jeudi 31 août 2023

S'enivrer de mots et de lignes

 




Écrire et dire sont des actes de libertés. Signifier et se faire entendre en sont la consécration.

 





 

 

Panthéon Sorbonne, Grand Amphithéâtre,


 

Un univers de jeunes adultes actifs, déterminés, laborieux, décomplexés aussi. Une moyenne d’âge de trente-quarante-cinq parmi le staff. Des intervenants de tous âges et de tous domaines. Des va-et-vient, une frénésie perceptible dans les coulisses. 

 

S. s’activait en chef d’orchestre, la listes des intervenants à la main avec les intitulés des interventions. Des speakers, disent-ils et beaucoup d’anglais par ailleurs, même si les conférences étaient en français, que c’était à Paris que cela se déroulait et qu’il y eut des précédents, depuis un moment déjà. Le concept restait américain comme dans beaucoup de domaines. 

 

Parmi les speakers qui révisaient leurs notes, il y avait un calme et une indépendance. Personne ne semblait vouloir s’affirmer ou s’exhiber. Du déjà vécu probablement et une mentalité de respect de soi et des autres, quel que soit leur degré de spécialisation, leur académisme ou leur autodidactisme. Et les domaines étaient divers et variés. 


L’enseignante nota la présence de quelques personnalités publiques, un homme politique, un caricaturiste célèbre, un humoriste de renom parmi les conférenciers. Et probablement que le terme de conférencier ne convenait pas car malgré le lieu, tous n’étaient pas des enseignants. 

 

Le concept était bel et bien américain et toute expérience personnelle valait la peine d’être partagée et était passible de contenir un enseignement et un enrichissement. Évidemment, ils avaient leurs puristes Outre-Atlantique, leurs univers clos et hermétiquement fermés, mais c’était là une démarche qui datait - de 1984 - et dont l’objectif fondamental était de diffuser des idées novatrices, de faire valoir des expériences personnelles avec tout ce qu’elles pouvaient contenir d’ardu, de motivant, de phases d’échecs et de redémarrages. Un peu dans l’idée des universités européennes libres où, en marge du normatif, on pouvait aspirer à reprendre ses études, à s’enrichir sans être sous le joug de l’âge ou du parcours traditionnel et académique, différemment, mais dans le même esprit. 

 

Il y avait aussi tout le côté financier en amont et en aval, organisation, tarifs des intervenants les plus connus, sites de dépôt des contenus, vente des conférences par la suite etc … Mais pour l’heure, ce qui mobilisait l’enseignante c’était l’ambiance générale. Elle observait tout et rien n’échappait à sa vigilance. Son intervention était toute fignolée et elle n’avait jamais eu de problèmes pour s’exprimer. C’était aussi une maniaque du travail bien fait, du cisèlement quasiment, et le seul dysfonctionnement qui la dérangeait quelque peu étaient les trous de mémoire, mais elle savait y parer. Elle avait formé des générations aux prestations orales et avait trouvé des astuces pour ne pas en être perturbée. Le Tedtalk était de l’oral pur et son ordinateur ne sera pas à portée de main. Elle refusa aussi l’oreillette et l’aide d’une secrétaire. Elle travailla seule toute sa vie et c’était une femme de plume, habituée à réfléchir et à transcrire dans le calme et surtout sans hésitation. Elle demanda juste une chaise au milieu de la scène parce qu’elle entendait se mouvoir, mais aussi se poser. 

 

Une trentaine d’intervenants, elle passait en dixième position et après, elle irait s’asseoir parmi l’assistance. Des coulisses, elle suivit très attentivement les premiers talk. Un comédien français fut puissant et tellement accrocheur. Il parla de son enfance difficile pour aboutir aux planches et au théâtre d’auteur. 

FJ prit la parole pour expliquer comment il passa de la biologie à la littérature parce que ses parents contraignirent son choix premier. Fort !

Un humoriste connu fit rire l’assistance tout en décrivant les ateliers d’écriture animés par ses scénaristes, ses conseillers et lui-même. Un gigantesque travail de préparation en amont, insoupçonné pour certains. Les speakers avaient minutieusement préparé leurs interventions et chacun avait opté pour une manière de faire propre à lui.

