"Chacun de nous a une partition à
jouer, lui dit-il.
Et, immédiatement, elle
pensa : pourvu qu’elle soit correcte, ou mieux belle, ou idéalement
sublime."
Le pouvoir dans une république
est vol. Au détour des voix. Le vox populi est un leurre et il n’y a de vrai
que l’accaparation du pouvoir.
Quant aux monarchies, elles ne
sont que discrimination et autorité arbitraire.
De quel droit et au nom de quoi
une caste s’octroie-t-elle le droit de commander aux autres ?
Aux origines du pouvoir royal,
l’usurpation s’est toujours faite par la violence, le sang, le grand nombre, les
lopins de terre et le nombre de têtes de bétail. C’est selon.
Le principe même de la royauté,
qui n’a dans l’absolu, et aussi loin que l’on puisse remonter, aucune légitimité, ce principe, donc, est fondamentalement sanguinaire.
« Je suis plus fort que toi,
je possède plus que toi, j’ai à ma solde une horde que je nourris, je suis donc
en droit de te commander, de t’écraser, de te faire taire ou, s’il y a sédition,
de te tuer. »
Juillet 2018, Tunis, Tunisie.
La Tunisie d’aujourd’hui, à
maints égards, politiquement, vous fait saisir, pour peu que votre regard soit
acéré, toute la laideur de la prétention au pouvoir. Les lendemains d’une
Grande émeute appelée assez rapidement révolution. Conséquent.
Si le pays tente de mettre en
place une vraie démocratie tant bien que mal, si le pouvoir est globalement entre
les mains de deux factions amies-amants-ennemies - plus chez l’une que chez
l’autre – et bien que la société civile
soit aux aguets, bon nombre de dépassements existent sous des allures pseudo
légales. Des dépassements motivés par l’appât du pouvoir.
Ainsi en va-il de HCE, fils du Président de la République et de tous ses suiveurs, ou ses mentors ou
encore ses supporters, des individus d’utilité politicienne peu éthique :
barbouzes, nostalgiques du parti unique, hurleurs, des Goebels du deuxième
millénaire, des richissimes blanchis …
Et pourquoi pas, a-t-on entendu,
puisqu’il aime la politique ?
Ne devrait pas aimer la politique
qui veut. Sinon Bahri Je-ne-sais-quoi aussi, avec son slogan phare, le
mariage des mineurs de 12 ans.
Sinon le hold upeur de l’argent
libyen.
Sinon bientôt Le Maaloul
national.
Sinon tous ceux qui n’ont pas de
métier aussi mais qui disposent de tous les bandits de leur localité.
Et puis, il y a les nostalgiques
de l’Histoire. D'autant que les belles idées agitées en ce moment ou depuis un temps déjà, leur sont sympathiques.
Il est vrai aussi que l’heure est
à l’interrogation de l’Histoire. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ?
Sommes-nous des Arabes ? Qui était Bourguiba ? Était-il un libérateur
ou simplement un exécutant à la solde de l’Occident ?
Bien entendu, les
thèses complotistes, toujours au rendez-vous, ont afflué. La franc-maçonnerie,
Satan, les illuminati et autres grotesqueries.
Les adeptes de la monarchie
reprennent du métier et, selon leurs
dires, uniquement pour réparer l’Histoire, faire valoir les réalisations du
beylicat et reconnaitre son amour du peuple. Il y eut quelques rares monarques
réformateurs, ce n’est pas faux. Mais quand le principe même de la monarchie
est irrecevable, c’est presque peine perdue. Et ce ne sont pas les 250 ans de
règne qui vont y changer quelque chose.
Maintenant, l’Histoire doit pouvoir
rendre compte des réalités du passé mais nous convenons tous qu’il y a
plusieurs histoires avant d’arriver à La plus objective.
