lundi 1 juin 2020

Saloua Ayachi, in memoriam






Je suis à mon bureau, habillée comme de sortie, dans la dignité, et un immense chagrin m’envahit. Je t’accompagne de mes mots, Saloua.


« Cette jeune fille rougissante est une jeune fille de famille », conclut ma génitrice aux doigts de fée. Nous avions moins de 20 ans et l’aval de SBelk était nécessaire pour moins de restrictions. Comme j’étais hyper dans le vent d’allure, je fis croire à HA que je fermais tard La Baraka et les boîtes de nuit alentours, avec ma mère et ma tante. Elle en fut légèrement déstabilisée mais très vite en rit. Nous rîmes toutes.

Des années après, alors que je perdis de vue HA, je fis la connaissance d’une Dame belle et élégante. De cette beauté et de cette sobriété qui restent inscrites dans le Cahier de votre vie. C’était lors des préparations de sujets d’examens nationaux. Elle avait bien moins de cinquante ans et j’étais la jeune fougueuse dont le travail fut retenu. Elle me félicita avec sourire.
Je ne connaissais même pas son nom, juste son gentil sourire. Je fus provoquée gratuitement par un membre de la Commission qui voulait, consciemment ou inconsciemment, faire valoir son « grand âge » et ses compétences uniques, seules et incontournables. Sans rien y comprendre mais parce que je sentis l’arbitraire, je lui explosai au visage. C’est que je suis une violente, moi. La belle Dame me pria avec un sourire de laisser tomber.

« Ça ne vaut pas la peine, me dit-elle. Elle est pleine de ressentiments. »

Nous discutâmes gentiment et j’en oubliai la borderline.

- Saloua Ayachi, me dit-elle.
- SS. J’avais une amie Ayachi, une jeune fille d’une famille de notables et de dignitaires de Sousse. Son feu père Hassine Ayachi a été pendant de longues années directeur du Théâtre municipal de Sousse, Hayet de son prénom.
- Mon feu père et ma petite sœur, me dit-elle, en m’étreignant.

Le début d’une longue amitié.

A l’heure où j’écris, tu te fais ensevelir. C’est ma façon de t’accompagner. Je sais que tu aurais aimé que tes amies t’accompagnent, toi la Libre et la Rebelle. Je le fais, avec mes mots. 

Saloua Ayachi est une Dame, belle, élégante, noble de cœur et de famille, descendante d’une famille de dignitaires, honnêtes et droits. Oui la noblesse de la Dignité existe. La seule vraie noblesse. 

SA était aussi, une féministe et une rebelle qui avait en détestation l’ordre établi et la soumission tous azimuts, principalement celle des femmes. 

Jeune étudiante, elle milita et eut même des démêlés avec l’autorité intérieure faschiste de l’époque, les années 70, si j’ai bien retenu. HA et moi étions des enfants alors. 

C’était aussi une plume acérée que cette Dame, belle et haute. Professeur, penseuse, sa plume était son arme et je souhaiterais de tout cœur que ses fils, qu’elle adorait, réunissent ses écrits en hommage à son vécu de femme libre et de militante. Le militantisme le plus pointu, le plus véritablement vécu, épousé, probe, est celui qui émane de ces personnes désintéressées et idéalistes. Être les fils d’une telle Dame est une fierté dans un pays où on aime réduire, cantonner les mères au couscous goûteux. 

Je retrouvai Saloua Ayachi en 2007, à l’ISC, cette école de corruption bâtie. Elle donna, dans la plus grande discrétion, des cours de lettres à Leila Ben Ali et fut choisie probablement sur les recommandations du MEN. Son nom, Sousse, étaient pour l’ancien président des gages de confiance. Son âge aussi pour l’apprenante : plus âgée qu’elle. SA dut accepter.

A l’ISC, elle fut proviseur, une année. Avant d’être détrônée, doucereusement, par celle qui ambitionnait d’avoir le poste : Jamila Mejri dont le nom du mari Askri déplaisait foncièrement à l’apprenante : une sombre histoire de femme parallèle.

Dans cette école de corrompus, de lèche-bottes, qui ont échappé à la Justice, Saloua Ayachi fut maltraitée parce que droite, probe et très peu encline aux messes basses et aux manigances. 

La pire des écoles où l’enfant est monnayé, le savoir monnayé, un milieu de parvenus et d’ignorants. 

Quand je lui demandai de porter plainte après le changement du 14 janvier parce que non payée, elle refusa par détestation de cette enseigne, qui n’avait rien à voir avec l’enseignement, la pédagogie et où, seuls, les enseignants dignes étaient méritants. Pas les courbeurs d’échines. Je continuerai pour ma part à faire valoir mes droits et mes cotisations non payées qui bloquent, à ce jour, ma requête de départ et de pré-retraite. Sombre souvenir d'une période détestable où notre hypercompétence se retourna contre nous. 

Je continuerai à clamer par voie de Justice, ce qu'il en était, de ce qu'il en est de cette Jamila Mejri Askri - qui passait pour une juste jusqu'à l'arrivée dans cette maudite école - de cette Leila Mzoughi, une novice, de cette Essia Bouchoucha, ancienne gérante d'un magasin de vêtements, de ces opportunistes ou de celles et de ceux qui le sont devenus pour des raisons matérialistes. Le temps n'aura pas raison de ma détermination.

En ce moment, tu te fais ensevelir mais pas l’amitié ni la droiture ni le féminisme ni ta détestation des menteurs et des opportunistes de tout poil. Politiquement surtout.

Repose-toi Saloua, les femmes libres continueront la lutte pour la Femme, pour ses droits, pour les Lumières, pour l’intégrité. Une vie d’implication et de courage, ce n’est pas rien.

Que tes fils soient fiers de la mère, bien évidemment, mais aussi de la Femme que tu fus et que tu resteras dans l’esprit de tes amis, dans leurs meilleurs souvenirs.


2 commentaires: