lundi 30 décembre 2019

A l'Encre du désir, III








J’avais peut-être 17 ans, quand lors d’une boum, je m’approchai d’une jeune fille de 15 ans, peut-être, je ne le savais pas à l’époque. Une jeune fille toute frêle, je me souviens. Je n’ai plus les détails aujourd’hui. Elle me plut. Nous eûmes juste le temps d’esquisser un slow. Ce qui était énorme à l’époque. Dans les années 80, tout se nouait sur les plages le matin, c’est-à-dire à midi. Ou le soir, dans ce qu’on appelait les boums, et, ça faisait souvent boum dans les cœurs.

Je ne sais s’il eut de l’amour à ce moment-là, c’était fugace de toute façon, mais il y eut une attirance sûrement. Je la retrouvai bien plus tard en famille et nous eûmes de tout temps de la vive sympathie l’un pour l’autre. Nous nous croisâmes de près durant presque trente ans. Je suis plutôt beau, soigné voire très soigné. Je crois savoir que mon sourire est agissant et elle était à mes yeux un modèle de femme admirable. Un soir, lors d’un dîner, j’eus une joute intellectuelle avec son compagnon. Que lui trouvait-elle ? C’était un homme, certes, mais, je voulais saisir par mes propres décryptages, ce qu’il était. C’était l’époque où tous disaient qu’elle était malheureuse. Et elle le fut, je crois savoir aujourd’hui, durant quelque temps.

Pourquoi m’étais-je arrêté au slow ? J’étais trop jeune, bien évidemment et je prenais mon envol. Je suis le troisième fils d’une famille de la classe moyenne. De la classe des instruits besogneux et honorables. Je reçus l’éducation d’une maîtresse d’application, Mie, une maîtresse-femme forte et mesurée. A partir d’elle, j’appris à respecter toutes les femmes et je n’en suis pas peu fier aujourd’hui. Mon père, un très beau chevalier de la race des Amazs, était un haut fonctionnaire de l’administration des Contrôles. Rigoureux, il nous apprit à nous construire et fit de ces quatre fils, des hommes solides, responsables de leur existence. De ce côté-là, je suis tranquille, pesé, entreprenant, équilibré et, aujourd’hui, aspirant à retrouver la fougue timide de mes 17 ans. C’est ardu. Parce que Satiane est compliquée, psychorigide, quoique d'une sensibilité extrême. Mais je sais que j'ai réussi à faire re battre son coeur. Sur la pointe des pieds. Tacticien, j'avoue.

dimanche 29 décembre 2019

A l'Encre du désir, II







A chacun son lot de chagrins, à chacun son lot de bonheurs. Et moi je réfléchis : Pourquoi notre perception du beau, du bon, de l’heureux, est-elle fugace ?

J’aime, aujourd’hui et, je suis encore beau. Je ne suis pas sûr que l’on soit très jeune à mon âge. Quelquefois, ça grince comme chez tout le monde, mais mon cœur est prompt, juvénile et curieux. Je m’appelle Salvator, j’ai six décennies, ce n’est rien et je m’empresse d’aimer. 

Le corps est très important pour nous les hommes et tant qu’il fonctionne à peu près normalement, notre rire est éclatant. Et en plus, elle me l’a dit : tu as des perles et non des dents. Et j’avoue que mon hygiène buccale et l’esthétique de mon sourire me conviennent très bien. 

L’autre fois, dans son espace, je fus attiré par un tableau et elle me dit en accompagnant le propos de petits cercles tracés dans l’air avec son index : La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur. Je suis technicien moi, tacticien, un pro de mon domaine, mais c’est avec de petites choses de ce genre que l’on tombe en passion.

Ai-je eu le même effet sur elle ? J’attends toujours d’en être certain, comme au début.

A l'Encre du désir, I




Peut-on dire que j'espère une nouvelle jeunesse ? Je ne sais pas. J'ai soixante ans et je suis amoureux. Sauf que mon coeur, lui, a son âge à lui : le même depuis toujours. Je refuse de me soumette aux diktats sociaux et aux limitations imposées. Je veux vivre, mais à vrai dire, je suis un conformiste.


- Qu'est-ce que je représente pour toi ? lui demandai-je.

mardi 24 décembre 2019

Le soir du rouge pourpre ...



Le passé lourd, traînant, têtu, pesant, resurgit au détour du fortuit.
Il se réinstalle et agit,
Le soir écrase souvent, 
Et de le faire déguerpir est ardu.
Pourtant c’est le soir du rouge pourpre.

Demain est à-venir,
Demain, je siègerai.

dimanche 22 décembre 2019

Décembre de mon coeur




Ce décembre béni des hommes, aux odeurs chaudes de cannelle, de miel chaud, de noisettes torréfiées, d’anis … Ce mois de clôture que l’on aime parer de rouge, d’or, d’argenté, de pétillants et de lumières. Ce mois de café chaud, de thé aux fruits rouges que l’on supplie bellement d’annoncer du beau, du bon et du joyeux. 

Nous fêtons tout et nous en inventons d’autres : des fêtes, du rire et des tablées. Parce que rien ne vaut le rire et le partage. Libres, ce sont toutes les fêtes, plus nos inventions. 

Les traditions ne veulent rien dire, elles peuvent même être dangereuses quand on y croit beaucoup. Rien ne vaut la légèreté, les airs du bonheur que l’on peut tisser nous-mêmes. 

Les religions divisent, ce sont des mythes, il faut savoir construire son humanisme loin des diktats intentionnés du passé lointain. Les politiques et les théoriciens s’amusent de vous, de nous. Ce sont de fieffés menteurs et Ici tout est gestes d’Hommes. 

Voilà pourquoi, toutes les fêtes sont les nôtres. Voilà pourquoi la seule vérité est l’Homme et son Œuvre de vie.

L’Existence est amour, gestes vers l’autre et Art de nos dix doigts, de notre entendement.


                                                
                                               

samedi 30 novembre 2019

Il faut veiller au retour du coeur battant ...






Un goût de finitude au bout de la plume. C’est la tragédie d’Enest, l’assassinat, le suicide. 

Comment peut-on aller à de telles extrémités ?

C’est la perte de tous les repères personnels, sûrement. La perte de la paix intérieure si vitale, qu’elle soit régulière ou intermittente. La perte de quelque chose de fondamental dans la maîtrise de soi. Le suicide est difficile pour les rationnels qui peuvent être suprasensibles et qui sont en permanence en guerre contre tout débordement intérieur.

Enest n’est plus, il l’a fait, il a hâté sa fin, il ne souffre plus, cela ne lancine plus. Il a décidé de ne pas achever sa traversée naturellement. Il a décidé d’avoir une incidence sur le cours des choses douloureuses très certainement. C’est triste. C’est bête aussi ou peut-être pas. 

Pour durer, il faut veiller au retour du cœur battant, de l’éclat de l’iris, du rire truculent. Ce n’est pas facile mais cela aussi s’entretient.

Cette traversée insondable, prenons-la à bras le corps, c'est le prix de la guerre. Non à perdre deux fois.

lundi 25 novembre 2019

Appendice, Eva.




                                                          

                      Crédit photo Sam Sehili Z



"Je savais qu’il n’avait plus le contrôle de sa personne. Peut-être ne l’a t-il jamais eu. Je ne sais plus. Je me demande si j’y suis pour quelque chose parce que mourir si jeune est insupportable. Mettre fin à ses jours parce qu’on ne se comprend plus, parce qu’on n’est plus écouté. Comment écouter les bouffées délirantes ? J’aurais dû essayer, j’avais essayé. Nous ne pouvions plus avancer, nous ne pouvions même plus être. Il était déjà mort les quatre cinq derniers jours. Il ne parlait plus, regardait au dehors sans regarder, ne se sentait plus. C’est la fin d’une existence, une fin inattendue. Il faut laisser à l’autre sa liberté. Vivre à deux est une invention utile mais elle mutile. Enest est un mutilé de son père, de moi et de lui-même. Je ne culpabilise pas. Je resterai calme, je suis une femme insupportable de stature. Toujours debout, toujours réfléchie, toujours en besogne. Je porte cette tragédie en moi et j’avancerai plus, j’avancerai parce que je n’ai pas le choix et que je préfère de toute façon m’inscrire dans le dynamisme. C’est trop tôt pour dire tout cela ? 
Non, je suis vraie et je refuse de mentir.
L’Existence, l’existence, c’est aimer et construire. J’ai aimé et j’ai construit. Toi aussi Drus."

Claire

« Je t’aime à ne plus dire, à ne plus mourir. Je t’aime parce que je suis emplie de vie. Et parce que la Vie est notre seul vrai bien ».




Sam Sehili Z, Auteur.

dimanche 24 novembre 2019

Eva, fin.






Sordide spectacle sur les toits de Paris. Pourtant c’était un jour comme les autres mais les autres -  les personnes, entendons-nous - c’est tellement ramifié, cela va dans tous les sens.  

Une après-midi, même pas une nuit. Un temps assez doux pour la saison et un petit soleil jusqu’à vers 16 heures.

On n’entendait que le bruit des pas sur les marches qui craquèlent depuis plusieurs années. C’est l’arrière d’un immeuble mais l’entrée était la même pour tous. On traversait une cour intérieure pour accéder aux chambres des toits. Un escalier en colimaçon un peu raide pourtant tellement empunté. Le colimaçon du désir et de l’ardeur, les lattes des marches qui bougeaient sous les pieds parce que rien n’arrête la frénésie. Que d’hommes de tout âge s’étaient faufilés là, guillerets à l’idée d’être là-haut. Le désir est vie et la vie est plurielle. D’aucuns diraient qu’il s’agit là de misère, c’est tellement facile de lâcher le couperet. Juger, le Grand chapitre de l’Histoire des Hommes, le plus violent et le plus coupant, le plus bête aussi.
Le colimaçon du rire secret avant de rentrer chez soi ou encore le lieu de toutes les débauches et de tous les vices autorisés car gratifiés de pièces trébuchantes.
La chambre des toits des jeunes apprentis de la chair qui en ressortaient mains dans les poches et épaules rieuses.

Il y avait pas moins d’une vingtaines de gars, des gris anthracite de la Police des moeurs. Ils montaient, descendaient, remontaient, redescendaient. Quelques techniciens et un légiste. 

Trois cadavres dans une minuscule chambre de bonne. Deux sur le lit et un à l’entrée. Du sang partout sur le matelas, du sang au sol autour du corps inerte de l’entrée.
Il les exécuta alors qu’ils étaient de toute évidence en plein ébats amoureux ou plutôt sexuels. C’est quand même différent. 
Sur la table de nuit des billets, dans le tiroir aussi, des liasses, probablement la recette de plusieurs journées de travail. Cela ne laissait pas de doute sur la profession de la pulpeuse brune. Elle était au-dessus de l’homme qui ne devait pas avoir plus de trente ans et toute sa chevelure était en sang. Le coup visa la nuque et elle dut mourir sur le coup. Le jeune homme avait été tué immédiatement après et ses yeux froids grands ouverts disait tout son ahurissement. L’expression n’a même pas eu le temps de s’achever. Le tueur avait tout l’air d’un monsieur du grand monde et la police se demandait ce qui avait bien pu le pousser à cette extrémité-là. Il ne se rata pas non plus et l’énorme trou à la tempe fit gicler beaucoup de sang. 
Un suicide brutale, un crime passionnel, une pute de chambre de bonne, un jeune homme prit d’assaut par une plantureuse femme qui connaissait bien son métier et le faisait avec dextérité. Tout le spectacle qui s’offrait aux yeux de la police, des différentes polices.

Enest a décidé qu’il en sera ainsi. En réalité, il ne décida rien du tout, il n’en était même plus capable. Claire n’a plus voulu l’écouter, elle répétait toujours la même chose : 

-        - Tu te perds Enest, tu te perds.

-      - Non Claire, tu ne peux pas comprendre, tu ne veux plus comprendre. Tu m’ignores, tu n’es pas sensible à mon histoire parqu’Éva est une catin du Mogador. C’est une femme et elle est indispensable à ma vie tout comme toi. Et tous ces hommes alors ? Que crois-tu ? Ils en sont fous eux aussi. Je les ai vus. C’est insupportable mais elle est divine. C’est sa profession, c’est dur, mais c’est sa profession et elle dit l’aimer.Tu ne veux plus m’écouter Claire, tu ne veux plus.


Qu’est-ce qui fit d’Enest le détraqué qu’il était progressivement devenu ? Qu’avait-elle de si fou cette Éva ? Une catin des rues de Paris trouvée un soir d’angoisses adossée à une lanterne à ausculter ses ongles. Une rencontre en somme anodine mais qui bouleversa quelques vies. Les angoisses ? Le désir ? Le dépassement de soi ? L’insatisfaction ? Ces sens tout faits, véhiculés, par les géniteurs par la société et en mal de dynamisme réfléxif ? 
Ou alors Claire et sa rigueur et sa trop grande implication en tout. Ou encore Enest, lui-même tout simplement, qui s’était exprimé un peu tard, qui suivait jusque-là.

Un homme à textes pourtant mais c’était encore le désir de Claire. Le père d’Enest s’était trompé, il lui avait prédit une carrière de pompiste parce qu’il était dysorthographique. Le voilà meurtrier. « C’est bien ça, papa ! »

Une histoire parmi tant d’autres où les zones d’ombre sont tenaces, où la volonté du Scribe s’exprime parce que les enchevêtrements sont multiples et que l’humain est, à un moment de sa vie, d’une fragilité telle que la fin en est simplement aberrante.

La rue Mogador ne pleurera pas Éva, il y en aura d’autres. L’appartement de Claire et d’Enest du haut de sa sublime élégance était dans un silence de mort. Un jeune inconnu a été exécuté à un moment de perte charnelle où une  péripatéticienne à la rare dextérité le chevauchait. 

Il faisait tellement froid dans les cœurs que la vue en était estropiée.





jeudi 21 novembre 2019

Eva, XXXI






Lettre de Claire à Drus

" Cher Drus,

Merci de ta lettre et merci de ton aide. Enest est tous les jours un peu plus perdu, il devient fou. Je n’ai plus de prise sur lui et il est dans un tel état que j’entrevois le pire.

Cet homme est le mien. Peut-être que je n’ai jamais vu en lui que celui-là que j’ai construit moi-même. Peut-être qu’il ne me convenait que quand il cadrait avec ma vision du monde, des hommes et de l’art.

Peut-être que je n’ai jamais considéré sa liberté à lui.

Je me demande Drus s’il est encore temps de sauver ce qui reste à sauver. Lors de sa dernière visite, il était tenaillé par quelque chose de très fort. Il n’a pas dit un seul mot et il avait la mâchoire crispée, les doigts violacés tant il les serrait. Il était resté à la porte-fenêtre tout l’après-midi, perdu dans ses ruminations. Je ne peux plus rien pour lui, il est inaccessible, comme happé par une malédiction. Il est fou de cette péripatéticienne, il se découvre des penchants nouveaux, son attitude est folle et son inconscience insupportable. Un égaré Drus, un véritable égaré.

Je suis dans l’introspection aujourd’hui, totalement. Enest était une passion, la passion d’une construction de l’homme et d’une vie. C’est cela l’amour au final, l’amour de soi et de ses obsessions. Je m'étais tant aimée.

Toi aussi, tu m’aimes ainsi, tu me crois parfaite. Je le suis égoïstement, égotistement. Enest, ma vie avec Enest, se faisait selon mes délires à moi : le Beau, le Beau et encore le Divin. Il était dans une cage faite de brillance : les miennes. Et voilà qu’en bas de chez nous, il rencontre une catin de trottoir et il en tombe fou. 

