Carthage,
Cabinet de CP et PNL
I.
- Contente de vous revoir.
- Je viens me décharger d’un trop-plein. Comme d’habitude. Même si vous êtes bien moins intelligente que ce qu’il me faut.
- De quelle intelligence parlez-vous ? Il y en a plusieurs. Vous le savez bien.
- Peu importe. J’ai perdu, il y a quelques années, une amie rare. Elle avait deviné mon être profond et je n’avais donc pas pu jouer le jeu qu’il fallait. Elle a laissé un grand vide, des promesses de rire et de bonheurs légers. J’avais triché : je voulais vivre un peu.
- Une amie, vous !
- Oui, c’est bien ce que je vous dis. C’était lors d’une courte période où j’avais tenté de m’approcher du monde.
- Et votre être profond ? Qu’en était-il ?
- Là, c’est une porte fermée.
- Ah !
- Nous sommes nombreux à faire semblant et, quelquefois, fermer des portes, est salutaire.
- Je vous croyais franc joueur. Je suis très étonnée.
- Nous avons tous un petit espace de malhonnêteté.
- Vous avez toujours attaqué les autres à cause de leur malhonnêteté, leur peu de rigueur, leurs circonvolutions …
- Écoutez, j’étais au milieu de nulle part, démuni de tout et je vis tout d’un coup une stupéfiante apparition. Elle venait de loin, j’ai tenté de cacher ma laideur par un triple silence intérieur. C’était une petite malhonnêteté.
- Quand il s’agit de vous, vous devenez moins inquisiteur.
- C’était très loin en moi.
- Raison de plus.
- Écoutez, je vous paye pour m’écouter.
- Vous me payez parce que je vous donne de mon temps et de mon écoute, vous êtes donc obligé de le faire. Et parce que je vous écoute depuis plus d’une décennie, je vous dis les choses.
- Si je n'avais pas dissimulé mon être profond, je n’aurais même pas eu droit à un regard.
- Vous êtes donc en besoin des autres …
- C’est ce que j’ai cru un court instant, mais elle me vit et eut un haut le corps. Elle n’avait pas tort. Pour revenir à une honnêteté primaire.
- Vous êtes un être humain avec ses mystères, ses doutes, ses besoins, sa petite malhonnêteté.
- Oui, il faut le croire. Mais aujourd’hui, je suis seul avec moi-même et cela me convient. L’âge a ses diktats. Et puis, je ne suis pas beau.
Il se leva, lui serra la main et partit. Il n’était pas question de s’attarder sur le physique.
II.
Une silhouette longue et effilée, une robe bleu ciel vaporeuse et légèrement diaphane. Elle prit place et commanda. Je l’observai à la dérobée, c’était la perfection faite femme. Un mélange de beauté fine et de discrétion, peut-être même de sensibilité fragile. Je ne saurais dire.
J’avais cinquante ans, un peu plus évidemment, et je n’avais toujours pas mis la main sur ce qui pourrait me rendre confiant et heureux. Parce que je n’avais été ni confiant ni heureux, ces trente dernières années. Et je gardais espoir.
Elle sortit un livre de son cabas et je sus que c'était elle. Pourtant, je n'avais jamais compris les hommes qui avaient des prétentions sur les êtres de lumière sans se poser les questions indépassables. Était-elle libre ? Était-elle encline à l'échange ? Avait-elle foi en l'humain ?
Nous étions entre quinquas, voire plus, les enjeux étaient autres, une bonne partie de notre vécu était derrière, avec nos bonheurs, nos peines et nos désillusions ... Elle avait trop de prestance et de réserve, trop de superbe aussi et je n'étais pas un homme séduisant. J'étais poli, respectueux et intelligent. j'avais aussi le sens de l'humour. Ce n'était pas rien.
Nos regards se croisèrent. J'esquissai un léger sourire. Elle l'ignora froidement, peut-être même avec une certaine colère. Je la haïs sur le coup, elle piétina mon orgueil d'esseulé et devina, peut-être, mes pensées.
J'avais agi en goujat primaire comme bon nombre d'hommes. Des prédateurs.
( A suivre )
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