 

L’enseignante fonctionnait au jet en matière de signifiance et dès après l’invitation de S. elle mit les grandes lignes de ce qu’elle voulait passer comme message. Son pays, entre Carthage et aujourd’hui, sa solitude extrême de grande liseuse adolescente, d’analyste psychologique spontanée, de plume sine qua non et d’adepte ontologique d’une existence se faisant autour de la lecture-écriture-expressions-échanges.


Elle savait dire, faire dans un naturel et surtout sans surcharge ni fioriture. L’essentiel, dans un ton juste, sans se surexposer, en faisant voir les possibles et les limites. Elle n’aimait pas les gesticulations, ni le piaillement et trouvait cela respiratoirement haletant et psychiquement noué. Ce sera juste et naturel, décida-t-elle.









 

« Carthage est le grand nom d’une côte méditerranéenne. Une ville bâtie par Didon, une femme de douceur et de force vaillante. Que de fois, elle fut désirée, sans être aimée en réalité, mais toujours forcée. Carthage est femme, n’en déplaise aux adeptes d’une masculinité à tout-va.

 

Il faudra se mettre debout face au bassin bleu au milieu de Carthage pour mesurer sa beauté et sa grandeur, ses flancs harmonieux, son humus nourricier et sa force orgueilleuse. Il y a du mythe dans Carthage et l’intérêt du mythe est de faire rêver, parce que le mythe est large, jusqu’au-boutiste et qu’on y déploie ses ailes. 

 

Je suis l’enseignante de l’organisateur de ce Ted comme vous dites, de cet espace d’expressivité et j’aime m’imaginer au mont de Carthage m’adressant à la mer, bleue, houleuse, vivante et libre. J’ai enseigné à Carthage une dizaine d’années et j’avais à ma droite la Méditerranée. C’était magique, presque tous les jours. 

 

J’ai rencontré S. par le plus grand des hasards et nous échangeâmes autour d’un café, nous rappelant un passé vieux d’une vingtaine d’année, autour de textes toujours vivants et toujours signifiants, de savoir et de vie. Et mon apprenant devint mon maître d’enseignement et j’en fus ravie.

 

Nous avons tous quelque chose à apprendre de l‘autre avec une seule exigence : l’authenticité de sa signifiance et son naturel d’être libre et juste. C’est beaucoup.

 

Je suis, je crois, une femme libre et naturelle, fort exigeante sur la qualité de ce qui me nourrit. Et ce matin, je suis repue des neuf interventions qui m’ont précédée, mais je ne raterai le dessert pour rien au monde. 

 

A Carthage, depuis quelques siècles, il faut se dresser pour exister en femme indépendante et incontournable. Pourtant, ce pays d’Amazighs originellement, vit les femmes les plus libres et les plus puissantes. 

 

N’est-il pas incroyable d’aspirer chaque instant à la liberté sans condition dans un pays fondé par une femme ? Mais en réalité, nous savons tous que le combat est le même, ou presque, un peu partout, et à des degrés de dépassement. 

Les combats des uns et des autres, nombreux par ailleurs. 

Nous savons aussi, que l’homme a toujours eu besoin de plus petit que soi. C’est sa part la moins humaniste, mais la plus humaine. Et l’humanisme est la conséquence d’un humain qui a réfléchi, qui est conscient, volontaire et agissant.

 

Réparons, Mesdames et Messieurs, réparons ! Et c’est précisément mon travail, je répare et je bâtis. Une enfance et une adolescence passées dans les livres dans une bibliothèque familiale abandonnée, majestueuse, silencieuse à souhait et infiniment emplie d’un monde à découvrir. Découvrir la vie, les autres, les mots, les sens qui résistent, l’incompréhensible, fort séducteur … dans un espace clos, a été mon aubaine. Une richesse inattendue et vertigineuse. On m’y laissa et je n’en sortis jamais. 