Drus, pourquoi je n’ai pas avancé avec toi ? Il y a des raisons, bien sûr. Pourquoi je n’ai pas ta paix aujourd’hui où j’en ai le plus besoin ? Pourquoi n’ai-je pas le droit de prendre à mon tour même si je ne peux cesser de donner ? Une femme forte, une femme de pouvoir est une femme de désirs aussi et tu le sais. J’ai tellement besoin de te serrer dans mes bras, j’ai une telle peur Drus, tu n’imagines pas. Besoin de paix, de pondération, de présence Drus. Mes urgences de l'heure.

Mon enfant se meurt. Et je ne sais plus endiguer. Je l'ai fait plus qu'il ne fallait et je crois qu'il ne le fallait pas, par respect de la liberté de l'autre. Mais il en a bien profité, longtemps d'ailleurs. Je ne le connaissais pas au final à forcer de ne regarder que mon petit moi.

Avec toute ma gratitude Drus de Lumière, merci de me permettre de m'épancher.

Claire, l'incertaine aujourd'hui. »


mercredi 20 novembre 2019

Le Fou d'Éva ... XXX




- Claire, Claire, j’étais arrivé au mauvais moment, la porte était entrouverte, elle l’avait laissée exprès, pour moi, je le sais, pour rire après. Elle avait senti ma présence, je suis persuadé, et elle faisait tout pareil. Ce n’est pas du travail, c’est tout pareil, tout pareil. J’aurais dû partir et je suis resté et elle l’a vu et elle riait. Elle riait à en perdre le souffle. La tête renversée, sa chevelure touchait le type, elle dominait comme toujours.

    Claire, Claire, je deviens fou, fou de satan, satan en femme, si tuante. Tu ne peux pas comprendre, elle est juste impossible. Je n’en peux plus, je veux rester tout près d’elle toute la journée, tout le temps, ne rien faire d’autre que la voir nue, regarder ses cambrures, sa nuisette qu’elle met à même la peau. 

Que m’arrive-t-il Claire ? Je regrette, je n’ai jamais aimé comme ça, on ne m’a jamais aimé ainsi et je sais pas si elle m'aime.  Je regrette Claire, je regrette. Tu es la seule qui devrait comprendre, fais l’effort s’il te plait, j’ai besoin d’être compris. C’est vrai, tu n’es pas un homme mais tu es forte. Et tu m’as toujours soutenu, tu as toujours tout fait pour moi. Tu es sensée toi.

Eva est en moi, dans ma tête et sur ma peau. J’ai son odeur sur mes paumes et tout mon être la veut. C’est la femme de tous les hommes et je veux la posséder. La posséder jusqu'à la lie. Je veux comprendre Claire, cette femme est troublante. Suis-je un enfant de cette femme ? Un enfant dont elle s'amuse ?



samedi 16 novembre 2019

Aimer à l'encre du Beau, Eva XXIX







Eva XXIX

Il ne se rendait même pas compte de sa situation. Attendre n’était pas trop son fort et attendre quoi ? Qu’Enest secoue ses puces ? Il était à l’ouest cet après-midi, complètement.
Pour Claire la situation était intenable. Elle souffrait et elle, si experte dans l’art de fabriquer de l’émotionnel et du Beau, se trouvait oisive et incertaine. Et puis Drus qui surgit de nulle part.

Une femme seule, difficile situation. Sans continuité, sans même construction, d’un coup. Elle pourrait juste tendre la main mais une passionnée ne peut se contenter de si peu. Que faire ? Son homme s’égarait et elle ne pouvait, pour l’heure, que regarder. 

Il s’était installé chez Eva mais c’était poreux. Il revenait deux à trois fois par jour chez eux, retournait précipitamment à la chambre sur les toits. Et tout le temps qu’il allait et venait, il se perdait en conjectures : Eva, la terrible Eva, amour, passion ou simplement besoin viscéral d’elle et de son atmosphère ? Il se perdait aussi en soupçons, parce qu’Eva éclatait de rire tout le temps sans raison ou parce qu’elle le voyait fou d’elle et s’en amusait. Elle riait à perdre haleine la tête renversée et, lui, fixait toutes ces parties saillantes de son corps qui tressautaient et dont il avait du mal à se détacher. Eva le feu, Eva le diable, Eva sa catin.

