mercredi 28 août 2024

Moi

 






Je crois que très tôt, je m’étais demandé si j’étais quelqu’un de normal. Vers quatorze-quinze ans si je m’en souviens bien et puis, j’ai continué et je faisais des constats et je les notais et je me démenais pour trouver les solutions de réparations adéquates.

 

 

Mais d’abord qu’est-ce que la normalité ? Est-elle seulement envisageable au vu des circonstances propres à chaque personne ? A moins qu’il ne s’agisse d’un format préétabli  - à partir de valeurs considérées comme normatives - posé, somme toute arbitrairement, comme référent de base.

 

 

Ma conscience de moi-même a toujours été précoce. Ou peut-être mon obsession de ma personne. Les conditions premières étaient existantes : j’étais enfant unique et j’ai passé sept à huit ans dans ma chambre entre mes études, mon acné, ma découverte de mon enveloppe et mes obsessions. Et puis, j’étais exceptionnellement intelligent et je ne sais toujours pas si cela a été un avantage ou plutôt l’inverse.

 

 

C’est moi, dans toute ma splendeur et ma nudité.

 

 

Aujourd’hui, que je suis dans une très large cinquantaine, je continue à me scruter à la loupe. Et, si je suis posé presque entièrement depuis un bon moment, je continue quelquefois à m’alléger de certaines réactions, de soucis prenants, de pallier les insuffisances de la manière la moins engageante, de substituer des solutions de réparation à d’autres …

Bref, je continue à corriger des situations, à me corriger et j’estime qu’en faisant cela, je reste dynamique et pas mal intelligent sur le plan pratique. Bien que ce soit une véritable énergie à l’œuvre. 



Hélas, j’ai une tendance à être seul et je déteste imaginer la quantité potentielle de cérumen dans l’oreille de l’autre, ces petites humeurs que je n’ai même pas à imaginer en réalité. Et en cela, j’ai d'étranges similitudes avec le grand détraqué de la littérature que j’admire et j’abhorre en même temps : Lautréamont et Ses Chants de Maldoror. 


Et je gagne à m’en défendre.

 

( À suivre )

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 


jeudi 22 août 2024

Le désamour creuse, fin

 La Passante, fin 






Et nous devînmes amis et ce fut très difficile de feindre et fort agréable de communiquer. Nos rendez-vous étaient au Café de la Mer les vendredis matin, quelquefois le mardi, vers 7h30. Quand elle arrivait plus tôt, elle se mettait sur son ordinateur et j’ouvrais mon journal. 

 

Des habitudes se mettaient en place, d’échanges, de sourires, d’espaces personnels entre nous tous. Nous étions une bande d’amis et les habitués du Café. Elle était fort discrète. Et je ne sus d’elle que son métier, ses déplacements fréquents, le domaine d’activité de son fils unique dont elle parla une ou deux fois avec passion. 

 

Elle mettait toujours une muraille entre elle et les autres, faite de sérieux, de politesse, de mots aussi. Je me rappelle l’avoir entendu dire à quel point c’était laid et malaisé d’étaler sa vie privée au point où je m’étais senti visé vu que j’avais évoqué mes échecs personnels. 

 

Elle parlait pour elle en réalité afin de poser les balises de son périmètre. Dès l’instant où la conversation s’emballait dans un sens ou dans l’autre, elle participait peu et se limitait à sourire discrètement. 

 

Une de ses amies la charria gentiment un jour et s’exclama : 

 

-       Avec So, vous avez quatre ou cinq sujets de conversation : les études, l’architecture, les enfants, le civisme, l’avenir du pays … N’espérez rien de très excitant ! dit-elle en riant aux larmes.

 

 

Était-ce pour moi ? Je ne saurais le dire d’autant que je ne m’étais pas trahi. Mais ces dames étaient fines et de poigne et nos égales en tout. Peut-être que c’était la raison principale qui fit qu’à deux reprises, je tombai dans la trappe de la médiocrité. C’était des femmes impressionnantes, intelligentes et dignes. Ce n’était pas des pros des attrape-nigauds.

 

Pourquoi faut-il que la conscience se forge avec le temps, du moins chez moi ? Pourquoi les choses se déroulèrent-elles sans que j’eusse su les mener ? Pourquoi cette fragilité de l’être humain devant l’incertitude de l’avenir ? Pourquoi la jeunesse est-elle si bête sur le plan choix de vie et relationnel ? Pourquoi l’homme en moi ne convainquait-il pas les femmes structurées, les femmes dignes et édificatrices ? 

 

J’étais triste. Mon passé cassé faisait que les trentenaires galbées ne m’intéressaient pas, contrairement à certains de mes amis. Je voulais de la structure, de la confiance et enfin de la paix. La chance ne me sourit pas. 

 

J’appris pas mal de choses sur cette belle dame. Il y avait de l’espace possible dans sa vie, mais elle en interdisait l’accès. Peut-être que cela ne l’intéressait pas. Peut-être que son vécu lui enleva le goût de continuer en tant que femme. Peut-être que ces femmes étaient différentes de nous, les hommes. Peut-être qu’elle a été longtemps femme et que là, elle choisit d’être autre chose … Je n’en savais rien véritablement. Juste que je ne gagnerais rien à prétendre. 

 

Pourtant, j’estimais que j’avais encore droit à la Vie en quinqua avancé.













lundi 19 août 2024

Le désamour creuse, 11

La Passante de Baudelaire, 5 



 



Nous sommes tous en besoin de reconnaissance, de validation comme disent beaucoup les jeunes d’aujourd’hui, même les sur-validés en ont besoin. 

 

Pour ceux-là, seul le public change et cela devient affaire de standing social ou politique ou intellectuel … Là, j’avais besoin d’une validation dans mon amour-propre d’homme traînant des casseroles, frappé par la malchance ou par ma bêtise avérée en matière de femmes. 

 

Et en une fraction de seconde, je me trouvai penaud devant cette femme.

 

 

-      Merci, j’ai déjà pris un café et j’attends mes amies pour en reprendre un autre. Je vous en offrirai volontiers un, si vous voulez. 

 

-       Avec plaisir, répondis-je. Je m’attable, j’attends notre ami commun.

 

 

Elle résolut de m’en offrir elle un. Par pure politesse, je le sentais. Elle sécurisait son terrain. Clairement.


 

Qui était cette dame ? 

Pourquoi cette grande réserve voire cette raideur ? J’étais un familier. Un bon moment que l’on se croisait désormais, elle aurait pu être plus en confiance. Nous étions à deux mètres l’un de l’autre.

 

 

-   Je viens tôt pour travailler un peu en attendant que mes amies me rejoignent, dit-elle poliment, en souriant légèrement.

 

-       Vous travaillez en ligne, je vois.

 

-    Oui, dit-elle. Je reprends officiellement dans un mois. Je me remets dans le bain, un petit peu.

 

-       Vous avez raison, lui dis-je.

 

 

J’avais envie d’engager la conversation, de lui demander dans quel domaine elle était, mais sa réserve, ses doigts sur le clavier rendaient la démarche difficile et j’avais perdu l’assurance de la jeunesse. Je déployai mon journal et m’y plongeai.

 

-       Je suis architecte, dit-elle, lisant dans mes pensées.

 

-       Un beau métier d’édification, dis-je.

 

-       Ce n’est pas faux, dit-elle, dans un sourire de politesse.

 

Et ce fut tout. Et les amis arrivèrent. Et nous nous saluâmes tous avec plaisir. Elle éteingnit son portable et je fermai mon journal et nous échangeâmes tous sur la pluie, le beau temps, l’âge, l’amitié, les petits plaisirs de la vie des personnes matures et de bon sens …

 

C’était une Dame, bien debout et bien assise, calme et perspicace, dans son monde de conceptrice, d’entrepreneuse et de consolidatrice. Une Dame avec probablement des fêlures qu’elle colmatait elle-même, dans la discrétion et l’efficacité, la liberté personnelle.

 

Nos vécus nous déterminent. Je la sentais complète et je me savais comme sur un palier aux portes fermées. Quelquefois, les hommes apparaissent dans leur nudité complète surtout en comparaison avec ces femmes fortes et résolues. J’avais besoin de vie authentique et j’étais un projet en soi. J’avais besoin d’un bras édificateur et équilibrant et je m’étais trouvé devant une personne en autogestion et en autosuffisance. Je pouvais tout au plus aspirer à une amitié. Je l’avais saisi. Et nous devînmes amis.


( À suivre )















samedi 17 août 2024

Le désamour creuse, 10

 La Passante, 4





Je traînais derrière moi un passé d’homme bâclé, des épisodes de vie peu réfléchis, un dur désir de bonheur tardif … Et puis, cette dame. Qui était-elle ? Était-elle libre ? Pourquoi m’obsédait-elle et pourquoi avais-je des craintes ? 


