dimanche 30 octobre 2011

Demos cratos


Le jeu démocratique est dur mais il faut en accepter les conséquences. Les irrégularités ? Il y en a eues et la justice s’en occupera. Mais de là à remettre en question les résultats des élections sur tout le territoire et ailleurs…Difficile à avaler. Le peuple a choisi, c’est la dictature de la majorité. Difficile. Sauf qu’il y a une urgence : se relever et se faire entendre.

Il y a, malgré la victoire d’un parti avec lequel les progressistes ne partagent pas grand-chose, un bonheur : nous sommes sur le terrain de la démocratie. Le pays n’est pas à feu et à sang et ce n’est pas rien.

Les démocrates modernistes de tout genre ont échoué, échec variable bien entendu pour les uns et pour les autres. Cet échec s’explique par la victoire du camp adverse.
Comment donc comprendre et à quoi imputer la victoire d’Ennahda ?
Ennahda a été fortement réprimé sous Ben Ali, honni de toutes parts ou presque. Le parti utilise cette répression et se présente comme un parti-martyr en faisant prévaloir cette donne à une époque où El Moussemeh Karim cartonne, c'est-à-dire à une époque où le pathos a de beaux jours devant lui.
Un parti qui s’est propagé tout spontanément sur un regain de religiosité de forme - le voile et la barbe - plus que de fond alimenté depuis des années par les chaînes satellitaires.
Depuis le 14 janvier et l’arrêt de la répression, Ennahda n’a plus la corde au cou, le bâton au dos, un travail de terrain, de porte à porte quasiment a commencé très tôt. L’empathie avec la mouvance est assez rapide, populaire. L’utilisation des mosquées à des fins politiques a fait le reste.
Ennahda est un parti riche, un parti monnayé de l’extérieur mais aussi de l’intérieur grâce à la « zakât », une aumône destinée entre autres, dans le cadre de la responsabilité collective, à améliorer la vie sociale des musulmans. Valeur largement instrumentalisée.
Le parti est également soutenu par les puissances occidentales et notamment les Etats-Unis qui entendent ainsi le maîtriser en le plaçant au pouvoir et parce que le pragmatisme américain a décidé de prendre le taureau par les cornes afin de commencer le réglement de la question islamiste.
La victoire d’Ennahda est une revanche sur les 23 ans de dictature benaliste, d’emprisonnement, de sévices de tous genres. 23 ans d’abêtissement du peuple également, de dégradation du cursus scolaire et de la valeur des diplômes, de découragement de l’éveil et de l’esprit critiques.
Si le parti islamiste a tissé, en douce et sur la durée, un réseau social solide, s’il a continué à œuvrer, les progressistes, eux, ont chômé pendant des années. D’abord, leur discours leur a été très tôt pompé par Ben Ali, grand spécialiste de la récup’.
De même, sachant la répression exercée sur les islamistes, ils n’ont pas vu ou n’ont pas saisi les manifestations extérieures de la propagation de l’islamisme mettant souvent cela sur le compte du pouvoir démagogique des chaines de propagande.
Depuis la chute de Ben Ali et plus précisément depuis le mois de mai, les démocrates se sont démenés, ont occupé le terrain, ont fait valoir leurs valeurs, la peur au ventre et emplis d’appréhension, se sentant plus dans l’urgence de contrecarrer le projet nahdaoui que de rivaliser avec lui tant la menace - à ce moment-là - islamiste se faisait sentir. Sauf que neuf mois sont trop insuffisants pour faire face au géant Ennahda.
Par ailleurs, le discours progressiste - notre discours - a très souvent été élitiste au point d’être taxé de bourgeois – aucun rapport par ailleurs ! – ceci dans le meilleur des cas sinon de mécréant, point qui a été récupéré par nos opposants qui n’ont pas eu à gratter pour faire croire que démocrate équivaut à ennemi de Dieu.

Nous sommes à une époque très superficielle, benaliste à vrai dire et c’est précisément cette superficialité qui a formé nos jeunes. Un mélange de télé-réalité, d’émissions religieuses de charme où l’animateur racole à tour de bras en séduisant à travers un discours où l’humour tient une place de choix. Une époque où le besoin de religiosité se confond avec la superstition, la magie, les confréries ( les « sidi »), où une jeune sociologue ne saisit pas que les cérémonies de sacre des sidi untel ou untel, les « zerda » peuvent constituer un sujet de thèse intéressant tant les connaissances académiques sont coupées de l’expérimentation et de la réalité. Ennahda ne pouvait que proliférer en l’absence de toute opposition de proximité qui est, par ailleurs, et forcément, moins honnête que certaines nées après le 14 janvier (le PDM ), dans la cécité, reconnaissons-le aujourd’hui, opposition moderne, élargie, qui sut dépasser le simple leadership pour focaliser sur les principes de base mais qui ne mesura pas la longueur d’avance, l’impact et le matraquage des enfants égarés d’Ennahda ou du RCD. Nous pensons à ce mystérieux Hechmi Hamdi, docteur apprend-on, qui maîtrise l’art de la communication populiste : animateur, chanteur, bon samaritain, politique, qui tient à lui tout seul une chaîne de télévision qu’il active au four et au moulin.

Aujourd’hui, Ennahda l’emporte, c’est un fait. Les irrégularités, nombreuses, ne changeront pas la donne. Le peuple a exprimé son choix. C’est la douloureuse démocratie. Une douleur que nous nous devons d’accepter. Ennahda se trouve aux commandes d’un pays à genou économiquement et cela n’a rien d’une prière. Ennahda se trouve dans la ligne de mire de tous les observateurs de l’opposition et dans l’attente de la réalisation des innombrables souhaits du peuple tunisien, dans le dépassement de ses frustrations.
L’examen est très dur et il commence.

En outre, le problème islamiste que nous n’avons jamais voulu regarder dans les yeux aura été réglé, les « martyrs » d’hier sont les victorieux d’aujourd’hui grâce principalement à un rejet fulgurant de la dictature offert aux islamistes. Pourquoi le terme « révolte » ? En raison, de la fausseté qui découlera du choix du mot « révolution ».
La victoire des islamistes est une épée de Damoclès : des défis énormissimes, des attentes impossibles, des espoirs donnés démesurément, une inexpérience du terrain politique, une confiance certaine de la part des votants, des schismes intérieurs plus que probables, une ligne politique atrocement difficile : faire taire les durs, faire enrager les démocrates qui ne jurent plus que par la rue, relancer l’économie en promouvant le tourisme…La bourse a "crashé" pas plus tard que le 26 octobre…Tous les regards sont braqués sur Ennahda, de l’intérieur bien évidemment mais aussi de l’extérieur. On l'a entendu.
Les démocrates, eux, ont gagné une chose inestimable, une arme qu’ils se doivent de brandir tous les jours : la liberté d’expression. En effet, nous sommes en démocratie.

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