mardi 15 octobre 2019

Nous y serons tous chez nous ...




« La parole n’est pas libre, pas vraiment, même dans les pays affranchis, même chez ceux qui se disent libérés, même chez ceux qui se croient en phase avec la marche du monde.

Il faut dire que le sujet fâche, qu’il est tabou, volontairement occulté. Pourtant, la question est importante et que l’Histoire des Hommes est pleine de délits, de sang et de pogroms. C’est d’une laideur indépassable.

Un ami hurle sa peur et sa déception du nouveau président de son vrai pays, il craint fortement de ne plus y revenir. La déclaration du nouveau président incrimine Israël et il crie sa colère, sa grosse colère : 

-       - Je suis juif, sioniste, israélien et tunisien, clama-t-il.

Je ne suis pas une supportrice de KS, je suis même totalement opposée au programme politique qu’on lui prête. On le dit conservateur et je ne suis pas du tout adepte de passéisme et de prétendus âges d’or toujours situés au passé. Non, le dynamisme est inscrit dans le processus même de l’existence. 

-     - Tu es sioniste C. ? Qu’entends-tu par sionisme ? Je croyais que comme beaucoup d’entre nous, tu étais plutôt militant du vivre-ensemble ?

Un pied dans la fourmilière, le feu aux poudrières, le sujet explosif, l’omerta brisée … Les réseaux sociaux, ce n’est pourtant pas ma tasse de thé. D’ailleurs, un ami, des deux bords lui aussi s’éclipsa avec un « bonne journée » plein de sous-entendus. 

Tous les soldats accoururent, surtout ceux qui ne comprirent rien à l’échange. Réactions rapides, agressives, offensives, insultantes. Plusieurs me conseillèrent de consulter le dico. Voilà le vrai sens du sionisme, tonnèrent-ils. 

Le vivre-ensemble ? Vivez à Aubervilliers, vous en aurez une idée …

Je ne m’attarde pas sur les réactions épidermiques, ça fait pschitt. Je ne supporte pas le tabou et même si le but n’était pas du tout de provoquer CP, je voulais tout d’abord vérifier le propos. 
Par la suite, je mis le sujet au cœur du « débat ». C. est tunisien, un amoureux transi de son pays natal, un homme heureux mais qui angoisse vite fait, il me semble du moins. Ou peut-être ou même sûrement que le contexte régional et mondial favorise les peurs. 

La peur est la pire des maladies et son remède est la parole, une catharsis nécessaire, une purgation des passions. Et, là même, où je suis avec C. et la cohorte d’intervenants qui attaquent sans rien savoir sur l’interlocuteur, ses positions, son activisme, son discours, son être pensant, son être profond.

"Je dégaine, je tire " et ça pleut des poncifs de toutes parts selon le goût de chacun. Je sais les réseaux sociaux ne sont pas des lieux de débats réfléchis et mesurés et c’est même souvent là où s’extériorisent nos peurs et nos faiblesses.

J’aurais plusieurs choses à dire pour que le propos ne soit pas ambigu et pour éviter les raccourcis qui déforment.

Si le sionisme signifie, aujourd’hui, tuer, emprisonner, arracher, détruire et occuper, c’est qu’il s’est bien éloigné de sa définition de base. Tous les peuples ont le droit de vivre chez eux, d’avoir un chez eux, de cultiver leurs terres et de protéger leurs enfants. Si nous remontons au siècle passé, si nous observons certaines réactions, je pense notamment à celle de Freud mais aussi à celle de Fred Ulmann, qui étaient tous les deux très réservés par rapport au choix de l’emplacement du foyer juif comme on l’appelait à l’époque, je subirai un courroux sans précédent. 
Cela ne me fait pas peur. Mais je suis animée d’un intenable désir de paix et d’harmonie et je rêve depuis mon adolescence d’une vie sans bruit dans cette région du monde si chaude où les trois religions pourraient coexister. Même si c’est précisément à cause des religions que les choses se passent si mal ou à cause du statut de primauté qu’on prête aux religions. 

Parce qu'aujourdhui, l’Histoire, le conflit du PO - qui a plus d’un siècle, - parce que le dynamisme de la pensée bâtisseuse nous acculent au compromis, l’urgence depuis bien des décennies est d’arriver à une issue de la crise. A une vie digne de part et d’autre, à un respect réciproque, au dépôt des armes, à la cessation de la guerre, à l’échange humain et humaniste, à l’entraide. Non, ce n’est pas utopique.