Les adeptes du passé monarchique,
avec lesquels il y eut quelques échanges récemment, avancent des arguments
biaisés et peu consistants quand ils ne sont pas complètement subjectifs et futiles :
« les bijoux de famille, la
déposition de feu Lamine Bey et les conditions de son exil, sans vêtements de
rechange, sans jugement, jurer sur le Coran et trahir, « nos biens »,
sacrifier une dynastie en 57 alors qu’elle évoluait … »
La douleur des descendants de la
première ligne est compréhensible mais ce n’est pas l’Histoire plutôt le deuil
familial. Et aller jusqu’à avancer que la non-reconnaissance des bienfaits du
beylicat doterait la Tunisie de « trois millénaire d’inutilité » est
du pur Grotesque.
L’Histoire exige de nous de l’objectivité et que de
l’objectivité, chose difficile certes mais de première et d’incontournable
nécessité.
Les politiciens sont des
briscards, voilà un pléonasme ! Des roublards, des criminels potentiels …
Depuis quand fait-on dans la dentelle en politique ?
Un bey qui dépose son
père, un frère qui fomente contre son frère au pouvoir, un neveu qui tue son oncle – Hussein ben Ali en l’occurrence
- une épouse qui s’apprêtait à évincer son époux … Ou encore, dans le détail et
en république : les écoutes
téléphoniques sous Mitterrand, les emplois fictifs sous Chirac. Et bien plus
loin, en mythologie, l’enfant « aux pieds enflés », de son nom Œdipe qui
fut sorti de Thèbes et donné à une nourrice pour que la prophétie de tuer son
père, de se marier avec sa mère et de régner sur le pays ne se réalise pas.
La
mythologie avec ses innombrables ramifications donne à voir le comportement
humain dans toute sa splendeur mais aussi dans la vaste étendue de sa cruauté.
Oui, les politiciens sont capables de tout
pour s’accaparer du pouvoir d’où la nécessité des lois, les seules à même de
structurer l’homme, de greffer en lui le respect et l’obligation de s’y tenir,
d’autoriser un vivre social possible. Les lois, des textes-phares, des textes
réglementaires incontournables et séculiers, surtout.
Nous tentons, ici, une lecture
objective sans y prétendre plus que cela. Les histoires de familles violentées
sont douloureuses, marquantes mais restent des histoires de famille.
Maintenant, les familles qui sont au
cœur du pouvoir en jouissent en long et en large jusqu’au retour de la
manivelle.
Les beys ont été malmenés,
Bourguiba a, peut-être, été malmené, les proches des Ben Ali aussi : le
prix du pouvoir, après des siècles ou quelques décennies.
La 2ème république a
été celle de la honte, de l’appât, du détournement et du vol ( de l’ignorance
aussi, érigée en programme national, un autre débat possible. ). Sur ce
plan-là, Bourguiba a été intègre et l’Histoire le lui reconnait. Et
aujourd’hui, on se trouve avec trois familles qui demandent réparation mais
réparation de quoi au juste ?
Lors d’un échange virtuel, la
chose fut dite et l’ironie a été mal perçue. Or l’ironie est un procédé de critique
vieux comme le monde et il n’y a qu’à étudier Voltaire et le XVIIIème pour s’en
rendre compte. Et le pire, c’est que les derniers plaignants,
chronologiquement, semblent le plus à même de récupérer « leurs
biens ».
D'ailleurs, ils en sont où les meneurs de la Holding Karama,
chargée de la saisie des biens Ben Ali-T ?
Et cette IVD de la justice
transitionnelle, de quelles façons a-t-elle opérée ?
Pourquoi donc a-t-elle privilégié
certains contre d’autres ?
Et pourquoi, d’un autre côté,
dédommage-t-on ceux qui ont choisi de s’inscrire dans l’opposition et qui se
sont trouvé à un moment ou à un autre face à leurs bourreaux ?
Militer est un choix de vie, un choix
patriotique qui devrait se passer de toute réparation. Sinon, les choses ont
d’autres noms : quête du pouvoir et opportunisme.
Les ramifications de la pensée
nous font ouvrir des portes et des portes …
Interroger l’Histoire est
légitime et surtout nécessaire. C’est le travail des spécialistes. Nous, par
contre, essayons ici et là de donner notre sentiment, notre conception de
l’écriture de la mémoire des hommes et il est crucial de dévêtir son regard de
tous les oripeaux de la subjectivité et de la nostalgie personnelle.
La Tunisie, notre terre à tous, a
une vie mouvementée depuis la Préhistoire et jusqu’à nos jours. D’une
colonisation à une autre, son peuple résiste et on ose espérer aujourd’hui que
cela continue. Des Capsiens à la France, en passant par les Puniques, les Vandales
… les Arabes, les Espagnols et l’Empire ottoman, nous retenons que la
résistance des autochtones a été notable, notamment celle des berbères qui ne
se sont jamais soumis.
Le mouvement nationaliste pour la libération du pays durant
la colonisation française a vite fait émerger un nom : Habib Bourguiba, le
Néo-Destour, l’époque des premiers grands diplômés, Sadiki, Carnot, La
Sorbonne, le Droit.
Bourguiba n’était pas seul mais
il a vite pris le monopole et, ensuite, il refusa tout nom à même de toucher à
son leadership. Le personnage était fougueux, insolent, arriviste, courageux de
ce courage et de cette témérité de cette époque-là.
Dernier né d’une fratrie de huit
enfants, de famille fort modeste, les ingrédients du génie somme toute et du génie,
il en avait. Ses 20 glorieuses vont de 55 à 75 avant la maladie, l’amour épique
et passionné de la patrie, la détestation des rivaux, le culte de la personne, l’entourage
véreux, les manipulations de toutes sortes … La fin du règne de HB fut
lamentable, l’épouse, la nièce, l’omerta …
Bouteflika, aujourd’hui, et tout le
ridicule pendant au nez du peuple.
Mais Bourguiba fut un homme de
principe et un intègre pur. Il rabroua tous ceux qu’il sentit d’instinct peu
enclins à l’exercice du pouvoir, son fils compris.
A-t-il trahi Lamine Bey ? Bien
entendu. La politique est d’abord cela.
Voilà un jeune avocat téméraire et rusé
craint par le colon à la tête du Néo-Destour qui ne lâche pas prise et qui est
foncièrement hostile à la colonisation. Lamine Bey le considérait comme un fils
mais la politique n’est pas une affaire filiale. Et puis Lamine Bey qui était
un monarque foncièrement honnête, depuis son refus d’accéder au trône, à l’éloignement
de Moncef Bey, à son rapprochement des membres du Néo-Destour et, jusqu’à la fin
de ses jours, n’était pas non plus un bey fougueux.
Sa nature première, les
conditions de son intronisation en 43, le fait que sa tâche s’est souvent
limitée à l’apposition de son sceau sur les textes de loi, les défenseurs du
Moncéfisme, Moncef Bey lui-même haut personnage du beylicat, son aura, d'autres tenants ... ont
souvent fait sentir à Lamine Bey qu’il n’était pas légitime.
Il ne se sentit réellement
monarque qu’après la mort de Moncef Bey en 48. Il eut une période de vrai
travail politique quand il se rapprocha des manœuvres du Néo-Destour et grande
a été sa volonté d’être acclamé par son peuple après une longue période de peur
d’être écarté.
Lamine Bey a été, de par son naturel fin et honnête, peu rompu à
l’exercice politique, c’était pourtant un patriote et un vrai. Mais l’honnêteté
ne fait pas l’homme politique. Et puis sa réputation de bey qui ne se déplace jamais,
sa maladie n’ont pas été des facteurs de ragaillardise.
Pourtant Bourguiba
brilla à Paris dans l’exposé de son programme nationaliste de concert avec Lamine Bey qui fut acclamé à Kairouan et à Sousse, ses seuls
déplacements à l’intérieur du pays.
Et R. Schuman, ministre des AE, avec
la nomination de L. Périllier, résident général, en 50, déclare que la mission de ce dernier
est d’amener la Tunisie vers son autonomie interne.
Retour, alors, de M’Hammed
Chenik, le grand visir de Moncef Bey, sollicité par Lamine Bey.
Notons bon nombre de réactions-phare
de Lamine Bey : son refus de lancer un appel au calme lors de nombreux
embrasements de la Tunisie tant que Bourguiba et ses compagnons demeurent emprisonnés
notamment après l’arrestation de tous les ministres du gouvernement Chénik.
