Eva XXIX
Il ne se rendait même pas compte de sa situation. Attendre n’était pas trop son fort et attendre quoi ? Qu’Enest secoue ses puces ? Il était à l’ouest cet après-midi, complètement.
Pour Claire la situation était intenable. Elle souffrait et elle, si experte dans l’art de fabriquer de l’émotionnel et du Beau, se trouvait oisive et incertaine. Et puis Drus qui surgit de nulle part.
Une femme seule, difficile situation. Sans continuité, sans même construction, d’un coup. Elle pourrait juste tendre la main mais une passionnée ne peut se contenter de si peu. Que faire ? Son homme s’égarait et elle ne pouvait, pour l’heure, que regarder.
Il s’était installé chez Eva mais c’était poreux. Il revenait deux à trois fois par jour chez eux, retournait précipitamment à la chambre sur les toits. Et tout le temps qu’il allait et venait, il se perdait en conjectures : Eva, la terrible Eva, amour, passion ou simplement besoin viscéral d’elle et de son atmosphère ? Il se perdait aussi en soupçons, parce qu’Eva éclatait de rire tout le temps sans raison ou parce qu’elle le voyait fou d’elle et s’en amusait. Elle riait à perdre haleine la tête renversée et, lui, fixait toutes ces parties saillantes de son corps qui tressautaient et dont il avait du mal à se détacher. Eva le feu, Eva le diable, Eva sa catin.
Claire se trouvait dans une situation inattendue, une situation qui lui échappait. Elle aimait son mari et entendait le garder. C’était le sien et elle réfléchissait à comment le secouer, lui trouer le voile qu’il avait tissé de ses mains inconscientes devant ses propres yeux.
Aimer est difficile quand le fleuve tranquille se mue en mer indomptable. Aimer est une preuve d’existence et d’inscription dans le Beau. Aimer est capital pour se sentir vibrer. Mais aimer a des exigences et de les oublier équivaut à se mettre en porte-à-faux avec soi-même. Avait-elle seulement le choix ?
- Tu m’aimes comme tu aimes notre appartement, comme tu aimes Liszt, comme tu aimes tes robes et tes toilettes. Je ne suis pas un chien, lui dit-il, un soir de trouble existentiel.
Lettre de Claire à Enest mais qu’il n’aura pas
« Je t’aime comme j’ai aimé plus jeune parce que tu es beau, beau de cœur et d’esprit et beau comme un homme et un vrai. Ton absence est silence et le silence est mort. Je t’aime pour tous ces instants que je n’ai plus. D’apaisement et de mots, de musique et de Beau, ces instants de mer et de coton. Je t’aime pour cette fraîcheur des dents et du rire et pour cette ondoyance du désir.
Je t’aime mais je ne partage pas. Je ne partagerai pas. »
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