Lettre de Claire à Drus
" Cher Drus,
Merci de ta lettre et merci de ton aide. Enest est tous les jours un peu plus perdu, il devient fou. Je n’ai plus de prise sur lui et il est dans un tel état que j’entrevois le pire.
Cet homme est le mien. Peut-être que je n’ai jamais vu en lui que celui-là que j’ai construit moi-même. Peut-être qu’il ne me convenait que quand il cadrait avec ma vision du monde, des hommes et de l’art.
Peut-être que je n’ai jamais considéré sa liberté à lui.
Je me demande Drus s’il est encore temps de sauver ce qui reste à sauver. Lors de sa dernière visite, il était tenaillé par quelque chose de très fort. Il n’a pas dit un seul mot et il avait la mâchoire crispée, les doigts violacés tant il les serrait. Il était resté à la porte-fenêtre tout l’après-midi, perdu dans ses ruminations. Je ne peux plus rien pour lui, il est inaccessible, comme happé par une malédiction. Il est fou de cette péripatéticienne, il se découvre des penchants nouveaux, son attitude est folle et son inconscience insupportable. Un égaré Drus, un véritable égaré.
Je suis dans l’introspection aujourd’hui, totalement. Enest était une passion, la passion d’une construction de l’homme et d’une vie. C’est cela l’amour au final, l’amour de soi et de ses obsessions. Je m'étais tant aimée.
Toi aussi, tu m’aimes ainsi, tu me crois parfaite. Je le suis égoïstement, égotistement. Enest, ma vie avec Enest, se faisait selon mes délires à moi : le Beau, le Beau et encore le Divin. Il était dans une cage faite de brillance : les miennes. Et voilà qu’en bas de chez nous, il rencontre une catin de trottoir et il en tombe fou.
Drus, pourquoi je n’ai pas avancé avec toi ? Il y a des raisons, bien sûr. Pourquoi je n’ai pas ta paix aujourd’hui où j’en ai le plus besoin ? Pourquoi n’ai-je pas le droit de prendre à mon tour même si je ne peux cesser de donner ? Une femme forte, une femme de pouvoir est une femme de désirs aussi et tu le sais. J’ai tellement besoin de te serrer dans mes bras, j’ai une telle peur Drus, tu n’imagines pas. Besoin de paix, de pondération, de présence Drus. Mes urgences de l'heure.
Mon enfant se meurt. Et je ne sais plus endiguer. Je l'ai fait plus qu'il ne fallait et je crois qu'il ne le fallait pas, par respect de la liberté de l'autre. Mais il en a bien profité, longtemps d'ailleurs. Je ne le connaissais pas au final à forcer de ne regarder que mon petit moi.
Avec toute ma gratitude Drus de Lumière, merci de me permettre de m'épancher.
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