« Dante, ce que je déteste par-dessus tout, ce sont les jours creux. Les jours où les mots perdent leur sens. Les jours où je ne crois plus en leur pouvoir, bien vrai pourtant.
Les mots allègent, les mots partent et se renouvellent, font du chemin et pénètrent d’autres entités. Ils sont immortels tant que les décrypteurs s’arrêtent à leur passage. Les mots disent, signifient, font jongler les neurones. Ils produisent du sens, impulsent la réflexion, aboutissent. Ils rendent heureux et sauvent, souvent, de la déroute. Les mots sont riches, tellement.
Les jours pâles de l’absence des mots sont jours laids et inféconds. Jusqu’au retour du pompiste, des convictions profondes, de la ténacité des mots.
Sans les mots, il n’y a pas d’humanité.
Hier, en bord de mer, une belle Dame me dit savamment d’écouter des mots. Une pédagogue. Elle les citait et, au moment qui lui semblait important de hautes significations, elle me rappelait d’écouter.
- Écoute bien maintenant, c’est très important. Note la restriction. C’est capital.
Elle citait un texte phare dans une langue dont je n’ai pas la maîtrise totale. Elle en est spécialiste, elle.
Ber est une croyante libre. Elle croit en sa religion mais s’autorise des écarts, pour peu que le rationnel le permette.
- - Tout texte est un produit humain Ber. Tu imagines bien que si le Créateur voulait écrire, il l’aurait fait de mille et une manières. Les écrits sont nécessairement humains. Des tablettes en argile, aux peaux, aux papyrus jusqu’au livre électronique.
Elle me regarda. Je connais ce regard. C’est celui des croyants qui réfléchissent, même devant l’absurde.
- - Je ne suis pas pratiquante, croyante, bien entendu, mais je crois beaucoup en la sincérité aussi.
Nous partageons des valeurs communes et Ber comprit, très probablement, que mon système de convictions personnelles est assez solide pour que je puisse m’y appuyer.
Parce qu’une religion est exactement la même chose, avec la liberté en moins, la peur en moins. Peut-être, la peur en moins.
Dante, vivre avec une conviction de son propre génie est juste une énorme chose : une avancée prodigieuse, une réflexion profonde, un délestage culturel puissant, des paramètres personnels de comparaison, de mesure, de logique, de conviction certaine. C’est énorme, libérateur et agile.
Récemment, un homme souffrant du cœur, a eu un arrêt cardiaque de quelques instants. Il fit part de son expérience aux médias spécialisés, se définissant, solennellement, comme un pur cartésien loin de toute religion et de tout ésotérisme.
- - Il y a une vie, oui il y a une vie. J’ai quitté mon corps. Non, je n’avais pas de consistance plutôt. Et je sentais la vie. Je sentais une vie. Je n’étais pas éteint. Une vie aux mille portes, légère. Et, je SAVAIS.
Dante, j’ai vu mourir, de très près, trois personnes. C’était violent. Peut-être moins pour SBelk. Pour elle, c’était en longueur. Elle avait mis trois jours à définitivement partir. Mais, je crois, qu’elle ne sentait pas son agonie. Je crois. Il y a une grosse glissade et après, le mécanisme tire les volets un à un.
Ce n’était pas pareil pour le Pourvoyeur ni pour l’Italien. C’était extrêmement rapide, foudroyant. Je me souviens, j’avais 20 ans, je roulais à une vitesse folle. Et quand je regardai le profil du Pourvoyeur, je lui vis une peau sèche, d’un coup, et tirée et, une drôle de couleur : il avait verdi.
L’Italien, lui, pensa un instant qu’il avait, encore, les choses en main.
- - Attends, dit-il.
Il se rallongea, poussa trois râles, et, mourut.
Cela avait été, a été, terrible. Il y a un tel choc, au premier sens du mot. Les yeux restent longtemps écarquillés et, on fait semblant.
J’avais un œil dans le cerveau, consciente et même inconsciente. Un œil. Pendant des années. Encore aujourd’hui, mais il y a le mérite, immense, de l’auto-mensonge et du témoignage.