Travail avec de nombreuses
personnalités tunisiennes réunies par le bey sur le mémoire des revendications
tunisiennes présenté à La France, jugées insuffisantes, sans réel aboutissement.
Le bey fut d’abord
éloigné du Néo-Destour par le gouvernement français pour finalement ne négocier
les accords de l’autonomie interne qu’avec les Néo-destouriens et à leur tête
Bourguiba …
Bon nombre également de
discernement mais aussi d’erreurs : Signer des décrets parce qu’affaibli, notamment
celui plaçant Slah-Eddine Baccouche 1er ministre en 52, un visir
imposé par la France.
Autre grave erreur : demander à la France d’échanger
le beylicat contre une royauté ( en 54 ) - et donc ne pas autoriser une
souveraineté interne – ce qui, dans son esprit, lui donnerait une bien plus
grande autorité. La France avait déjà écarté Lamine Bey de toutes les
négociations qui se faisaient désormais, à Paris, avec Bourguiba transféré en France de
La Galite en 54.
De même, Lamine Bey n’a pas su
arbitrer les affrontements entre Bourguibistes et Youssefistes qui, pourtant,
venaient souvent exposer leurs vues respectives au Palais de Carthage.
Vieux Monsieur, son discours
était foncièrement paternaliste et ne retenait pas deux fils rebelles qui
opéraient autrement et si Bourguiba s’était, rapidement, affranchi du bey et
avait commencé à réfléchir à un scénario républicain depuis la remise du Nichan
El Eftikhar en 54, nous semble-t-il, décoration reçue en 50, Salah Ben
Youssef, moins intrépide, resta dans l’entourage du Bey espérant évincer
Bourguiba, avant de s’enfuir en 56.
Par ailleurs, faire appel à la France
à chaque faiblesse alors que cette dernière a délégué à l’administration
tunisienne la gestion notamment des forces de police - nous pensons à la
demande faite par Bourguiba pour faire intervenir le 8ème régiment
des tirailleurs tunisiens toujours sous autorité des officiers français dans l’affrontement
qui l’opposait aux Youssefistes - et à partir de là, le refus du Bey de signer
des décrets.
Il nous semble que la fin de la monarchie est visible sur document
avec la non-ratification du Protocole d’Indépendance par Lamine Bey, Bourguiba
considérant la Tunisie indépendante via précisément ce Protocole qui n’avait
pas besoin d’être ratifié ni par le bey ni par La France.
En outre, qu’il fut demandé à
Lamine Bey de quitter les lieux à la 1ère audience de l’Assemblée Constituante, le 8 avril 56, par Tahar Ben Ammar est la marque même de son
isolement et le début d’une série d’exactions à son encontre. A commencer par
la modification des armoiries du royaume.
Le reste est de la petite histoire,
douloureuse pour le bey et ses proches, mais qui revêt un aspect historique aux
yeux de celui qui interroge l’Histoire sereinement. D’autant que le même
scénario a été écrit aussi bien pour Bourguiba que pour les T. Toutes
proportions gardées, du moins dans les détails. Et surtout quant à la nature
des personnages.
Et que feu Lamine Bey ait été le
premier à apposer son sceau – duquel il menaça nombre de fois - sur des décrets non revêtus du visa résidentiel
ou bien qu’il fut le premier à être décoré du tout Nouvel Ordre de l’Indépendance,
ne changea en rien son, désormais, statut de souverain écarté, déchu et malmené par
le fils rebelle, ingrat, arriviste, pressé, bâtisseur, libérateur, politicien
hors pair, violent, novateur, moderniste, dictateur … Un politicien à l’étoffe
des géants.
Soixante ans après l’Indépendance,
on entend dire par un monarchiste de famille et non de conviction personnelle :
« Nous n’avions pas besoin pour nos femmes, d’un modèle aussi occidental
dans un pays conservateur où il faut savoir, pour faire avancer les choses,
adopter la carence des sujets. »
Comme si la liberté est
fractionnable et comme si le changement et, surtout l’avancée, supporte la
vitesse de M. Tout le Monde.
Non, la Femme tunisienne ne sera
plus une monnaie d’échange.
Un bout d’Histoire d’une lucarne
qui se veut objective.