Et cela fut ainsi. Aucun tuteur, ni frère, ni mari et certainement pas l’épicier du coin. La liberté a en elle un dosage de responsabilité qui lui est équivalent et quand on a été portée si haut par son géniteur, on refuse de descendre : toucher les étoiles a quelque chose d’infiniment grisant.
Mia a le coup de barre du dimanche soir. Ce n’est pas la semaine qui vient qui lui fait peur, elle trouve son être et sa réalisation dans le travail et dans le don de soi. Elle donne quatre jours par semaine, de l’ordre, de l’organisation, de la méthode, du savoir et du savoir-faire, des connaissances. Un travail minutieux, de fourmi, au quotidien, à poser des strates une à une, à structurer les êtres aussi.
Persepolis, une projection d’il y a une dizaine d’années, des adolescents et des adultes étaient venus de toutes parts. Une BD adaptée au cinéma, un franc succès. La répression ça ne plaît à personne. L’endoctrinement et la pensée unique, l’horreur pour tous. L’obligation de se vêtir ainsi, de faire cela, de ne pas faire ceci : la perte de sa liberté est un trauma indépassable pour certains sauf militantisme quel qu’en soit le prix.
Mia entend dire que ce matin, des salafistes auraient tenté de porter atteinte à Nessma TV après projection du ledit film.
Salafistes ? Des barbus, enturbannés, portant djellabas et babouches, sacs tissu en bandoulière. Non, ce n’est pas une mode quelconque, ce sont des adeptes d’un modèle de vie d’il y a quatorze siècles, des nerveux de surcroît, qui cherchent des noises à ceux qui voient le monde différemment. Ils ont vu Persepolis ? Mais comment cela se fait-il ? Ils ont la télé, les cables, la parabole, les routers, internet et ça rêve d’antan, du 1er siècle de l’Hégire ? Quelle schizophrénie !
Et puis, Mia se demanda comment ils faisaient avec leur accoutrement sur leurs lieux de travail. A moins que le chômage batte son plein et là, selon elle, c’est à l’économique de s’assumer et d’inscrire les oisifs dans le créneau professionnel. Elle se dit que Bouddha, le Temple du soleil et d’autres recrutent à tour de bras chez les inoccupés.
Je soutiens Nessma, se dit Mia, non que la chaîne lui plaise particulièrement mais par conviction intime : NON à la censure.
Qu’arrive-t-il à mon pays ? s’interrogea Mia. On attaque une salle de cinéma suite à une projection, on squatte l’avenue H.Bourguiba pour une prière collective à même le sol, au milieu de la chaussée, les mosquées sont prises d’assaut par des propagandistes sur le modèle des Rcédéistes, un « Emir » des croyants s’installe dans le Sud et s’entoure d’acolytes, on viole l’inviolabilité des universités à Sousse, des « choses » circulent en burqa dans les centres commerciaux – burqa est-ce un mot arabe déjà ? -, on s’apprête à attaquer une TV, dans le Sud, des barbus donnent la bonne parole et assurent que les voleurs décrochent dès qu’ils leur parlent…Bref, on n’est pas loin de baiser la bague épiscopale, d’être bénis par la baraka de ces proches de Dieu.
Qu’est-ce que cette ignorance, cette barbarie, ce délire de frustrés ? Qu’est-ce que ce retour en arrière, cette atemporalité, cette bouffée schizophrénique ?
Bourguiba né en 1903 a poursuivi des études en France, plus tard il sera avocat et libérateur de la Tunisie avec d’autres, Tawhida Ben Cheikh fut première femme médecin au début XXème, Messaadi écrivain émérite et philosophe camusien et d’autres et d’autres et d’autres. La Tunisie a un-je-ne-sais-quoi qui la fait briller au firmament, nos hommes politiques – en tout cas certains – ont de l’envergure, notre théâtre est de qualité, notre cinéma n’a rien de comparable avec Bollywood ou le cinéma arabe à l’eau de rose. De grands noms tunisiens brillent à travers le monde de par leurs compétences. Nous avons des agents municipaux, des manœuvriers, des journaliers qui triment honnêtement, qui se mouillent la chemise dans la dignité pour gagner leur vie. Admirable Tunisie et ce n’est pas de la vaine autosatisfaction. Il est vrai que Mia est une positive mais il est vrai aussi que son pays ne manque pas de femmes et d’hommes au large potentiel. La révolution du 14 a été belle, rapide, ciblée, efficace. Mia rêve de liberté comme nombre de ses compatriotes, de construction, de modernité et de place de choix sur l’échiquier du monde. Il faudra à l’économique qu’il retrousse ses manches, qu’il se charge de ces égarés oisifs, qu’il en assume la responsabilité, qu’il les enrôle dans le processus économique et le créneau horaire 8h-12h, 14h-18h, qu’il leur garantisse pain, dignité et expression libre et respectueuse d’autrui. Les récalcitrants auront à payer de leurs actes. Les cas pathologiques reconstitueront leur monde dans l’intimité de leurs demeures privées et banniront la télé. A un moment, il faut savoir être conséquent. Car ce qui prime c’est d’abord le respect de l’autre et de sa différence. Car ce qui urge, c’est une solution au chômage. Car ce qui prévaut aujourd’hui, c’est la réussite de la transition. Car l’important dans les prochains jours, c’est le choix d’un bulletin de vote honnête, respectueux de tous, donc démocratique, qui sera tenu de respecter son programme et d’assurer la liberté de chacun. Mia le sait et le dit tout haut, le criera le cas échéant, le 24 si notre liberté est bradée et bien ce sera la responsabilité des pseudo-démocrates qui jouent leur nom, visent le pouvoir et le couronnement, particulièrement Ettakatol et le PDP. Pour Mia, la déprime du dimanche est déjà derrière et jeudi prochain après le travail, elle ira vers ses concitoyens, femmes, hommes et jeunes de tous bords, couverts ou découverts leur expliquer avec des mots de tous les jours que la liberté ne se brade pas.
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