Claire se trouvait dans une situation inattendue, une situation qui lui échappait. Elle aimait son mari et entendait le garder. C’était le sien et elle réfléchissait à comment le secouer, lui trouer le voile qu’il avait tissé de ses mains inconscientes devant ses propres yeux.

Aimer est difficile quand le fleuve tranquille se mue en mer indomptable. Aimer est une preuve d’existence et d’inscription dans le Beau. Aimer est capital pour se sentir vibrer. Mais aimer a des exigences et de les oublier équivaut à se mettre en porte-à-faux avec soi-même. Avait-elle seulement le choix ?


- Tu m’aimes comme tu aimes notre appartement, comme tu aimes Liszt, comme tu aimes tes robes et tes toilettes. Je ne suis pas un chien, lui dit-il, un soir de trouble existentiel.





Lettre de Claire à Enest mais qu’il n’aura pas

« Je t’aime comme j’ai aimé plus jeune parce que tu es beau, beau de cœur et d’esprit et beau comme un homme et un vrai. Ton absence est silence et le silence est mort. Je t’aime pour tous ces instants que je n’ai plus. D’apaisement et de mots, de musique et de Beau, ces instants de mer et de coton. Je t’aime pour cette fraîcheur des dents et du rire et pour cette ondoyance du désir. 
Je t’aime mais je ne partage pas. Je ne partagerai pas. »

Claire














  






jeudi 7 novembre 2019

Eva XXVIII, Comme un adolescent la première fois





Il quitta la porte-fenêtre, se dirigea vers le globe à liqueurs, se servit une rasade de cognac, mit du Chopin, retourna vers la porte-fenêtre. Il n’avait pas touché à son verre et tous ses mouvements étaient irréfléchis. 

Claire gardait le silence, elle estimait qu’elle n’avait pas à meubler et qu’il était entre lui et lui-même. Elle n’y pouvait rien là, et puis, il fallait qu’il se rende compte de ce qui se passait en lui. Elle faisait ses mots croisés et puisait difficilement au fond d’elle la concentration nécessaire, la pseudo concentration. Elle voulait faire montre de sa placidité afin qu’il se rende compte de son agitation. 

 Bonne soirée Claire, dit-il, précipitamment, en quittant l’appartement.

Il pleuvait dehors, un crachin tenace. L’eau ruisselait de ses cheveux à son cou sans qu’il n’y prenne garde. Il se demandait s’il n’était pas très tôt pour aller à la Chambre, s’il n’allait pas se trouver dans l’étroit colimaçon avec un hôte. 

« Mes hôtes », disait-elle. « Ma chambre de galanterie ». « Mon métier est de tous les temps. Nous nous entraidons ».

Enest n’avait rien à répondre à cela, strictement rien. Entendait-il seulement ?

Les odeurs moites de la Chambre l’écœuraient mais il y courrait, les inhibait ou s’y complaisait. Il y avait quelque chose là-dedans qui faisait d’Enest un homme de corps fébrile, avide d’étreintes jusqu’aux larmes et Claire, jusqu’au bout, n’entrevit pas cela. Pour elle, son homme, son enfant, celui-là même qu’elle battit de bout en bout n’avait pas eu sa part de sordide.

Il monta les marches quatre à quatre, trouva la porte entrebâillée, pénétra dans la Chambre chaude, glauque avec une Eva belle à mourir avec son rimmel un peu coulant, sa bouche charnue que tant d’hôtes baisèrent. Elle était totalement nue sous son déshabillé pourpre aérien, et on la voyait entière avec ses courbures vivantes, ses seins pointés, son nombril au parfait arrondi. 

Une Diva de la chair. Eva était légèrement décoiffée et mettait de l’ordre dans sa chevelure. Enest la prit fougueusement dans ses bras sans un mot, l’embrassa goulûment, religieusement et l’aima passionnément comme un adolescent la première fois.