La Passante de Baudelaire, 2
Et je la revis une deuxième fois. A moins que je l’eusse voulu. Il y avait d’autres cafés dans le coin, mais il me fallait la vue sur mer. Les autres l’avaient aussi, évidemment.
Bref, cette fois-ci, elle était entourée et bien moins austère. Et puis, elle riait. Des rires légers et heureux, rien de très bruyant. J’aimais l’élégance féminine discrète et solide. Par solide, il faudrait comprendre l’élégance naturelle et sûre.
A cinquante ans, je restais un idéaliste et je rêvais de la femme claire, forte et sincère. Aimante aussi. Oui, je péchais par trop de rêves éveillés. Et je crois aujourd’hui que je ne me voyais pas suffisamment.
Elles étaient trois et elle me semblait être la moins expansive. Mon regard, au-dessus de mon journal, croisa celui d’une de ses amies qui eut de la bienveillance polie. Sans plus. A notre âge, pensai-je, on pourrait être plus entreprenants. Nous sommes tous seuls visiblement.
Je rêvais, en homme solitaire, sevré d’affection et d’amour, bombant le torse tous les matins afin de donner le change et d’abord à moi-même.
Cette femme m’obsédait et me vint en tête La Passante de Baudelaire. Il y avait quelque chose de virevoltant, pourtant elle était assise. Mais la première fois que je la vis arriver, elle avait la souplesse et la légèreté de La Passante. Mon journal était ouvert à la même page, je n’en lisais rien et je fis mine d’avancer vers d’autres articles.
A cinquante ans et avec mon vécu, on n’était plus dans la ferveur gymnastique. Évidemment, le corps était important et avait besoin de s’épanouir, mais cette femme à deux tablées de moi m’interpellait ailleurs. Dans le rêve et l’édification, l’art et la créativité, l’architecture de vie. Je sentais que c’était elle et pas une autre, que cela relevait de l’obsessionnel et de l’ardu, mais je lisais mon journal et observait sous cape.
Un Monsieur qui arrivait, alla les saluer, s’attarda quelques instants. Un bavardage de convivialité, semblait-il. Il m’était vaguement familier. Je l’avais à ma droite en oblique et je voulais rester discret. Je ne regardai donc pas et restai plongé dans un article dont le titre m’échappait. Une étude psychologique sur les voix intérieures multiples et variées.
Assurément, la mienne, c’était elle. Depuis trois semaines.
- Comment allez-vous ? entendis-je, à ma droite.
- Hé ! Et vous-même ? répondis-je, chaudement.
- Une éternité !
- Exactly, dis-je, dans un anglais estival.
Pourrait-elle me sauver ? Pourrais-je le faire ? Pourrions-nous faire quelques pas tous ensemble en bord de mer avant le grand naufrage ? Mettre des mots, fabriquer du rire léger et du bout des doigts dessiner l'ineffable ?
Je fis mine de reconnaitre cette connaissance égarée sur le parchemin de l'oubli.
( A suivre )
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