 

L’enseignement vint-il par hasard ou en suite logique ? Un peu les deux. J’étais une solitaire et une discrète et il fallut extraire, les mots, les lignes, les idées et les concepts. Je continue parce que c’est devenu une respiration. 

 

Que vous dire sur mes vingt-huit ans de salle de cours ? Une énergie renouvelée au quotidien, du sourire, une empathie de proximité et un questionnement permanent à plusieurs. Je reconnais à mes conditions existentielles sartriennes, à mes géniteurs, une redevance affective et vitale qui firent de ma personne une donatrice désintéressée et assez altruiste. 

 

Le chantier du savoir est fort vaste, il nous tient en haleine et nous séduisons du mieux que nous pouvons nos adeptes. Questionner, décrypter, saisir en séduisant est passionnant. 

 

Après un long exil, et sur le chemin du retour à la terre natale, en Galilée, Mahmoud Darwich décrit l’itinéraire comme un désir amoureux, emporteur, comme un souffle meneur, mettant presque en péril son cœur de poète, rêvant de l’autre perdue qui n’est que soi-même. Un désir bien plus puissant que son sentiment à l’arrivée, et au vu de ce qu’il y vit, de part et d’autre. Le désir n'était pas d'aboutir.

 

C’est de cette force et de cette puissance que je viens vous entretenir, celle-là qui vit en nous, qu’il nous faut trouver et raviver au quotidien, notre existence entière. Parce qu’en la perdant, nous nous éteignons. 

 

Vous l’avez, je l’ai encore, nous l’avons, à des distances inégales et avec un entrain variable. Tenons-la fermement et nourrissons-la. Peut-être que Didon et Carthage m’aidaient à l’avoir en main lors de mon parcours, la bleue à la droite de mon bureau et le soleil éclatant ? Fort probablement. 

 

Aujourd’hui, j’apprends, je vous entends et je m’entends et tout cela finira par faire naître quelque chose, une maïeutique, une venue au monde de quelque chose qui sera une tentative de définition de ce que nous sommes, une énième, parce qu’à chaque éclaircie, à chaque sens nouveau, nous avançons et notre regard s’agrandit jusqu’au chavirement et l’ultime connaissance. 

 

Ne nous hâtons pas, construisons du sens. Cela maintient, propulse et enivre et nous n’en sommes que meilleurs, plus forts et plus beaux, plus solides et plus sereins. »





 

 



 

 

 

mercredi 30 août 2023

Entre herméneutes, d'hier et d'aujourd'hui

 




Un jeune homme saisissant entre textes et ingénierie !








Une rencontre fortuite et heureuse dans le quartier savant de Paname. Ils s’étreignirent et l’effusion était palpable. C’était un de ses anciens apprenants, un jeune homme curieux et vif, qui leva son bac sans souci, vite fait et excellemment et choisit le Canada pour la suite universitaire. 

 

Ils prirent une table au café le plus proche. Par chance, La Sorbonne était en face et de toute façon, elle logeait à la rue Vaugirard et venait de quitter l’appartement.


 

-       Mme, quel bonheur ! Nous ne vous avons jamais oubliée ! Jamais !


 

-      Plus de Mme stp, nous sommes entre adultes aujourd’hui et les années d'études sont derrière désormais, fit-elle, en riant.


 

Il était ingénieur, travaillait désormais entre l’Europe et le Canada, mais demeurait amoureux des Lettres et des Arts, lisait toujours et ratait peu d’expositions d’art contemporain. 

 

-     Mme, c’était ma plus belle année ! Merci d’avoir été mon enseignante, c’était un tel bonheur ! On apprenait, on réfléchissait, on découvrait la chose artistique et on saisissait l’intention des auteurs et la portée de leur contribution ! C’était moderne. Merci.

 


-       Vos mots me ravissent, vraiment. Fière de ce que tu me dis là.


 

Et c’était tout à fait exact. Ces mots simples d’apparence avaient une vraie teneur et elle se dit que pas mal s’en était imprégné. Du baume au cœur surtout que ces trois dernières années, elle vit au quotidien, un recul tous azimuts sur tous les plans et que d’avoir été chargée d’innover n’avait pas donné autant qu’elle aurait voulu. 


