Lettre de Claire à Drus
« L’appartement est silencieux. Enest est là-bas. Pas de musique, pas de tintements de glaçons, pas de piano. Je suis seule, je n’ai pas trop le choix.
La fac est loin derrière, ce temps d’idées, de grandes idées, de fougue et de liberté. Belle insouciance. Le temps de la Parole du Corps.
J’ouvre le tiroir de mon bureau et je tombe sur de petits feuillets, une écriture serrée. E et L. Elle et Lui. Nos échanges d’alors.
« Les mots disent beaucoup de choses sous couvert de pudeur et de retenue ».
Je te lis difficilement. Qu’étions-nous en train de nous dire ?
Notre histoire fut intense et courte. Je me la remémore en ce moment. Je suis seule, je te l’ai déjà dit. J’ai beaucoup de vacance. Je vis au rythme de mon égaré.
Je me souviens de ce premier soir au Danemark lors de cette drôle d’expédition. Je n’aurais jamais pensé pouvoir en faire partie. Je l’avais faite guidée par le désir d’aller vers quelque chose qui me paraissait être de l’ordre de la construction. Erreur.
Les feuillets ont été noircis d’une écriture longue, masculine, souvent illisible et le papier a bien jauni il faut dire, depuis le temps.
" Seul Ontos autorise l’élan vrai. Il est toujours du côté de ceux qui se regardent profondément."
Enest était resté sur le campus, il avait ses oraux à préparer. Je lui avais bien signifié que je n’allais pas l’aider cette fois-là. Je me souviens de notre arrivée, des odeurs de Copenhague, des lumières, du port. Du taxi qui avait failli m’écraser. Je savais en partant que quelque chose allait se passer, je ne le voulais pas sciemment. Inconsciemment, oui. Chez moi, il y a toujours une guerre entre le conscient et l’inconscient et seul ontos arrive à intervenir quand j’oublie de baisser la garde. Et ce qui ne devait pas arriver arriva.
Pourquoi reviens-tu déjà ? Suis-je une réminiscence du passé ? J’ai une histoire moi, une vraie avec toutes les complexités que supposent les histoires exceptionnelles. Je ne suis pas joueuse mais bâtisseuse.
Regarde où j’en suis aujourd’hui avec l’égaré.
C’est très compliqué de dire les choses, très. La solitude est difficile, mon édifice est là mais sans âme en ce moment. Je ne peux me permettre de regarder dans ta direction et je ne joue pas à cache-cache, tu me connais.
La plus belle chose dans l’existence est de regarder ensemble l’océan et d’admirer son dynamisme, c’est la définition même d’Etre. Je l’ai vécu longtemps jusqu’aux intempéries, après c’est tard. J’ai bien peur qu’il ne soit déjà bien tard. L’égaré, toi et tous les autres. C’est touffu, je sais. C’est que moi-même, je ne me retrouve plus. Voilà pourquoi j’ai chargé mon conscient de gérer la barque. Celui-là, il n’a aucune pitié et certainement pas d’Ontos. »
Claire, l’amie de toujours.
P.-S : Dans cette existence belle sans nulle autre pareille, il y a des priorités pour moi : la Beauté, l’Etre vrai et l’indétrônable Ontos, une dynamique fougueuse et on ne peut vivifiante. Un ontos bridé et c’est beaucoup de silence. Le Temps est impitoyable, tous, nous le savons.
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