A ce propos, la ligne politique de Jean Daniel, fondateur du Nouvel Obs et observateur averti du XXème siècle est à saluer. Le vivre-ensemble était son vœu, martelé, expliqué, défendu, démontré. 
En mai 63, au côté du président Ben Bella dans l’avion qui les conduisait d’Alger au Caire, survolant un désert immense et inexploité, Jean Daniel dit : 

- « Toutes ces terres inexploitées et on se dispute en Palestine pour un tout petit pays, il y a de la place pour tout le monde. » 
C’était sa manière d’évoquer prudemment Israël. Mais les Arabes étaient malentendants et le nationalisme à son apogée électrisait les peuples. 

Bourguiba, lui, dans son discours à Jéricho, en mars 65, comprit la nécessité d’emprunter la voie du compromis et d’accepter la proposition des Nations Unies d’une Palestine divisée en deux États. Un visionnaire et un personnage historique qui savait composer avec l’Histoire. 

Quel est l'intérêt de rappeler ces épisodes de l’Histoire, 55 ans plus tard ?

L’implication de l’Occident et tout particulièrement des Britanniques, l’incapacité des  acteurs politiques internationaux à savoir composer avec l’Histoire, par la suite. Le conflit du PO, aggravé, aujourd’hui, et nourrissant le terrorisme à l’échelle planétaire. Hostilités silencieuses entre citoyens d’un même pays pour des motifs religieux. Pourtant le Maghreb a réuni toutes les communautés - un mot qui m’horripile parce que séparatiste – sans que cela ne soit un motif de division et encore moins de guerre.

Aujourd’hui, l’Ile des Lotophages, la douce Djerba, est la terre des juifs, des Arabes et d’autres ethnies probablement. Les juifs sont ses habitants les plus anciens, pourtant, ils ne réclament pas l’exclusivité. Ils y vivent aux côtés de leurs concitoyens et si cette harmonie venait à être un jour ébranlée comme l’est C. aujourd’hui, il en sera fini des Hommes et de l’humanisme.

Le vivre-ensemble, une obsession pour beaucoup d’entre nous, un objectif, un militantisme de vie finalement. 
Un ami juif à mon géniteur se donna la mort rongé par sa belle judaïté d’un côté et sa passion des relations humaines heureuses de l'autre. Quand il fit son alya, il trouva dans l’eldorado qu’on lui décrivit des réalités laides et beaucoup de brutalité. 
Lili juive mariée à un musulman athée dut changer de nom et de religion par amour de son homme qui ne lui demanda jamais rien et qui détestait les religions, probablement pour se rapprocher de la belle famille. Tous les samedis, elle avait un pincement au cœur bien que pratiquante musulmane pour suivre les deux religions, vers la fin de sa vie, dans un excès d’émotivité qui l’emporta.


Le vivre-ensemble est l’unique choix qui se présente aux hommes, la seule solution au terrorisme aveugle, à la violence et à l’extinction de la race humaine. Pour mériter du genre humain, il faut être animé de cette motivation ontologique. Pour moi, ce sera l’unité de l’être et le bonheur possible des Hommes.

L’horreur de la seconde guerre mondiale, les camps de concentration, les camps d’extermination, les pogroms, la Nuit de Cristal en 38 sont des inventions occidentales. Une page d’Histoire cruelle et laide, pourtant aujourd’hui, une recrudescence de l’antisémitisme est visible en Europe et en Allemagne tout particulièrement. De même, il me semble important de rappeler que le terme antisémitisme s’applique aux sémites, juifs et arabes, et que le simple fait de réquisitionner la signification du terme à un seul camp est en soi un séparatisme.

A cette laideur du monde, à ces atrocités qui se répètent ça et là, en Syrie, au Yémen, ailleurs, à ce conflit délibérément insolvable du PO, aux exactions commises par l’armée d’Israël sur les enfants, sur la nature et les arbres, il n’y a qu’un seul combat à mener encore et toujours, celui du vivre-ensemble et des moyens pour y parvenir. 


La Tunisie ne sera jamais une terre de rejet et certainement pas de ses enfants et c’est par la conscience, par l’humanisme que les choses se feront. Nous y veillerons, alertement. Le nouveau président tunisien, que je ne connais pas encore, mais à qui j'accorde le bénéfice du doute, évoqua l'amitié qui liait son père à celui de Gisèle Halimi, qu'il protégeait des Nazis au quotidien et qu'il déposait à vélo à l'école. Cette narration au soir de son élection est porteuse de signification. J'aime le penser. "

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