- Je vous écoute Madame.
- Mourir est d’une facilité insupportable et il faut faire semblant d’oublier.
- Mourir est d’une facilité insupportable et il faut faire semblant d’oublier.
" Paris, juillet 2019
Une chaleur suffocante. Je retrouve M. une copine de fac souriante et sympa. Une copine que j’aimais bien parce que franche, directe. Elle roulait les r et ça lui allait bien.
- Dis donc tu roules toujours les r, lui dis-je, en riant.
- Tu te rappelles que tu avais pris Mama à l’hosto quand elle s’était brûlée ?
A chaque fois, qu’on s’était rencontré, elle me le rappelait. Elle était reconnaissante et moi j’aime les mères.
- Mais c’est normal !
Franche embrassade. Cette jeune fille devenue jeune femme n’avait pas changé. Des années pourtant. Et bien sûr des plis mais les retrouvailles étaient sincères. Notre point commun.
Avant juillet, elle m’avait retrouvée sur la toile. Pas facile, nous avions des pseudos toutes les deux. Et j’avais noté des interventions pour le moins bizarres. En privé, nous échangeâmes et je compris bien des choses.
- Au Deux Magots ? lui dis-je.
- Non à l’IMA, me dit-elle.
Elle vint légèrement en retard. Toujours dans tous les sens et ça lui allait. Il y avait un match important, c’était la Coupe du Monde, je crois, et elle voulait que l’on suive le direct à l’intérieur. Je ne suis pas foot et encore moins nationalisme d’où qu’il vienne. Elle avait une façon de faire bon enfant, interpelait la sécurité, faisait la bringue avec eux et tous les prétextes étaient bons pour trouver un moyen d’entrer.
- C’est complet, dit-il, indifféremment.
- Je suis de T. mon frère, et c’est mon amie. Cela fait plus de 20 ans qu’on ne s’est pas vu. Allez, laissez-nous.
Elle était surexcitée, agréable, une enfant. Je suivais un peu. Cela faisait longtemps.
- Vous n’êtes pas sympa, lui dit-elle, en souriant. Vous ne recevez pas bien mon amie.
Je la tire par le bras doucement et lui dis que l’IMA n’était pas spécialement l’endroit où j’avais envie de me poser avec elle, encore moins le match. Et la foule n’est pas du tout mon truc.
- Viens, me dit-elle, on prend le bus. On va à mon café habituel. Un peu Sidi Bou, le Maroc aussi. Ah, tu n’aimes pas. Moi, c’est là que je me pose. Avec mon Mac, il m’arrive de quitter très tard. Allez, on y va. Mais tu sais, l'IMA, c'est J. Lang qui gère, ce n'est pas peu.
Nous prîmes le bus. Je ne voulais pas faire ma difficile. Nous avions évolué chacune à sa façon, je voulais accorder nos pas. Par amitié et par respect. On se retrouvait aussi, donc de la curiosité.
Je déteste les cafés maures et l’odeur du narguilé. Il faisait sombre à l’intérieur et c’était enfumé.
- Bon, on reste dehors ? Un thé marocain ? Tu n’aimes pas hein. Ok, va pour Saint Germain.
Je lui expliquai que le mauresque n’agissait pas positivement sur moi. Nous riions. Simplement. Elle avait un mélange chaleureux, de r avalé, de sourire enfant, de contact physique et de moue du visage qui signifiait : oui j’ai compris. Désarmante.
Nous voilà à Saint Germain.
- D’accord, faisons les rues.
J’adorais déambuler, m’emplir les yeux, dénicher l’insolite mais aussi m’arrêter sur l’historique, l’artistique et le philosophique. Nous avions les mêmes références théoriquement. Pour moi, elles étaient vitales intellectuellement et fondaient ma personne. Pas elle. Et bien que vivant à Paname depuis au moins une vingtaine d’années, elle gardait en elle toute la culture de son enfance, ses références culturelles, son T. à elle qu’elle semblait vouloir trouver partout.