Les idées, les perspectives, le désir de faire s’étaient heurtés à une résistance, à un temps inopportun socialement et politiquement, à une mollesse dans la contribution et à un rythme irrégulier et démotivé et elle quitta le navire, incertain et sans visibilité, le laissant en plein tangage dans une inertie systémique générale. 

 

Les mots du jeune homme la revigorèrent, mais elle savait que beaucoup de ses apprenants avaient choisi de s’expatrier, par besoin de perspectives d’avenir, mais aussi de libertés. 

 

Les révolutions, au final, quoique importantes historiquement voire capitales, exigent un temps lent, entrainent des montées et des revirements, contiennent en leur sein des imprévus et des volte-face, embrouillent la vue et l’esprit et, aussi bien les jeunes que les moins jeunes, du moins les plus conscients et les plus pragmatiques, les plus en besoin de visibilité, quand leur dynamisme se voit fort contraint, n’hésitent pas à changer de cap. 


C’était le cas pour lui, pour bien d’autres et pour elle aussi. Le temps étant la chose la plus précieuse au monde. Les jeunes se construisent et tracent leur vie, les moins jeunes sont toujours motivés pour envisager de nouvelles manières de faire, pour espérer innover, dynamiser et aider. Pour les autres aujourd’hui. 


Elle travaillait sur des projets pédagogiques ponctuels avec des spécialistes de partout et de toutes disciplines pour offrir le plus d’ébauches pédagogiques possibles et c’était fort intéressant. 

Si la pédagogie se sclérose, il faut le dire et à voix haute, l’enseignement est au point mort. Et si l'enseignement est au point mort, l'espoir se perd. C’était le règne de la médiocrité, des formations inefficaces, des enseignements caducs, de la lenteur et de la pauvreté de la chose savante, dans un XXIème siècle entièrement informatique, numérique et digital, plus de 70 ans après l’indépendance. Au primaire, on pratiquait encore le par-coeurisme à titre d’exemple et ce n’était pas tout. Evidemment.

 

Ils prirent des cafés, des viennoiseries et des jus frais et il lui parla longuement de son travail, de son implication, du niveau fort élevé de la recherche au Canada et de l’Europe qui s’accroche et ne baisse pas les bras.


 

-       Notre pays est d’une beauté physique époustouflante, mais je n’ai pas le temps d’attendre. 


-    Je comprends, dit-elle, dans un sentiment de tristesse qui était là depuis un moment, déjà. Que dire des personnes de ma génération ? Nous avons vécu sous le premier président un homme éclairé, mais que le pouvoir grisa et qui ne posa pas les bases d’une vraie démocratie en son temps. 

    Le 2ème président et l’ère du mensonge policé, de l’obscénité et du clinquant. Le pouvoir d’un seul homme pour la seconde fois. Et puis cette révolution qui n’en finit pas d’incertitude. Des années horribles, de la corruption tous niveaux et des personnages lamentables comme jamais auparavant.     

   Aujourd’hui, nous sommes toujours dans le flou alors que nous exigeons une force des lois et un fonctionnement draconien des institutions. 

 


-       Mme, vous êtes spéciale.


 

-    Je ne crois pas. Je suis plutôt juste, je crois. Et je rêve de savoir et de modernisme. Sans cela, aucune progression n’est possible. Vous savez notre vie à nous adultes est derrière. Les années d’études, de travail, de transmission de savoir, d’approche psychologique et adaptée de chaque apprenant ou presque, le désir de laisser un impact sur chacun afin que la chose savante, culturelle et artistique soit désirable à leurs yeux … 

    Je me rappelle d’une institution privée, d’une boite à fric à l’époque où les mômes venaient avec de l’argent de poche en-voici en-voilà et où l’art était pour eux synonyme de cabarets et de danse du ventre. Évidemment un entourage assez malsain en ce temps-là. Ils avaient prêté l’oreille aux discours pédagogiques nouveaux et sains et ont pu accéder aux grandes écoles, mais à quel prix les premières années ! Vous savez, l’apprenant est l’indicateur le plus fiable de la qualité d’un enseignement. Clairement. Et puis, d’entendre un son de cloche nouveau où la valeur suprême n’était pas l’argent-roi, ce fut un véritable chant de sirènes pour pas mal. C’est le bonheur de l’enseignant impliqué et consciencieux. 


 

-       Mais la masse, Mme !


 

-   La masse est partout à peu près la même. Mais tu me diras que conscience et force des lois sont incomparables. Et tu auras raison. Et arrête avec Mme !

 

 

Ils rirent de bon cœur. Il y avait une belle fluidité dans l’échange et ils s’entendaient tacitement. Mieux, elle apprenait de sa spécialité. 



-       Vous nous avez montré qu’il fallait se construire des ailes, voilà.


 

-       Merci de l’image et surtout méfiez-vous de ce qu’en fit Icare.


 

 

Rires. Un bel échange entre un jeune, écouté attentivement, riche d’expériences nouvelles et une large quinqua, toujours en quête d’idéaux et d’espoirs. 


 

-     Je me rappelle encore d’instants précis de vos cours. Vous vous souvenez de MO quand il vous dit que vous étiez clairement a-dogmatique et que vous lui aviez fait un discours sur l’essentialité de la liberté ? Des textes que nous étudiions à la loupe ? Des surréalistes dont vous étiez si férue ?


-    Toujours ! J’ai toujours cru au savoir, à la connaissance et à l’utilisation de la raison. A quatorze ans, je m’insurgeais contre les détenteurs de la pré-destination alors même que leur volonté était impliquée, leur libre-arbitre. Ils défoncent un mur et invoquent la volonté de Dieu, alors même qu’il leur demande de lire en premier. L’acte de lire est fondamental, voilà pourquoi toutes les croyances et toutes les législations ont compris l’importance du texte. Et c'est vrai, pendant près de trois décennies, j’ai disséqué des textes avec mes apprenants, on faisait de la vivisection ou presque et rien n’échappait à notre vigilance. Le style, la manière, la rhétorique, l’intention de l’auteur, l’implicite et l’explicite, le non-dit, le contexte, l’implication de l’auteur … La réticence que j’avais - et les apprenants l’avaient finalement compris, vous l’aviez compris   concernait la biographie de l’écrivain que d’aucuns considéraient comme éclairante sur les extraits ou l’œuvre. Trop facile et peu intéressant et focaliser sur le texte, sa forme, la corrélation fond-forme, l’inconscient de certains choix sont autrement plus révélateurs et hautement plus signifiants. C’est ce que je pense.


 

-                         -  Et le support image comme vous disiez ?


 

-  Oui, on s’arrêtait sur les mots, les images, on faisait parler les enluminures, les affiches et les photos, les angles de prise de vue. Quand on s’exerçait à écrire, on mettait l’ineffable en objectif et c’était le rush mental, d’un groupe d’apprenants qui rivalisaient d’imaginaires. T’en rappelles-tu ? 


 

-   Et les prestations orales de gamins de 16/18 ans que nous étions, briefés à la moelle, qui montaient sur scène et rendaient compte de leur mini-thèses de TPE ou de leurs stages de découverte ou qui disaient une tirade d’Antigone dans un jeu puissant. Vous nous aviez tués avec ça !

 

 

 

-     Pas tant que ça ! fit-elle, en riant. Vous êtes là ! Lors d’organisation d’événements culturels, je fis appel à quelques-uns qui furent brillants, je pense à Sapho notamment, Tu t’en souviens ? Elle se distingua très vite alors qu’elle était poussée à ne pas percer pour des raisons personnelles et parce que l’administration de l’époque était fermée à tout ce qui n’était pas normatif classique. Elle perça largement au milieu des autres, venus d’autres écoles. 


 

-       On ne s’invente pas pourvoyeur de savoir du jour au lendemain, Mme. 


 

-      C’est vrai. L’enseignement est un sacerdoce et il exige de vous toute votre puissance et toute votre énergie. Voilà pourquoi en route, beaucoup baissèrent les bras, d’autres tombèrent et certains y laissèrent santé et intégrité. Un métier pénible au-delà de dix ans, à moins d’être de force herculéenne, ou de sang froid stoïcien et encore. 


 

-     J’en ai croisé des comme vous, ces quinze dernières années, à McGill notamment. Des prophètes éclairés et rationnels, des êtres investis ontologiquement. J’ai tellement appris. 


 

-        Merci de tes mots. Un retour magnifique. Cela m’émeut.

 

 

Ils continuèrent à se dire des choses. Elle apprenait, il était fier. Un juste équilibre et un vrai bonheur pour les deux, un couronnement réciproque : j’ai participé à tes strates fondatrices et tu me réjouis en m’éclairant sur ton domaine de spécialisation. Il avait une verve, un dynamisme qui ne trompaient pas et elle les partageait encore de plain-pied.


 

Ils se donnèrent rendez-vous pour un brunch au soleil avant l’arrivée du froid et l’invita à intervenir lors d'un TEDx qu’il organisait à la fin du mois, autour des expériences académiques et professionnelles.


 

-         -   Un retour d’ascenseur qui me ravit, dit-elle. 









lundi 28 août 2023

Le temps d'un café, 2

 




Je ne sais si cela dura quinze ou vingt minutes, mais cela suffit pour raconter une vie ou presque. Je ne m’étais pas trompée sur l’élégance naturelle du Monsieur - alors même que je ne savais pas encore qui il était. Et il se raconta spontanément. Parce qu’il savait qu’il était en terrain plutôt sûr. Et c’était vrai. 


 

Les hommes sont bien plus fragiles que les femmes parce qu’ils cachent leur sensibilité et que la société exige d’eux une masculinité à toute épreuve. 


 

Un écorché de la vie comme tant d’autres, ceux qui marchent droit mais qui ne savent pas se prémunir des prédateurs, qui ont la faiblesse de ne pas savoir quelles portes laisser fermées, définitivement. L’exigence est une qualité, le rationalisme aussi, mais certains jeunes gens emportés par la jeunesse, la fougue du corps se laissent entrainer, s’embourbent et s’y perdent. 


Ils étaient deux à s’être englués dans les marécages de la médiocrité et des vociférations.


 

L’intelligence de l’autre est une protection pour soi, sa droiture, sa rigueur et sa morale. Voilà pourquoi il est utile et prudent d’être exigeant. L’intelligence vraie, simple, celle du cœur et de l’esprit parce que même là, il faut savoir reconnaitre le bon grain et ne pas s’arrêter au clinquant de surface.


 

Il se raconta à la sœur d’un ami qu’il connut enfant, probablement nostalgique de ce temps à la pureté inégalée, où deux protecteurs invincibles veillaient sur leurs enfants. Mais nous ne sommes pas destinés à demeurer des enfants toute notre vie et il faut savoir parer aux éventualités. 







 

J’ai eu de la tristesse intérieure pour cet enfant inaccompli, mais rien ne parut et je dis vite fait la nécessité de continuer à vivre et de fabriquer du bonheur, des bonheurs, insistai-je. 

 

J’avais de la tendresse fraternelle pour ce profil d’homme, mais très peu de compréhension, tant il était crucial à mes yeux de choisir où évoluer, comment évoluer et quelles opportunités de vie se donner.

 

Ma fille vint et je fus soulagée. Je n’avais pas d’aide à offrir à la candeur excessive et à l’absence d’aspérités et je n’aimais pas la gentillesse sans condition. Je le présentai à ma fille, quelques amabilités et nous nous saluâmes.


-       Je ne manquerai pas de lui transmettre, lui dis-je, avec un sourire.


Ma fille me demanda si son oncle et cet ami se voyaient encore.


-      Non. Deux vies suspendues par manque de fermeté, de savoir-faire et de défiance. Dans ces cas-là, la politesse est une mollesse. Parlons d’autre chose s’il te plaît.