et proches, école et le reste. Le reste que je ne savais pas.
- Je vous offre un café si vous voulez bien. En souvenir de nos parents, paix à eux.
Ma fille n’allait pas tarder, ce M. me connaissait ou me devinait. Je n’étais pas sur un terrain inquiétant et j’avais un minimum de politesse. Il vint à ma table et il parla. J’écoutai.
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