Elle était surexcitée, rieuse, pleine d’affection, de désir de communiquer. On marchait, marchait, j’adorais marcher. Elle fatigua et nous nous installâmes sur la terrasse des Deux Magots. Elle parlait, racontait, s’arrêtait sur ses publications virtuelles … Je l’écoutais, la regardais, lisais ses expressions, son intériorité. Elle était heureuse de ma présence, me demandait de la croire, me disait s’y connaitre en Pnl. Qu’il fallait que je tienne compte du mauvais escient, des personnes malfaisantes, illustrait d’arguments religieux imparables pour elle … Un tournis de vérités, de supposées vérités, de pseudos vérités, de contre-vérités, de sa réalité d’humaine dans l’étendue de la fragilité de l’être et de l’être seul.
- Je reste tout juillet. On se voit deux, trois fois par semaine, après ton travail.
Elle était sur son Mac, ne me répondit pas : une porte fermée.
- Mais c’est à l’intention de qui ? lui dis-je.
- Des siens, ils savent. Stp, fais un peu confiance à ma perception des choses.
Je lui dis que j’étais toujours la même rationnelle qu’à la fac, peut-être dans ma version ultra avec l’âge. Elle ne prit pas ombrage de mon discours de casse de son irrationalisme. Mais je vis qu’elle campait depuis quelques années sur des thèses totalement farfelues pour moi. Elle avait l’immense prouesse d’avoir gardé son humour, intact.
Il y eut pas moins d’une dizaine de sorties. Elle aimait les jardins, j’adorais les parcs et nous riions. J’avais une série d’entretiens à faire avec des « chefs religieux » juif, chrétien et musulman sur la place du religieux dans notre société moderne hautement informatisée et digitalisée. Elle m’accompagna. Je lui fis part de mes échanges avec le Père V.M. et elle ria. Elle était restée à l’accueil de l’église Saint-Sulpice, au bureau des responsables, vide, parce qu’elle put brancher son Mac sur une prise secteur. Avec un tel aplomb, sympa et hautement gentil et une désinvolture d’enfant.
- Je crois bien qu’il quittera les ordres après tes questions.
Nous rîmes aux larmes. Elle avait cette manière de s’esclaffer en te serrant le bras tellement gentiment. C’était une enfant excitée par ma présence et je devinais en elle une immense sensibilité mais aussi une force et une obstination incroyables. Surtout l’obstination. Il ne fallait pas toucher à ses fabrications spirituelles. C’était ses proches. Je continuai à l’ébranler tantôt avec de l’humour tantôt avec de la brutalité calculée. Psychanalyse sauvage.
Et régulièrement, ces portes qui se refermaient. Même en pleins échanges.
- Attends, je leur envoie un message codé.
Et là-dessus, elle était totalement dedans.
Un jour, que nous décidâmes d’aller partager un quelque chose de rare sur les Toits de Paris, je la vis dans un état proche de la brisure du myocarde.
- J’ai une fermeture des chakras ! me dit-elle. Il me faut un énergiticien.
Elle était confuse, pâle. Elle haletait, faisait mine de gérer. Nous étions assise à une table un peu en retrait, directement sur les toitures des édifices, j’ai cru à un vertige puis je conclus en mon for intérieur à une attaque de panique. J’avais sur moi un antispasmodique étant sujette, perso, aux caprices stomacaux et connaissant les attaques de panique dont j’avais souffert suite à un violent braquage.
Je m’étais mise derrière elle, lui massant la tête. Elle s’en défendait mais je continuai sans un mot attendant l’effet du calmant. Il ne tarda pas. A peine remise, elle se lança dans une explication des dangers du pouvoir à distance. Je lui demandai gentiment de se taire prétextant une atroce migraine. En réalité, j’étais prise d’une vague émotive au vu de ce que j’avais saisi : elle souffrait de quelque chose de terrible et c'était la haute solitude. "
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