 

Évidemment, j’étais à l’âge des craintes, des peurs des glissades, naturellement … Compréhensible dans ce segment 50-60, mais j’étais aussi fortement mû par une attirance, un mélange de curiosité et d’intime conviction que c’était la personne à connaitre. 


 

Si dans la vie professionnelle et pratique, j’étais pas mal avisé, en matière de femmes, je ne savais pas faire, je ne prenais pas les devants et trancher d’une manière ou d’une autre n’était dans mes cordes. Je me laissais entamer. Ou je m’étais laissé entamer. 


 

Là, c’était, il me semblait, bien différent : un air autre, le calibre de ma mère avec une empreinte fortement moderne, une stature toute pareille, mais plus contemporaine et puis, cette réserve infranchissable. Je le sentais.


 

Je pris des habitudes avec notre connaissance commune et nous réservâmes nos vendredis matin tôt à des rencontres autour d’un café. Nous parlions politique, entrepreneuriat, culture et ces dames arrivaient quelque temps après nous, s’asseyaient à trois, quatre mètres et commandaient. On se saluait, quelques courtoisies et chacun restait dans son camp. Et je faisais du sur-place intérieurement. Et je voyais le temps filer. Et je désirais échanger quelques mots avec elle. Et je ne savais quels prétextes mettre en avant. Et l’âge, l’autre, sa personne, sa maturité, mon autoprotection artérielle et spirituelle rendaient l’entreprise périlleuse et escarpée.

 


 

Et un matin, j’allai au Café de la Mer bien plus tôt que d’habitude et je l’y trouvai. Elle était seule, un ordinateur allumé sur sa table. Je rêvai d’une batterie agonisante et qu’elle n’ait pas de chargeur. Nos regards se croisèrent. Je lui souris.


-       Je vous offre un café ? lui dis-je, à brûle-pourpoint.



( À suivre )








vendredi 16 août 2024

Le désamour creuse, 9

 La Passante de Baudelaire, 3







Mon premier mariage a été un traquenard. J’avais dix-neuf ans et un corps douloureux à force de silences. Je fonçai les yeux fermés et le piège se referma sur moi, violemment. La toute première fois. "Le grand dadais".


Ce fut tragique pour les miens, j’étais fils unique et ils partirent assez vite. 


 

Mon deuxième mariage eut lieu suite aux encouragements de ma mère mourante : elle voulait partir en paix. Ce fut l’enfer pour moi : non seulement je ne l’aimais pas, mais en plus, elle ne me plaisait pas, me paraissait mielleuse et sournoise. Elle jouait le jeu de la grande élégance et de l’éducation basée. 


 

C’était une rencontre fortuite et, très vite, ce fut de petites attentions : des croissants chauds à partager, des pâtés succulents de chez le meilleur artisan boulanger-pâtissier. Elle passait à mon lieu de travail, disait adorer ses petits moments, s’attardait peu. Nous prenions la collation ensemble et elle partait comme une fleur. 


 

-       Ne forçons pas les choses, disait-elle. Alors même qu'elle ébauchait au millimètre. Et que je savais.


 

Ce petit manège calculé et complètement idiot me devint agréable. Pourtant, je ne pensais pas mariage, mais plutôt relation libre et je savais au fond de moi qu’elle campait un rôle. Elle voulait se marier. Et le lendemain même de notre union, je compris que j’avais un problème sérieux. Elle mit la main sur des biens qui n’étaient même pas à moi tout seul. C’était calculé de bout en bout. Elle avait vu mon désamour et le vécut comme une humiliation. Pourtant, je jure avoir été correct. Et largement bête.


 

Voilà pourquoi, je rêvais de cette belle apparition, de bonheur tardif, parce que la cinquantaine n’est pas un milieu de vie. Non, c’est faux, la cinquantaine est un pied à l’étrier du chapitre final que l’on souhaite long. Un chapitre chaotique aussi, mais la sagesse impose de mettre le curseur sur la douceur, la bienveillance, la conscience de la valeur Vie.


 

Les raisons qui faisaient que je fréquentais assidûment le Café de la Mer et je compris que les vendredis matin étaient jour de rencontre de ces dames.


Et puis, nous fûmes présentés l'un à l'autre et, mon coeur de cinquante ans plein de rêves, bondit dans ma poitrine et, par chance, personne n'en vit rien. Elle était réservée, placide et fortement mature. Elle me serra la main vite fait et fut peu loquace. 



 A suivre